Page images
PDF
EPUB

Un os lui demeura bien avant au gofier.
De bonheur pour ce Loup qui ne pouvoit crier,
Près de là paffe une Cicogne.

Il lui fait figne, elle accourt.
Voilà l'opératrice auffi-tôt en befogne.
Elle retira l'os: puis, pour un fi bon tour,
Elle demanda fon falaire.
Votre falaire? dit le Loup,

Vous riez, ma bonne commere.
Quoi! Ce n'eft pas encor beaucoup
D'avoir de mon gofier retiré votre cou?
Allez, vous êtes une ingrate,
Ne tombez jamais fous ma patte.

FABLE X.

Le Lion abattu par l'Homme.

Ο

N expofoit une peinture,
Où l'artifan avoit tracé

Un Lion d'immense stature
Par un feul homme terraflé.
Les regardans en tiroient gloire.

Un Lion paffant rabattit leur caquet.
Je vois bien, dit-il, qu'en effet
On vous donne ici la victoire,
Mais l'ouvrier vous a déçus,
Il avoit liberté de feindre.

Avec plus de raison nous aurions le deffus,
Si mes confreres favoient peindre.

C

[blocks in formation]

Le Renard & les Raifins.

Ertain Renard (1) Gafcon, d'autres difent (2) Normand,

Mourant prefque de faim, vit au haut d'un treille Des raifins mûrs apparemment,

Et couverts d'une peau vermeille.

Le galant en eût fait volontiers un repas.

Mais comme il n'y pouvoit atteindre,

Ils font trop verds, dit-il, & bons pour des (3)

goujats.
Fit-il pas mieux

(1) Fanfaron, effronté toujours prêt à juftifier fes fautes par quelque trait de plaifanterie, bonne ou mauvaife.

(2) Plein de diffimulation, porté comme par

in

que de fe plaindre ?

ftin&t, à répondre indirecte-
ment & obfcurément à
ceux qui lui parlent ; & lorf-
qu'il y trouve fon compte, à
leur dire nettement tout le
contraire de ce qu'il penfe.
(3) Valets de foldats.

FABLE XII.

Le Cygne & le Cuifinier.

DDe volatilles remplie

Ans une (1) ménagerie

Vivoient le Cygne & l'Oifon:

Celui-là destiné pour les regards du Maître,
Celui-ci pour fon goût : l'un qui fe piquoit d'être
Commenfal du (2) jardin, l'autre de la maifon.
Des foffés du château faifant (3) leurs galeries,

(1) Où l'on nourrit la volaille.

(2) Fréquentant le plus

ordinairement le Jardin,
comme l'autre la Maifon.
(3) Leur lieu de plaisance.

Tantôt on les eût vûs côte à côte nâger,
Tantôt courir fur l'onde, & tantôt le plonger,
Sans pouvoir fatisfaire à leurs vaines envies.
Un jour le Cuifinier, ayant trop bû d'un coup,
Prit pour Oifon le Cygne; & le tenant au cou,
Il alloit l'égorger, puis le mettre en potage.
L'oifeau, prêt à mourir, fe plaint en fon ramage.
Le Cuisinier fut fort furpris,

Et vit bien qu'il s'étoit mépris. Quoi! Je mettrois, dit-il, un tel (4) chanteur en foupe?

Non, non, ne plaise aux Dieux que jamais ma main coupe

La gorge à qui s'en fert fi bien.

Ainfi dans les dangers qui nous fuivent en(s) croupe, Le doux parler ne nuit de rien.

(4) Le chant mélodieux des Cygnes n'eft fondé que fur une Tradition poëtique, dont la vérité n'a jamais été confirmée par l'évenement. Je n'ai jamais entendu chanter le Cygne: ni perfonne,

A

FABLE

peut-être, non plus que moi, dit ALIEN dans fes Collec tions Hiftoriques, Liv. I. c. 14. (5) C'eft-à-dire, qui nous talonnent, qui nous fuivent de fort près.

XIII.

Les Loups & les Brebis.

Près mille ans & plus de guerre déclarée, Les Loups firent la paix avecque les Brebis. C'étoit apparemment le bien des deux partis : Car fi les Loups mangeoient mainte bête égarée, Les Bergers, de leur peau, fe faifoient maints habits. Jamais de liberté, ni pour les pâturages,

Ni d'autre part pour les carnages.

Ils ne pouvoient jouir qu'en tremblant de leurs biens,

La paix fe conclut donc : on donne des ôtages,
Les Loups leurs Louveteaux, & les Brebis leurs
Chiens.

L'échange en étant fait aux formes ordinaires,
Et réglé par des Commiffaires,

Au bout de quelque temps que Meffieurs (1) les
Louvats

Se virent Loups parfaits, & friands de tuerie,
Ils vous prennent le temps que dans la Bergerie
Meffieurs les Bergers n'étoient pas,

Etranglent la moitié des Agneaux les plus gras,
Les emportent aux dents, dans les bois fe retirent,
Ils avoient averti leurs gens fecrettement.
Les Chiens qui, fur leur foi, repofoient fûrement,
Furent étranglés en dormant.

Cela fut fi-tôt fait qu'à peine ils le fentirent.
Tout fut mis en morceaux, un feul n'en échappa.

Nous pouvons conclure de là

Qu'il faut faire aux méchans guerre continuelle.. La paix eft fort bonne de foi,

:

J'en conviens mais de quoi fert-elle
Avec des ennemis fans foi ?

(1) Les jeunes Loups.

FABLE XIV.

Lc Lion devenu vieux.

L

OE Lion, terreur des forêts, Chargé d'ans, & pleurant fon antique proueffe, Fut enfin attaqué par fes propres Sujets,

Devenus forts par fa foibleffe.

Le Cheval s'approchant lui donne un coup de pied,

Le

Le Loup un coup de dent, le Bœuf un coup de corne, Le malheureux Lion languiffant, trifte & morne Peut à peine rugir, par l'âge eftropié.

M attend fon deftin fans faire aucunes plaintes, Quand voyant l'Ane même à fon antre accourir, Ah! C'eft trop, lui dit-il, je voulois bien mourir, Mais c'eft mourir deux fois que fouffrir tes atteintes.

FABLE X V.

Philomele & Progné.

A

Utrefois (1) Progné l'Hirondelle
De fa demeure s'écarta;

Et loin des villes s'emporta

Dans un bois où chantoit la pauvre (2) Philoméle.
Ma fœur,lui dit Progné,comment vous portez-vous?
Voici tantôt mille ans que l'on ne vous a vûe:
Je ne me fouviens point que vous soyez venue
Depuis le temps de Thrace habiter parmi nous.
Dites-moi, que penfez vous faire ?
Ne quitterez-vous point ce féjour folitaire?
Ah! reprit Philoméle, en eft-il de plus doux !
Progné lui repartit: Et quoi, cette mufique
Pour ne chanter qu'aux animaux,
Tout au plus à quelque ruftique ?
Le défert eft-il fait pour des talens fi beaux ?
Venez faire aux cités éclater leurs merveilles.
Auffi bien en voyant les bois,

Sans ceffe il vous fouvient que Terée autrefois

(1) Fille de Pandion, femme de Terée, changée en Hirondelle.

(2) Soeur de Progné, qui

ayant été violée

par Terée, Roi de Thrace, fut changée en Roffignol,

G

« PreviousContinue »