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Par ma barbe, dit l'autre, il eft bon ; & je loue

Les

gens bien fenfés comme toi.

Je n'aurois jamais, quant à moi,
Trouvé ce fecret, je l'avoue.

Le Renard fort du puits, laiffe fon compagnon;
Et vous lui fait un beau fermon
Pour l'exhorter à patience.

Si le Ciel t'eût, dit-il, donné par excellence
Autant de jugement que de barbe au menton,
Tu n'aurois pas, à la (1) légère

Defcendu dans ce puits. Or adieu, j'en fuis hors:
Tâche de t'en tirer, & fais tous tes efforts:
Car pour moi j'ai certaine affaire
Qui ne me permet pas d'arrêter en chemin.

En toute chofe il faut confidérer la fin.
(1) Imprudemment, fans réfléxion.

LA

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L'Aigle, la Laye & la Chate.

'Aigle avoit fes petits au haut d'un arbre creux,
La (1) Laye au piéd, la Chate entre les deux ;
Et fans s'incommoder, moyennant ce partage,
Meres & nourriffons faifoient leur tripotage.
La Chate détruifit par fa fourbe l'accord.
Elle grimpa chez l'Aigle, & lui dit ; Notre mort,
(Au moins de nos enfans, car c'est tout un aux meres)
Ne tardera poffible guéres.

Voyez-vous à nos piéds foüir inceffamment
Cette maudite Laye, & creufer une mine?
C'est pour déraciner le chêne affurément,
Et de nos nourriffons attirer la ruine.

L'arbre tombant, ils feront dévorés:

41) La femelle du Sanglier.

Qu'ils

Qu'ils s'en tiennent pour affurés.

S'il m'en reftoit un feul, j'adoucirois ma plainte.
Au partir de ce lieu, qu'elle remplit de crainte,
La perfide defcend tout droit
A l'endroit

Où la Laye étoit en (2) géfine.
Ma bonne amie & ma voisine,
Lui dit-elle tout bas, je vous donne un avis.
L'Aigle, fi vous fortez, fondra fur vos petits:
Obligez-moi de n'en rien dire :

Son courroux tomberoit fur moi.
Dans cette autre famille ayant femé l'effroi,
La Chate en fon trou fe retire.
L'Aigle n'ofe fortir, ni pourvoir aux besoins
De fes petits: la Laye encore moins:
Sottes de ne pas voir que le plus grand des foins
Ce doit être celui d'éviter la famine.

A demeurer chez foi l'une & l'autre s'obstine,
Pour fecourir les fiens dedans l'occasion:
L'Oifeau Royal, en cas de mine,
La Laye, en cas d'irruption.

La faim détruifit tout: il ne refta perfonne
De la gent Marcaffine, & de la gent Aiglonne,
Qui n'allât de vie à trépas:

Grand (2) renfort pour Meffieurs les Chats.

Que ne fait point ourdir une langue traîtresse
Par fa pernicieuse adreffe?

Des malheurs qui font fortis

De la boëte de (4) Pandore,

Celui qu'à meilleur droit tout l'Univers abhorre,
C'est la fourbe, à mon avis.

(2) Venoit de mettre bas fes petits Marcaffins.

(3) Groffe provifion de bouche.

(4) Très-belle fille, for

gée par Vulcain, à laquelle Jupiter donna une boëte remplie de toute forte de

maux,

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L'Ivrogne & fa femme.

Hacun a fon défaut où toujours il revient :
Honte ni peur n'y remédie.

Sur ce propos d'un conte il me fouvient:
Je ne dis rien que je n'appuie

De quelque exemple. Un fuppôt de(1) Bacchus Altéroit fa fanté, fon efprit & fa bourse.

Telles gens n'ont pas fait la moitié de leur course,
Qu'ils font au bout de leurs écus.

Un jour que celui-ci, plein du jus de la treille,
Avoit laiffé fes fens au fond d'une bouteille,
Sa femme l'enferma dans un certain tombeau.
Là, les vapeurs du vin nouveau

Cuverent à loifir. A fon réveil il treuve
L'attirail de la mort à l'entour de fon corps,
Un luminaire, un drap des morts.

