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Te souviens-tu de ces plaines glacées,
Où le Français, abordant en vainqueur,
Vit sur son front les neiges amassées
Glacer son corps sans refroidir son cœur?
Souvent alors, au milieu des alarmes,
Nos pleurs coulaient, mais notre œil abattu
Brillait encore lorsqu'on volait aux armes :
Dis-moi, soldat, dis-moi, t'en souviens-tu ?

Te souviens-tu qu'un jour notre patrie,
Vivante encore, descendit au cercueil,
Et que l'on vit, dans Lutèce flétrie,
Des étrangers marcher avec orgueil?
Grave en ton cœur ce jour pour le maudire,
Et quand Bellone enfin aura paru,
Qu'un chef jamais n'ait besoin de te dire :
Dis-moi, soldat, dis-moi, t'en souviens-tu ?

Te souviens-tu... Mais ici ma voix tremble,
Car je n'ai plus de noble souvenir;

Viens-t'en, l'ami, nous pleurerons ensemble,
En attendant un meilleur avenir.

Mais si la mort, planant sur ma chaumière,
Me rappelait au repos qui m'est dû,
Tu fermeras doucement ma paupière,
En me disant: Soldat, t'en souviens-tu?

ÉMILE DEBRAUX (1919).

L'AVEUGLE ET LE PARALYTIQUE.

Aidons-nous mutuellement ;

La charge des malheurs en sera plus légère ;
Le bien que l'on fait à son frère,,

Pour le mal qu'on souffre, est un soulagement.
Confucius l'a dit: suivons tous sa doctrine;
Pour la persuader aux peuples de la Chine,
Il leur contait le trait suivant:

Dans une ville de l'Asie,

Il existait deux malheureux,

L'un perclus, l'autre aveugle, et pauvres tous les deux.
Ils demandaient au ciel de terminer leur vie ;
Mais leurs cris étaient superflus;

Ils ne pouvaient mourir. Notre paralytique,
Couché sur un grabat dans la place publique,
Souffrait sans être plaint; il en souffrait bien plus.
L'aveugle, à qui tout pouvait nuire,

Etait sans guide, sans soutien,

Sans avoir même un pauvre chien

Pour l'aimer et pour le conduire.

Un certain jour il arriva

Que l'aveugle, à tâtons, au détour d'une rue,

Près du malade se trouva ;

Il entendit ses cris, son âme en fut émue.

Il n'est tels que les malheureux

Pour se plaindre les uns les autres.

"J'ai mes maux," lui dit-il, "et vous avez les vôtres;

Unissons-les, mon frère, ils seront moins affreux.”

"Hélas!" dit le perclus, "vous ignorez, mon frère,
Que je ne puis faire un seul pas;
Vous-même n'y voyez pas ;

A quoi nous servirait d'unir notre misère?"
"A quoi!" répond l'aveugle; "écoutez: à nous deux
Nous possédons le bien à chacun nécessaire :
J'ai des jambes et vous des yeux;

Moi, je vais vous porter; vous, vous serez mon guide;
Vos yeux dirigeront mes pas mal assurés ;
Mes jambes, à leur tour, iront où vous voudrez.
Ainsi, sans que jamais notre amitié décide
Qui de nous deux remplit le plus utile emploi,
Je marcherai pour vous, vous y verrez pour moi.

FLORIAN.

6.

LE POULET ET LE RENARD.

Un imprudent petit poulet,
Désobéissant à sa mère,

Loin du poulailler s'en allait.
A sa mère il ne songeait guère ;
Elle pourtant se désolait.
"Ah! si le renard," pensait-elle,
"Ou quelque autre bête cruelle
Le rencontre, hélas! il mourra."
Or, le renard le rencontra.
"Monsieur Poulet, c'est une joie
Pour moi de vous trouver ici.
Quel heureux hasard vous envoie ?
-Il faisait beau, je suis sorti

Malgré ma mère qui s'entête,

Toujours pour des peurs sans raison,
A me garder à la maison;

Mais moi, j'aime agir à ma tête.

Et vous avez bien fait de braver le danger... Je n'aurais aujourd'hui, sans vous, rien à manger!" Et se jetant sur la volaille

Qui piaille,

Il la dévore en un moment.

La désobéissance avait son châtiment.

L. RATISBONNE.

7.

L'ENFANT ET LE MIROIR.

Un enfant élevé dans un pauvre village
Revint chez ses parents, et fut surpris d'y voir
Un miroir.

D'abord il aima son image;

Et puis, par un travers bien digne d'un enfant,
Et même d'un être plus grand,

Il veut outrager ce qu'il aime,
Lui fait une grimace, et le miroir la rend.
Alors son dépit est extrême;

Il lui montre un poing menaçant,

Il se voit menacé de même.

Notre marmot fâché s'en vient, en frémissant,
Battre cette image insolente;

Il se fait mal aux mains; sa colère en augmente,
Et, furieux, au désespoir,

Le voilà, devant ce miroir,

Criant, pleurant, frappant la glace.
Sa mère qui survient, le console, l'embrasse,
Tarit ses pleurs, et doucement lui dit :
"N'as-tu pas commencé par faire la grimace
A ce méchant enfant qui cause ton dépit?
-Oui-Regarde à présent: tu souris, il sourit ;
Tu tends vers lui les bras, il te les tend de même :
Tu n'es plus en colère . . il ne se fâche plus.
De la société tu vois ici l'emblème.

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Le bien, le mal, nous sont rendus."

8.

FLORIAN.

LE CHIEN ET LE CHAT.

Pataud jouait avec Raton.

Mais sans gronder, sans mordre; en camarade, en frère. Les chiens sont bonnes gens, mais les chats, nous dit-on, Sont justement tout le contraire.

Aussi, bien qu'il jurât toujours

Avoir fait patte de velours,

Raton, et ce n'est pas une histoire apocryphe,
Dans la peau d'un ami, comme fait maint plaisant,

Enfonçait, tout en s'amusant,

Tantôt la dent, tantôt la griffe.

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