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Les vents me sont moins qu'à vous re-
doutables;

Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici,
Contre leurs coups épouvantables,

Résisté sans courber le dos;

Mais attendons la fin. Comme il disait ces mots, Du bout de l'horizon accourt avec furie

Le plus terrible des enfants,

Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs.
L'arbre tient bon, le roseau plie.

Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu'il déracine

Celui de qui la tête au ciel était voisine,

Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.

(Livre I, Fable 22.)

LE LION ET LE RAT.

Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde;
On a souvent besoin d'un plus petit que soi.
De cette vérité deux fables feront foi,
Tant la chose en preuves abonde.
Entre les pattes d'un lion

Un rat sortit de terre assez à l'étourdie.
Le roi des animaux, en cette occasion,
Montra ce qu'il était, et lui donna la vie.
Ce bienfait ne fut pas perdu.
Quelqu'un aurait-il jamais cru
Qu'un lion d'un rat eût affaire ?
Cependant il avint qu'au sortir des forêts,
Ce lion fut pris dans des rets,

Dont ses rugissements ne le purent défaire.
Sire rat accourut, et fit tant par ses dents
Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage.

Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage.

Livre II, Fable 11.)

LE RENARD ET LE BOUC.

Capitaine renard allait de compagnie
Avec son ami bouc des plus haut encornés ;
Celui-ci ne voyait pas plus loin que son nez;
L'autre était passé maître en fait de tromperie.
Le soif les obligea de descendre en un puits;
Là chacun d'eux se désaltère.

Après qu'abondamment tous deux en eurent pris,
Le renard dit au bouc: Que ferons-nous, compère?
Ce n'est pas tout de boire, il faut sortir d'ici.
Lève tes pieds en haut, et tes cornes aussi ;
Mets-les contre le mur; le long de ton échine
Je grimperai premièrement;

Puis, sur tes cornes m'élevant,
A l'aide de cette machine
De ce lieu-ci je sortirai,
Après quoi je t'en tirerai.

Par ma barbe, dit l'autre, il est bon, et je loue
Les gens bien sensés comme toi.
Je n'aurais jamais, quant à moi,
Trouvé ce secret, je l'avoue.

Le renard sort du puits, laisse son compagnon,
Et vous lui fait un beau sermon
Pour l'exhorter à patience.

Si le ciel t'eût, dit-il, donné par excellence
Autant de jugement que de barbe au menton,
Tu n'aurais pas à la légère

Descendu dans ce puits. Or, adieu, j'en suis hors.
Tâche de t'en tirer, et fais tous tes efforts;
Car pour moi j'ai certaine affaire
Qui ne me permet pas d'arrêter en chemin.

En toute chose il faut considérer la fin.

(Livre III, Fable 5.)

LE CHAMEAU ET LES BÂTONS FLOTTANTS.

Le premier qui vit un chameau

S'enfuit à cet objet nouveau ;

Le second s'approcha; le troisième osa faire
Un licou pour le dromadaire.

L'accoutumance ainsi nous rend tout familier.
Ce qui nous paraissait terrible et singulier
S'apprivoise avec notre vue,
Quand ce vient à la continue.

Et puisque nous voici tombés sur ce sujet,
On avait mis des gens au guet
Qui, voyant sur les eaux de loin certain objet,
Ne purent s'empêcher de dire
Que c'était un puissant navire.
Quelques moments après l'objet devint brûlot,
Et puis nacelle, et puis ballot,
Enfin bâtons flottants sur l'onde.

J'en sais beaucoup, de par le monde,
A qui ceci conviendrait bien;

De loin c'est quelque chose, et de près ce n'est rien.

(Livre IV, Fable 9.)

LE RENARD ET LE BUSTE.

Les grands, pour la plupart, sont masques de théâtre.

