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Car que donner? Il falloit de l'argent.
On en prit d'un Prince obligeant,
Qui poflédant dans fon domaine

Des mines d'or, fournit ce qu'on voulut.
Comme il fut question de porter ce tribut,
Le Mulet & l'Ane s'offrirent,
Affiftés du Cheval, ainfi que du Chameau.

Tous quatre en chemin ils fe mirent
Avec le Singe Ambassadeur nouveau.
La caravanne enfin rencontre en un paffage
Monfeigneur le Lion. Cela ne leur plut point.
Nous nous rencontrons tout à point,
Dit-il, & nous voici compagnons de voyage.
J'allois offrir mon fait à part,

Mais bien qu'il foit léger, tout fardeau m'embarraffe,
Obligez-moi de me faire la grace,
Que d'en porter chacun un quart.
Ce ne vous fera pas une charge trop grande;
Et j'en ferai plus libre, & bien plus en état,
En cas que les voleurs attaquent notre bande,
Et que
l'on en vienne au combat.
Econduire un Lion rarement fe pratique.
Le voilà donc admis, foulagé, bien reçû;
Et, malgré le (3) Héros de Jupiter issâ',
Faifant chére & vivant fur la bourse publique.
Ils arriverent dans un pré

Tour bordé de ruiffeaux, de fleurs tout diapré,
Où maint Mouton cherchoit fa vie,
Séjour du frais, véritable patrie

Des Zéphirs. Le Lion n'y fut pas, qu'à ces gens
Il fe plaignit d'être malade.
Continuez votre Ambaffade,

Dit-il, je fens un feu qui me brûle au dedans,
Et veux chercher ici quelque herbe falutaire.
Pour vous, ne perdez point de temps:
Rendez-moi mon argent, j'en puis avoir à faire.
(3) Alexandre, qui fe difoit fils de Jupiter.

I

On débale; & d'abord le Lion s'écria

D'un ton qui témoignoit sa joie :

Que de filles, ô Dieux, mes piéces de monnoie
Ont produites! Voyez : La plupart font déjà
Auffi grandes que leurs meres.

Le (4) croît m'en appartient. Il prit tout là-deffus,
Ou bien, s'il ne prit tout, il n'en demeura guéres.
Le Singe & les Sommiers confus,
Sans ofer repliquer, en chemin fe remirent.
Au fils de Jupiter on dit qu'ils fe plaignirent,
Et n'en eurent point de raifon.

Qu'eût-il fait ? C'eût été Lion contre Lion:
Et le Proverbe dit : (s) Corfaires à Corfaires
L'un l'autre s'attaquant ne font pas leurs affaires.

(4) L'accroiffement, le produit, ce qu'il y a de plus. (5) Efpece de Proverbe,

que La Fontaine a pris mot pour mot de Regnier : Satire XII. à la fin.

FABLE

XIII.

Le Cheval s'étant voulu venger du Cerf.

E tout temps les Chevaux ne font nés pour les hommes.

DE

Lorfque le genre humain de gland fe contentoit, Ane, Cheval & Mule aux forêts habitoit :

Et l'on ne voyoit point, comme au fiécle où nous fommes,

Tant de felles & tant de bats,
Tant de harnois pour les combats,
Tant de chaises, tant de carroffes,
Comme auffi ne voyoit-on pas
Tant de feftins & tant de nôces.
Or un Cheval eut alors différend
Avec un Cerf plein de vîtesse,

Et ne pouvant l'attraper en courant,

Il eut recours à l'Homme, implora fon adreffe.
L'Homme lui mit un frein, lui fauta fur le dos,
Ne lui donna point de repos

Que le Cerf ne fût pris, & n'y laislât la vie.
Et cela fait, le Cheval remercie

L'Homme fon bienfaiteur, difant: Je fuis à vous.
Adieu. Je m'en retourne en mon féjour fauvage.
Non pas cela,dit l'Homme,il fait meilleur chez nous:
Je vois trop quel eft votre usage.
Demeurez donc, vous ferez bien traité,
Et jufqu'au ventre en la litière.
Hélas! Que fert la bonne chére,
Quand on n'a pas la liberté ?

Le Cheval s'apperçut qu'il avoit fait folie;
Mais il n'étoit plus temps : déjà fon écurie
Etoit prête & toute bâtie.

Il y mourut en traînant fon lien :
Sage s'il eût remis une légere offense.

Quel que foit le plaifir que caufe la vengeance, C'eft l'acheter trop cher, que l'acheter (1) d'un bien Sans qui les autres ne fom rien.

(1) La Liberté.

L'

FABLE XIV.

Le Renard & le Bufte.

Es Grands, pour la plûpart, sont mafques de théatre; Leur apparence impofe au vulgaire idolâtre. L'Ane n'en fait juger que par ce qu'il en voit..

Le Renard au contraire à fond les examine,
Les tourne de tout fens; & quand il s'apperçoit
Que leur fait n'eft que bonne mine,
Il leur applique un mot qu'un (1) Buste de Héros
Lui fit dire fort à propos.

C'étoit un Buste creux & plus grand que nature.
Le Renard, en louant l'effort de la Sculpture,
Belle tête, dit-il, mais de cervelle point.

Combien de grandsSeigneurs font bustes en ce point (1) Figure de Tête en boffe, de métal, de pierre, ou de bois.

FABLE. X V.

Le Loup, la Chévre & le Chévreau.

FABLE

X V I.

Le Loup, la Mere & l'Enfant.

LA(1)Bique

A(1)Bique allant remplir fa traînante mamelle,
Et paître l'herbe nouvelle,

Ferma fa porte au loquet,
Non fans dire à fon (2) Biquet;
Gardez-vous, fur votre vie,
D'ouvrir que l'on ne vous die
Pour enfeigne & mot du (3) guet,
Foin du Loup & de fa race.
Comme elle difoit ces mots,
Le Loup de fortune paffe:
Il les recueille à propos,
Et les garde en sa mémoire.

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La Bique, comme on peut croire,
N'avoit pas vû le glouton.

Dès qu'il la voit partie, il contrefair fon ton,
Et d'une voix (4) papelarde

Il demande qu'on ouvre, en difant, foin du Loup,
Et croyant entrer tout d'un coup.

Le Biquet foupçonneux par la fente regarde.
Montrez-moi patte blanche, ou je n'ouvrirai point,
S'écria-t-il d'abord. (Patte blanche est un point
Chez les Loups, comme on fait, rarement en ufage.)
Celui-ci fort furpris d'entendre ce langage,
Comme il étoit venu s'en retourna chez foi.
Où feroit le Biquet s'il eût ajoûté foi

Au mot du guet que de fortune
Notre Loup avoit entendu ?

Deux fûretés valent mieux qu'une;

Et le trop en cela ne fut jamais perdu.

(4) Douce & contrefaite.

СЕ

E Loup me remet en mémoire

Un de fes compagnons qui fut encor mieux pris. Il y périt: voici l'Hiftoire.

Un Villageois avoit à l'écart fon logis:
Meffer Loup attendoit (1) chape-chute à la porte.
Il avoit vû fortir gibier de toute forte,
Veaux de lait, Agneaux & Brebis,

Régiment de Dindons, enfin bonne (2) Provende.
Le larron commençoit pourtant à s'ennuyer.
Il entend un enfant crier.

La mere auffi-tôt le gourmande,

(1) Quelque bonne aventure. Si vous voulez savoir ce qui a donné lieu à cette expreffon, voyez le Dictionnaire de

1

Trévoux, au mot Chape chute.

(2) Provifion de bouche.

I iij

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