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Le galant fair le mort; & du haut d'un plancher
Se pend la tête en bas. La bête fcélérate
A de certains cordons fe tenoit par la patte.
Le peuple des Souris croit que c'eft châtiment,
Qu'il a fait un larcin de rot ou de fromage,
Egratigné quelqu'un, causé quelque dommage ;
Enfin, qu'on a pendu le mauvais garnement.
Toutes, dis-je, unanimement

Se promettent de rire à fon enterrement,
Mettent le nez à l'air, montrent un peu la tête,
Puis rentrent dans leurs nids à Rats,
Puis reflortant font quatre pas,
Puis enfin fe mettent en quête.
Mais voici bien une autre fête.

Le pendu reffufcite; & fur fes pieds tombant,
Attrape les plus pareffeufes.

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Nous en favons plus d'un, dit-il, en les gobant: C'eft tour (4) de vieille guerre; & vos cavernes

creufes

Ne vous fauveront pas, je vous en avertis :

Vous viendrez toutes au logis.

Il prophétifoit vrai, notre maître Mitis,
Pour la feconde fois les trompe & les affine,
Blanchit fa robe & s'enfarine;
Et, de la forte déguisé,

Se niche & fe blotit dans une huche ouverte :
Ce fut à lui bien avifé.

La gent trotte-menu s'en vient chercher fa perte.
Un Rat, fans plus, s'abftient d'aller flairer autour.
C'étoit un vieux routier, il favoit plus d'un tour:
Même il avoit perdu fa queue à la bataille.
Ce bloc enfariné ne me dit rien qui vaille,
S'écria-t-il de loin au Général des Chats.
Je foupçonne deffous encor quelque machine.
Rien ne te fert d'être farine,
Car quand tu ferois fac, je n'approcherois pas.
(4) Rufe connue des vieux foldats.

C'étoit bien dit à lui : j'approuve sa prudence :
Il étoit expérimenté;
Et favoit que la méfiance
Eft mere de la fûreté.

Fin du troifiéme Livre.

Caron

LIVRE QUATRIÈME.

FABLE PREMIERE.

Le Lion amoureux.

A Mademoiselle de Sévigné.

|EVIGNE' (1) de qui les attraits
Servent aux Graces de modéle,
Et qui nâquites toute belle,
A votre indifférence près:
Pourriez-vous être favorable

Aux jeux innocens d'une Fable,
Et voir, fans vous épouvanter,
Un Lion qu'amour fut domter?
Amour est un étrange maître.
Heureux qui peut ne le connoître
Que par récit, lui ni fes coups!
Quand on en parle devant vous,
Si la vérité vous offense,

La Fable au moins fe peut fouffrir.
Celle-ci prend bien l'affurance

(1) Fille d'esprit, qui fut mariée au Comte de Grignan, & dont la mere eft immortalifée par le génie,

la vivacité, la politeffe & le bon fens qui regnent dans fes Lettres imprimées après fa mort.

De venir à vos piéds s'offrir,
Par zéle & par reconnoiffance.

Du temps que les Bêtes parloient,
Les Lions entre autres vouloient
Etre admis dans notre alliance.
Pourquoi non? Puifque leur engeance
Valoit la nôtre en ce temps-là,
Ayant courage, intelligence,
Et belle hure, outre cela.
Voici comment il en alla.

Un Lion de haut parentage,
En paffant par un certain pré,
Rencontra Bergere à son gré.
Il la demande en mariage.
Le pere auroit fort fouhaité
Quelque gendre un peu moins terrible.
La donner lui fembloit bien dur,
La refufer n'étoit pas fûr:

Même un refus eût fait poffible,
Qu'on eût vû quelque beau matin
Un mariage (2) clandeftin.
Car outre qu'en toute maniére
La Belle étoit pour les gens fiers,
Fille fe coëffe volontiers
D'amoureux à longue criniére.
Le pere donc ouvertement
N'ofant renvoyer notre amant,
Lui dit: Ma fille eft délicate:
Vos griffes la pourront bleffer
Quand vous voudrez la careffer.
Permettez donc qu'à chaque patte
On vous les rogne; & pour les dents,
Qu'on vous les lime en même temps:
Vos baifers en feront moins rudes;
(2) Secret & caché,

Et pour vous plus délicieux,
Car ma fille y répondra mieux
Etant fans ces inquiétudes.
Le Lion confent à cela,
Tant fon ame étoit aveuglée.
Sans dents ni griffes le voilà
Comme place démantelée
On lâcha fur lui quelques Chiens:
Il fit fort peu de résistance.

Amour, amour, quand tu nous tiens,
On peut bien dire : Adieu prudence.

FABLE II.

Le Berger & la Mer.

U rapport d'un troupeau dont il vivoit fans

DU

foins

Se contenta long-temps un voifin (1) d'Amphitrite Si fa forune étoit petite,

Elle étoit fûre tout au moins.

A la fin, les trésors déchargés sur la (2) plage
Le tenterent fi bien qu'il vendit fon troupeau,
Trafiqua de l'argent, le mit entier fur l'eau:
Cet argent périt par naufrage.

Son maître fut réduit à garder les Brebis,
Non plus Berger en chef comme il étoit jadis,
Quand fes propres Moutons paiffoient fur le rivage.
Celui qui s'étoit vû (3) Coridon ou Tircis,
Fut (4) Pierrot & rien davantage.

(1) La Mer, ainfi appellée du nom de la femme de Neptune.

(2) Sur le bord de la Mer.

(3) Maître de fes trou

peaux.

(4) Berger à gages foua

un maître.

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