Leur apparence impose au vulgaire idolâtre.
L'âne n'en sait juger que parce qu'il en voit;
Le renard, au contraire, à fond les examine,
Les tourne de tout sens; et, quand il s'aperçoit
Que leur fait n'est que bonne mine,

Il leur applique un mot qu'un buste de héros
Lui fit dire fort à propos.

C'était un buste creux et plus grand que nature.
Le renard, en louant l'effort de la sculpture,

"Belle tête," dit-il, "mais de cervelle point." Combien de grands seigneurs sont bustes en ce (Livre IV, Fable 14.)

point?

PAROLE DE SOCRATE.

Socrate un jour faisant bâtir,
Chacun censurait son ouvrage :

L'un trouvait les dedans, pour ne lui point mentir,
Indignes d'un tel personnage.

L'autre blâmait la face, et tous étaient d'avis Que les appartements en étaient trop petits. Quelle maison pour lui! l'on y tournait à peine. "Plût au ciel que de vrais amis,

"Telle qu'elle est," dit-il, "elle pût être pleine!" Le bon Socrate avait raison

De trouver pour ceux-là trop grande sa maison.
Chacun se dit ami, mais fou qui s'y repose;

Rien n'est plus commun que ce nom,
Rien n'est plus rare que la chose.

(Livre IV, Fable 17.)

L'ALOUETTE ET SES PETITS AVEC LE MAÎTRE d'un

CHAMP.

Ne t'attends qu'à toi seul; c'est un commun proverbe. Voici comme Esope le mit

En crédit :

Les alouettes font leur nid

Dans les blés quand ils sont en herbe,
C'est-à-dire environ le temps

Que tout aime et que tout pullule dans le monde,
Monstres marins au fond de l'onde,

Tigres dans les forêts, alouettes aux champs.
Une pourtant de ces dernières

Avait laissé passer la moitié d'un printems
Sans goûter le plaisir des amours printanières.
A toute force enfin elle se résolut

D'imiter la nature, et d'être mère encore.
Elle bâtit un nid, pond, couve, et fait éclore
A la hâte le tout alla du mieux qu'il put.
Les blés d'alentour mûrs avant que la nitée
Se trouvât assez forte encor

Pour voler et prendre l'essor,

De mille soins divers l'alouette agitée
S'en va chercher pâture, avertit ses enfants
D'être toujours au guet et faire sentinelle.
Si le possesseur de ces champs

Vient avecque son fils, comme il viendra, dit-elle,
Ecoutez bien; selon ce qu'il dira,
Chacun de nous décampera.

Sitôt que l'alouette eut quitté sa famille,
Le possesseur du champ vient avecque son fils.
Ces blés sont mûrs, dit-il, allez chez nos amis
Les prier que chacun, apportant sa faucille,
Nous vienne aider demain dès la pointe du jour.
Notre alouette de retour

Trouve en alarme sa couvée.

L'un commence : Il a dit que, l'aurore levée,
L'on fit venir demain ses amis pour l'aider.
S'il n'a dit que cela, repartit l'alouette,

Rien ne nous presse encor de changer de retraite ;
Mais c'est demain qu'il faut tout de bon écouter;
Cependant soyez gais, voilà de quoi manger.
Eux repus, tout s'endort, les petits et la mère.
L'aube du jour arrive, et d'amis point du tout.
L'alouette à l'essor, le maître s'en vient faire
Sa ronde ainsi qu'à l'ordinaire.

Ces blés ne devraient pas, dit-il, être debout.
Nos amis ont grand tort, et tort qui se repose
Sur de tels paresseux, à servir aussi lents.
Mon fils, allez chez nos parents

Les prier de la même chose.

L'épouvante est au nid plus forte que jamais.
-Il a dit ses parents, mère ! c'est à cette
heure....

-Non, mes enfants, dormez en paix ;
Ne bougeons de notre demeure.

L'alouette eut raison, car personne ne vint.
Pour la troisième fois le maître se souvint
De visiter ses blés. Notre erreur est extrême,
Dit-il, de nous attendre à d'autres gens que nous.

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