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la méconnaissent; que le moyen de faire un code amusant, c'est d'y montrer les coupables qu'il

atteint.

§ 4.

Ce que Boileau attaque dans l'Art poétique, nous le savons déjà. C'est ce qu'il a attaqué dans les Satires: c'est le genre romanesque, l'abus de l'esprit, la froideur, qui est le plus souvent une suite de l'abus de l'esprit, les trivialités, le genre burlesque.

Toutes ces attaques se retrouveront dans les quatre chants de son poème didactique. Il voit, par exemple, la déclamation des romans et des tragédies romanesques s'introduire dans l'Eglogue. On peut

être étonné de ce vers du chant II:

Au milieu de l'Églogue entonne la trompette.

C'est un souvenir de Ménage qui, dans une conversation de bergers sur la reine de Suède, idée bizarre et procédé faux emprunté au xvie siècle, fait dire à Daphnis ou à Ménalque:

Un jour qui n'est pas loin, ses superbes armées
Joindront à ses lauriers les palmes idumées.

Tout le morceau sur l'Elégie (chant 11, 45) est inspiré par le souvenir des vers fades de l'hôtel de Rambouillet.

DIX-SEPTIÈME SIÈCLE.

Ce qu

Boile attag

Ils ne savent jamais que se charger de chaînes,
Que bénir leur martyre, adorer leur prison,
Et faire quereller les sens et la raison,

dit Boileau. C'est que Voiture, moins aveuglément aimé de Boileau qu'on ne croit, Voiture évidemment visé dans ce passage, avait écrit dans le fameux sonnet d'Uranie, qui était dans toutes les mémoires :

Je bénis mon martyre, et content de mourir,
Je n'ose murmurer contre sa tyrannie....
Quelquefois ma raison par de faibles discours
M'invite à la révolte......

Après beaucoup de peine et d'efforts impuissants,
Elle dit qu'Uranie est seule aimable et belle,

Et m'y rengage plus que n'ont fait tous mes sens.

C'est au nom de la simplicité que Boileau repousse la tragédie irrégulière et romanesque, les pastorales, les tragi-comédies pleines d'aventures merveilleuses et invraisemblables:

Des héros de roman fuyez les petitesses [dans la tragédie].

Peignez donc, j'y consens, les héros amoureux;
Mais ne m'en formez point de bergers doucereux.

C'est qu'il songe à Quinault, à l'Astrate, à « l'anneau royal », fable des Mille et une nuits dans un drame, aux héros fades qui disent tendrement : « Je vous hais

", etc.

Comme dans les satires, il s'en prend énergiquement à l'abus de l'esprit, à la recherche de l'ori

ginalité superficielle et toute de forme, qui était le grand défaut des poètes de la génération précédente. Ces gens-là, a emportés d'une fougue insensée », vont chercher leur pensée loin du bon sens ; ils croiraient s'abaisser

S'ils pensaient ce qu'un autre a pu penser comme eux.

Voilà leur grand travers en sa source même. Leurs jeux d'esprit, leurs pointes viennent de là. Et les pointes, quel fléau (chant 11, 105-140)! Boileau les voit envahir successivement: le madrigal, et il songe à la guirlande de Julie »; le sonnet, et il songe à Gombaud, à Malleville, à Voiture; la tragédie, et il songe à Théophile, à Rotrou, à Corneille même; l'élégie, et il songe à ce Ménage incapable de «< soupirer sans pointe », « et fidèle à sa pointe encor plus qu'à ses belles » ; le barreau, et il songe à Maître Gaultier plaidant contre une tourière, et disant : « Cette tourière, plus fameuse par les tours de son esprit malicieux que par le tour de son monastère »; la chaire chrétienne enfin, et il songe au petit Père André, Augustin. Il y songe si bien qu'il met son nom en note dans les dernières éditions, vers 1710, pour qu'on ne pense point trop à Massillon.

C'est un abus de l'esprit encore que les descriptions surchargées et surabondantes. Scudéri est un sot avec ses « festons et astragales » ; et l'Art poétique est tellement une satire qu'il se tourne en parodie (1, 50-58), et qu'il prendra cette même forme pour

se moquer des « poissons ébahis » de Saint-Amand, regardant les Hébreux passer la mer Rouge (111, 280-284).

Ces hommes qui ne recherchent que l'esprit, ne sont rien autre que des génies froids, sans flamme de sentiment qui les anime, et à qui « Apollon fut toujours avare de son feu ». Dans l'élégie et dans la poésie lyrique:

C'est peu d'être poète, il faut être amoureux (11, 73). Et Boileau repousse

Ces rimeurs craintifs dont l'esprit flegmatique
Garde dans ses fureurs un ordre didactique,

songeant à Chapelain, peut-être même, un peu, et toutes réserves faites, à Malherbe ; car le commentaire de ce passage est dans la seconde strophe, si connue, de l'Ode sur Namur :

Un torrent dans les prairies
Roule à flots précipités :
Malherbe dans ses furies
Marche à pas trop concertés.
J'aime mieux, nouvel Icare,
Dans les airs suivant Pindare,
Tomber du ciel le plus haut,
Que loué de Fontenelle,
Raser, timide hirondelle,

La terre, comme Perrault.

De même, dans son étude sur la tragédie, il attaquera les drames où il y a trop de raisonnement et pas assez de passion, ne se cachant pas d'avoir fait allusion à Othon de Corneille, et les expositions

embarrassées et pénibles, pensant probablement à Héraclius (111, 20-38).

Les trivialités, les bassesses trouvent en Boileau, dans l'Art poétique, comme dans les Satires, un ennemi véhément et méprisant. L'idée générale est la même ici qu'ailleurs. Ce que Boileau reproche au burlesque, c'est d'être le contraire du bon sens », de << la droite raison » dont il se flattait (en mauvais style) << de sentir l'équilibre ». Il l'accuse aussi d'être trop facile, d'être une « extravagance aisée », ce qui est très juste, et d'un bon style (1, 92). — Ce point est très curieux. Remarquez que Boileau, par certains côtés, touche au genre burlesque, par ce seul fait qu'il aime le vrai, la nature, et que le vrai est souvent burlesque, et que la réalité ne laisse pas souvent d'être réaliste. C'est ainsi qu'il a été amené à faire le portrait de la lieutenante criminelle Tardieu (satire sur les femmes) et le Lutrin, tout comme Racine a fait les Plaideurs, Molière la comtesse d'Escarbagnas, et Furetière, que Boileau aime fort, le Roman Bourgeois. C'est qu'il y a deux genres de burlesque, le burlesque d'imagination, qui consiste en des trivialités de fantaisie, en jeux grossiers d'extravagance débridée: c'est celui de Scarron dans Virgile travesti ; et il y a le burlesque d'observation, qui consiste à saisir ce qu'il y a de grotesque en effet dans le réel. Celui-là, le goût seul de la vérité y amène, et une école qui a aimé pardessus tout le vrai, y est venue naturellement. Elle

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