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24.

LE DÉPART DU PETIT SAVOYARD.

Pauvre petit, pars pour la France;

Que te sert mon amour? je ne possède rien.
On vit heureux ailleurs; ici, dans la souffrance;
Pars, mon enfant; c'est pour ton bien.

Tant que mon lait put te suffire,
Tant qu'un travail utile à mes bras fut permis,
Heureuse et délassée en te voyant sourire,
Jamais on n'eût osé me dire :

Renonce aux baisers de ton fils.

Mais je suis veuve: on perd la force avec la joie,
Triste et malade, où recourir ici?

Où mendier pour toi? Chez des pauvres aussi,
Laisse ta pauvre mère, enfant de la Savoie ;
Va, mon enfant, où Dieu t'envoie.

Vois-tu ce grand chêne là-bas ?

Je pourrai jusque-là t'accompagner, j'espère;
Quatre ans déjà passés, j'y conduisis ton père;
Mais lui, mon fils, ne revint pas.

Encor s'il était là pour guider ton enfance,
Il m'en coûterait moins de t'éloigner de moi;
Mais tu n'as pas dix ans, et tu pars sans défense:
Que je vais prier Dieu pour toi! .

Que feras-tu, mon fils, si Dieu ne te seconde,
Seul, parmi les méchants (car il en est au monde),
Sans ta mère, du moins, pour t'apprendre à souffrir?..
Oh! que n'ai-je du pain, mon fils, pour te nourrir!

Mais Dieu le veut ainsi; nous devons nous soumettre,
Ne pleure pas en me quittant.

Porte au seuil des palais un visage content.
Parfois mon souvenir t'affligera peut-être...
Pour distraire le riche, il faut chanter pourtant!

Chante, tant que la vie est pour toi moins amère; Enfant, prends ta marmotte et ton léger trousseau; Répète, en cheminant, les chansons de ta mère Quand ta mère chantait autour de ton berceau.

Si ma force première encor m'était donnée,
J'irais te conduisant moi-même par la main ;
Mais je n'atteindrais pas la troisième journée;
Il faudrait me laisser bientôt sur ton chemin;
Et moi je veux mourir aux lieux où je suis née.

Maintenant de ta mère entends le dernier vœu :
Souviens-toi, si tu veux que Dieu ne t'abandonne,
Que le seul bien du pauvre est le peu qu'on lui donne;
Prie, et demande au riche, il donne au nom de Dieu;
Ton père le disait; sois plus heureux. Adieu.

Mais le soleil tombait des montagnes prochaines:
Et la mère avait dit: il faut nous séparer.
Et l'enfant s'en allait à travers les grands chênes,
Se tournant quelquefois et n'osant pas pleurer.

GUIRAUD.

L'ENFANT.

Lorsque l'enfant paraît, le cercle de famille
Applaudit à grands cris; son doux regard qui brille
Fait briller tous les yeux,

Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être,
Se dérident soudain à voir l'enfant paraître,

Innocent et joyeux.

Soit que juin ait verdi mon seuil, ou que novembre
Fasse autour d'un grand feu vacillant dans la chambre
Les chaises se toucher,

Quand l'enfant vient, la joie arrive et nous éclaire.
On rit, on se récrie, on l'appelle, et sa mère
Tremble à le voir marcher.

Quelquefois nous parlons, en remuant la flamme,
De patrie et de Dieu, des poètes, de l'âme
Qui s'élève en priant ;

L'enfant paraît, adieu le ciel et la patrie
Et les poètes saints! la grave causerie
S'arrête en souriant.

La nuit, quand l'homme dort, quand l'esprit rêve à l'heure Où l'on entend gémir, comme une voix qui pleure,

L'onde entre les roseaux,

Si l'aube tout à coup là-bas luit comme un phare,
Sa clarté dans les champs éveille une fanfare
De cloches et d'oiseaux!

Enfant, vous êtes l'aube et mon âme est la plaine
Qui des plus douces fleurs embaume son haleine
Quand vous la respirez;

Mon âme est la forêt dont les sombres ramures
S'emplissent pour vous seul de suaves murmures
Et de rayons dorés.

Car vos beaux yeux sont pleins de douceurs infinies,
Car vos petites mains, joyeuses et bénies,

N'ont point mal fait encor;

Jamais vos jeunes pas n'ont touché notre fange;
Tête sacrée ! enfant aux cheveux blonds! bel ange
A l'auréole d'or!

Vous êtes parmi nous la colombe de l'arche.

Vos pieds tendres et purs n'ont point l'âge où l'on marche
Vos ailes sont d'azur.

Sans le comprendre encor,vous regardez le monde.
Double virginité! corps où rien n'est immonde,
Ame où rien n'est impur!

Il est si beau, l'enfant avec son doux sourire,
Sa douce bonne foi, sa voix qui veut tout dire,
Ses pleurs vite apaisés,

Laissant errer sa vue étonnée et ravie

Offrant de toutes parts sa jeune âme à la vie
Et sa bouche aux baisers!

Seigneur! préservez-moi, préservez ceux que j'aime,
Frères, parents, amis, et mes ennemis même
Dans le mal triomphants,

De jamais voir, Seigneur, l'été sans fleurs vermeilles,
La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles,

La maison sans enfants!

VICTOR HUGO.

SOUVENIRS D'UN VIEUX MILITAIRE.

Te souviens-tu, disait un capitaine
Au vétéran qui mendiait son pain,
Te souviens-tu qu'autrefois dans la plaine
Tu détournas un sabre de mon sein?
Sous les drapeaux d'une mère chérie
Tous deux jadis nous avons combattu;
Je m'en souviens, car je te dois la vie :
Mais toi, soldat, dis-moi, t'en souviens-tu ?

Te souviens-tu de ces jours trop rapides,
Où le Français acquit tant de renom?
Te souviens-tu que sur les pyramides
Chacun de nous osa graver son nom?
Malgré les vents, malgré la terre et l'onde,
On vit flotter, après l'avoir vaincu,

Notre étendard sur le berceau du monde :
Dis-moi, soldat, dis-moi, t'en souviens-tu ?

Te souviens-tu que les preux d'Italie
Ont vainement combattu contre nous?
Te souviens-tu que les preux d'Ibérie
Devant nos chefs ont plié les genoux?
Te souviens-tu qu'aux champs de l'Allemagne
Nos bataillons, arrivant impromptu,

En quatre jours ont fait une campagne:
Dis-moi, soldat, dis-moi, t'en souviens-tu?

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