Page images
PDF
EPUB

Jamais Idole, quel qu'il fût,
N'avoit eu cuifine fi graffe,

Sans que pour tout ce culte à fon hôte il échût
Succeffion, tréfor, gain au jeu, nulle grace.
Bien plus, fi pour un fou d'orage en quelque endroit
S'amaffoit d'une ou d'autre forte,

L'homme en avoit fa part, & fa bourse en fouffroit.
La pitance du Dieu n'en étoit pas moins forte.
A la fin fe fàchant de n'en obtenir rien,

Il vous prend un lévier, met en piece l'Idole,
Le trouve rempli d'or. Quand je t'ai fait du bien,
M'as-tu valu, dit-il, feulement une obole?
Va, fors de mon logis, cherche d'autres autels.
Tu reffembles aux naturels

Malheureux, groffiers & ftupides:

On n'en peut rien tirer qu'avecque le bâton,
Plus je te rempliffois, plus mes mains étoient vuides:
J'ai bien fait de changer de ton.

FABLE

IX.

Le Geai paré des plumes du Paon.

UN

N Paon muoit:unGeai prit fon plumage:
Puis après fe l'accommoda:

Puis, parmi d'autres Paons tout fier fe panada,
Croyant être un beau perfonnage.

Quelqu'un le reconnut: il fe vit bafoué,
Berné, fifflé, moqué, joué;

Et, par Meffieurs les Paons, plumé d'étrange forte:
Même vers fes pareils s'étant réfugié,

Il fut par eux mis à la porte.

11 eft affez de Geais à deux pieds comme lui, Qui fe parent fouvent des dépouilles d'autrui,

Et que l'on nomme (1) Plagiaires.

Je m'en tais; & ne veux leur caufer nul ennui: Ce ne font pas là mes affaires.

(1) Anteurs qui pillent les ouvrages des autres.

[blocks in formation]

Le Chameau & les Bâtons flottans:

L'enfuit à cet objet nouveau.

E premier qui vit un (1) Chameau;

Le fecond approcha: le troifiéme ofa faire
Un licou pour le (2) Dromadaire.
L'accoûtumance ainfi nous rend tout familier.
Ce qui nous paroiffoit terrible & fingulier,
S'apprivoife avec notre vue,

Quand ce vient à la continue.

Et, puifque nous voici tombé für ce sujet,
On avoit mis des gens au guet,
Qui voyant fur les eaux de loin certain objet,
Ne purent s'empêcher de dire,
Que c'étoit un puiffant navire.
Quelques momens après, l'objet devint brûlot,
Et puis, nacelle, & puis balot,
Enfin bâtons flottans fur l'onde.

J'en fais beaucoup de par le monde,
A qui ceci conviendroit bien:

De loin c'eft quelque chofe, & de près ce n'est rien.

(1) Animal propre à por

ter de

gros fardeaux.

(2) Autre nom de Chamean, C'eft proprement une

efpece de Chameaux qui vont d'un pas plus leger, & plus vite que les autres.

[merged small][ocr errors]
[ocr errors]

La Grenouille & le Rat.

El, comme dit (1) Merlin, (2) cuide engeigner autrui,

Qui fouvent s'engeigne foi-même.

J'ai regret que ce mot foit trop vieux aujourd'hui :
Il m'a toujours femblé d'une énergie extrême.
Mais afin d'en venir au deffein que j'ai pris :
Un Rat plein d'embonpoint, gras, & des mieux
nourris,

Et qui ne connoiffoit l'Avent ni le Carême,
Sur le bord d'un marais égayoit fes efprits.
Une Grenouille approche, & lui dit en fa langue:
Venez me voir chez moi, je vous ferai feftin.
Meffire Rat promit foudain :

Il n'étoit pas befoin de plus longue harangue.
Elle allégua pourtant les délices du bain,
La curiofité, le plaifir du voyage,
Cent raretés à voir le long du marécage :
Un jour il conteroit à fes petits enfans

Les beautés de ces lieux, les mœurs des habitans,
Et le gouvernement de la chofe publique

Aquatique.

[merged small][merged small][merged small][ocr errors]

Un point fans plus tenoit le galant empêché.
Il nageoit quelque peu, mais il falloit de l'aide.
La Grenouille à cela trouve un très-bon reméde.
Le Rat fut à fon piéd par la patte attaché.
Un brin de jonc en fit l'affaire.

Dans le marais entrés, notre bonne commere
S'efforce de tirer fon hôte au fond de l'eau,
Contre le droit des gens, contre la foi jurée,
Prétend qu'elle en fera (3) gorge chaude & curée:
(C'étoit, à fon avis, un excellent morceau)
Déjà dans fon efprit la galante le croque.
Il attefte les Dieux : la perfide s'en moque.
Il réfifte: elle tire. En ce combat nouveau,
Un (4) Milan qui dans l'air planoit, faifoit la ronde,
Voit d'en-haut le pauvret fe débattant fur l'onde.
Il fond deffus, l'enléve, & par même moyen
La Grenouille & le lien.

Tout en fut, tant & fi bien
Que de cette double proie
L'Oiseau fe donne au cœur joie,
Ayant, de cette façon,

A fouper chair & poiffon.

La rufe la mieux ourdie
Peut nuire à fon inventeur;
Et fouvent la perfidie
Retourne fur fon auteur.

(3) Qu'elle le mangera.

1 (4) Gros oifeau de proie

FABLE XII.

Tribut envoyé par les Animaux à Alexandre.

U

Ne Fable avoit cours parmi l'Antiquité ;
Et la raifon ne m'en eft pas connue.

Que le Lecteur en tire une moralité:
Voici la Fable toute nue.

La Renommée ayant dit en cent lieux
Qu'un fils de Jupiter, un certain Alexandre,
Ne voulant rien laiffer de libre fous les Cieux,
Commandoit que, fans plus attendre,
Tout peuple à fes piéds s'allât rendre,
Quadrupedes, Humains, Elephans, Vermisleaux,
Les Républiques des Oiseaux,

La (1) Déeffe aux cent bouches, dis-je,
Ayant mis par tout la terreur

En publiant l'Edit du nouvel Empereur,
Les Animaux, & toute efpece (2) lige
De fon feul appétit, crurent que cette fois
Il falloit fubir d'autres loix.

On s'affemble au défert. Tous quittent leur taniére;
Après divers avis, on réfout, on conclut,
D'envoyer hommage & tribut.
Pour l'hommage & pour la maniére
Le Singe en fut chargé : l'on lui mit par écrit
Ce que l'on vouloit qui fût dit.
Le feul tribut les tint en peine.

(1) La Renommée.

(2) Affervie à fon feul appétit. C'eft le plus haut point de liberté où puiffent parvenir les animaux.

Et

l'homme eft lige d'un Seigneur, lorsqu'il dépend de ce Seigneur, à certains égards, qu'il eft fon vaffal

Car

« PreviousContinue »