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Je confeille à ces gens de le faire enchaffer.
Ils ufent leurs fouliers, & confervent leur Ane:
Nicolas, au rebours: car quand il va voir Jeanne,
Il monte fur fa bête, & la chanfon le dit.
Beau trio de Baudets! Le Meunier repartit,
Je fuis Ane, il eft vrai, j'en conviens, je l'avoue:
Mais que dorénavant on me blâme, on me loue,
Qu'on dife quelque chofe, ou qu'on ne dife rien,
J'en veux faire à ma tête : il le fit, & fit bien.

Quant à vous, fuivez Mars, ou l'Amour, ou le Prince,

Allez, venez, courez, demeurez en Province, Prenez femme, Abbaye, emploi, gouvernement, Les gens en parleront, n'en doutez nullement.

FABLE II.

Les Membres & l'Eftomac.

J

E devois par la Royauté

Avoir commencé mon ouvrage :
A la voir d'un certain côté,

Meffer (1) Gafter en eft l'image.

S'il a quelque befoin, tout le corps s'en reffent.
De travailler pour lui les membres fe laffant,
Chacun d'eux réfolut de vivre en Gentilhomme,
Sans rien faire, alleguant l'exemple de Gafter.
Il faudroit, difoient-ils, fans nous qu'il vécût d'air.
Nous fuons, nous peinons comme bêtes de fomme:
Et pour qui pour lui feul : nous n'en profitons pas,
Notre foin n'aboutit qu'à fournir les repas.

(1) L'eftomac. C'eft dans ce fens-là que Rabelais s'eft avifé d'employer le mot de

Gafter, qui eft originaire

ment Grec.

Chommons, (2) c'eft un métier qu'il veut nous faire apprendre.

Ainfi dit, ainfi fait. Les mains ceffent de prendre,
Les bras d'agir, les jambes de marcher.
Tous dirent a Gaiter qu'il en allåt chercher.
Ce leur fut une erreur dont ils fe repentirent.
Bien-tot les pauvres gens tomberent en langueur:
Il ne fe forma plus de nouveau fang au cœur:
Chaque membre en fouffrit: les forces fe perdirent.
Par ce moyen les mutins virent

Que celui qu'ils croyoient oifif & pareffeux,
A l'intérêt commun contribuoit plus qu'eux.
Ceci peut s'appliquer à la grandeur Royale.
Elle reçoit & donne; & la chose est égale.
Tout travaille pour elle, & réciproquement
Tout tire d'elle l'aliment.

Elle fait fubfifter l'artifan de tes peines,
Enrichit le Marchand, gage le Magiftrat,
Maintient le laboureur, donne paye au soldat,
Distribue en cent lieux ses graces fouveraines,
Entretient seule tout l'Etat.

(3) Menenius le füt bien dire.

La Commune s'alloit féparer du Sénat.
Les mécontens difoient qu'il avoit tout l'Empire,
Le pouvoir, les trésors, l'honneur, la dignité:
Au lieu que tout le mal étoit de leur côté,
Les tributs, les impots, les fatigues de guerre.
Le peuple hors des murs étoit déjà posté,
La plupart s'en alloient chercher une autre terre,
Quand Menenius leur fit voir

Qu'ils étoient aux membres semblables;
Et par cet Apologue infigne entre les Fables,
Les ramena dans leur devoir.

(2) Chommer, c'eft fe repofer comme dans un jour de fête.

(3) Sénateur Romain, du temps des Confuls

FABLE III.

Le Loup devenu Berger.

UN Loup qui commençoit d'avoir petite part

Aux Brebis de fon voisinage, Crut qu'il falloit s'aider de la peau du Renard, Et faire un nouveau perfonnage. Il s'habille en Berger, endoffè un hoqueton, Fait fa houlette d'un bâton,

Sans oublier la cornemufe.

Pour pouffer jusqu'au bout la rufe,

Il auroit volontiers écrit fur fon chapeau,
C'est moi qui fuis Guillot Berger de ce troupeau.
Sa perfonne étant ainsi faite,

Et fes pieds de devant pofés fur fa houlette,
Guillot le (1) Sycophante approche doucement.
Guillot, le vrai Guillot, étendu fur l'herbette,
Dormoit alors profondément.

Son chien dormoit auffi, comme auffi fa mufette.
La plupart des Brebis dormoient pareillement.
L'hypocrite les laiffà faire;

Et pour pouvoir mener vers fon fort les Brebis,
Il voulut ajoûter la parole aux habits,
Chofe qu'il croyoit néceffaire,
Mais cela gâta fon affaire.
Il ne put du Pafteur contrefaire la voix.
Le ton dont il parla fit retentir les bois;
Et découvrit tout le mystere.

Chacun fe réveille à ce fon,
Les Brebis, le Chien, le Garçon.
Le pauvre Loup dans cet efclandre,
Empêché par fon hoqueton,
Ne put ni fuir, ni fe défendre.

(1) Trompeur.

Toujours par quelque endroit fourbes fe laissent

prendre.

Quiconque eft Loup, agiffe en Loup:
C'eft le plus certain de beaucoup.

FABLE I V.

Les Grenouilles qui demandent un Roi.

L

Es Grenouilles fe laffant

De l'état (1) Démocratique,

Par leurs clameurs firent tant

Que Jupin les foumit (2) au pouvoir Monarchique.
Il leur tomba du Ciel un Roi tout pacifique :
Ce Roi fit toutefois un tel bruit en tombant,
Que la gent marécageuse,

Gent fort fotte & fort peureufe,
S'alla cacher fous les eaux,

Dans les joncs, dans les rofeaux,
Dans les trous du marécage,
Sans ofer de long-temps regarder au visage
Celui qu'elles croyoient être un géant nouveau.
Or c'étoit un foliveau,
De qui la gravité fit peur à la premiére,
Qui de le voir s'aventurant,

Ofa bien quitter fa taniére.

Elle approcha, mais en tremblant.

Une autre la fuivit, une autre en fit autant
Il en vint une fourmiliére;

Et leur troupe à la fin fe rendit familiére

Jufqu'à fauter fur l'épaule du Roi.

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Le bon Sire le fouffre, & fe tient toujours coi.

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Jupin en a bien-tôt la cervelle rompue.

Donnez-nous, dit ce peuple, un Roi qui fe remue. Le Monarque des Dieux leur envoie une Grue, Qui les croque, qui les tue,

Qui les gobe à fon plaifir:

Et Grenouilles de fe plaindre;

Et Jupin de leur dire : Et quoi, votre defir
A fes loix croit-il nous aftraindre?
Vous avez dû premiérement

Garder votre Gouvernement:

Mais ne l'ayant pas fait, il vous devoit fuffire Que votre premier Roi fût débonnaire & doux : De celui-ci contentez-vous,

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Le Renard & le Bouc.

Capitaine Renard alloit de compagnie

Avec fon ami Bouc des plus haut encornez.
Celui-ci ne voyoit pas plus loin que fon nez.
L'autre étoit paffé maître en fait de tromperie.
La foif les obligea de defcendre en un puits.
Là, chacun d'eux fe défaltere.
Après qu'abondamment tous deux en eurent pris,
Le Renard dit au Bouc: Que ferons-nous, compere?
Ce n'eft
pas tout de boire, il faut fortir d'ici.
Léve tes piéds en haut, & tes cornes auffi:
Mets-les contre le mur. Le long de ton échine
Je grimperai premiérement;

Puis fur tes cornes m'élevant,
A l'aide de cette machine,
De ce lieu-ci je fortirai,
Après quoi je t'en tirerai.

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