Oh! dit-il, qu'eft-ceci? Ma femme eft-elle veuve ?
Là-deffus, fon épouse en habit (2) d'Alecton,
Mafquée, & de fa voix contrefaifant le ton,
Vient au prétendu mort, approche de sa biére,
Lui préfente un (3) chaudeau propre pour Lucifer.
L'époux alors ne doute en aucune maniére
Qu'il ne foit citoyen d'Enfer.

Quelle perfonne es-tu? dit-il à ce Phantôme.
(4) La célériére du Royaume

De Satan, reprit-elle ; & je porte à manger

(1) Un franc ivrogne, (2) Une des trois Furies de l'Enfer.

(3) Bouillon ou porage. Chaudeau, Jufculum: Nicot. De Caldellum, parce qu'on le prend chaud, dit Ménage

dans fon Dictionnaire Etymelegique,

(4) C'est le nom qu'on donne, chez les Religieufes à celle qui a foin de recevoir & d'employer le revenu de la Maison.

Q

A ceux qu'enclôt la tombe noire.
Le mari repart, fans fonger,
Tu ne leur portes point à boire ?

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Uand l'Enfer eut produit la Goute & l'Arai-
gnée,

Mes filles, leur dit-il, vous pouvez vous vanter
D'être pour l'humaine lignée
Egalement à redouter.

Or avifons aux lieux qu'il vous faut habiter.
Voyez-vous ces cafes étroites;

Et ces palais fi grands, fi beaux, fi bien dorés?
Je me fuis propofé d'en faire vos retraites.

Tenez donc, voici deux buchettes:
Accommodez-vous, ou tirez.

Il n'eft rien, dit l'Aragne, aux cafes qui me plaife.
L'autre, tout au rebours, voyant les palais pleins
De ces gens nommés Médecins,
Ne crut pas y pouvoir demeurer à son aife.
Elle prend l'autre lot, y plante le piquet,
S'étend avec plaifir fur l'orteil d'un pauvre homme,
Difant: Je ne crois pas qu'en ce pofte je chomme,
Ni que d'en déloger, & faire mon paquet

Jamais (1) Hippocrate me fomme.

L'Aragne cependant fe campe en un lambris, Comme fi de ces lieux elle eût fait (2) bail à vie, Travaille à demeurer : voilà sa toile ourdie, Voilà des moucherons de pris.

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Une fervante vient balayer tout l'ouvrage.
'Autre toile tiflue, autre coup de balai.
Le pauvre bestion tous les jours déménage.
Enfin, après un vain essai,

Il va trouver la Goute. Elle étoit en campagne,
Plus malheureufe mille fois

Que la plus malheureuse Aragne.

Son hôte la menoit tantôt fendre du bois,
Tantôt foüir, (3) hoüer. (4) Goute bien tracafiée
Eft, dit-on, à demi panfée.

Oh! Je ne faurois plus, dit-elle, y résister.
Changeons, ma fœur l'Aragne. Et l'autre d'écouter
Elle la prend au mot, fe gliffe en la cabane:
Point de coup de balai qui l'oblige à changer.
La Goute, d'autre part, va tout droit fe loger
Chez un Prélat qu'elle condamne

A jamais du lit ne bouger.

Cataplafmes, Dieu fait. Les gens n'ont point de honte
De faire aller le mal toujours de pis en pis.
L'une & l'autre trouva de la forte fon compte,
Et fit très-fagement de changer de logis.

(3) C'eft-à dire que l'exercice eft un des meilleurs remédes contre la Goute. (3) Travailler avec la

houe, outil dont fe fervent les Vignerons pour remuer & labourer la terre.

FABLE IX.

Le Loup & la Cicogne.

L

Es Loups mangent gloutonnement.
Un Loup donc étant de (1) frairie,
Se preffa, dit-on, tellement,
Qu'il en penfa perdre la vie..

(1) D'un grand repasa

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