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Il faut fe mefurer, la conféquence eft nette.
Mal prend aux Volereaux, de faire les voleurs.
L'exemple eft un dangereux (5) leure.
Tous les mangeurs de gens ne font pas grands Sei-
gneurs:

Où la Guêpe a paflé, le Moucheron demeure.

(5) Attrait captieux, qui n'eft bon qu'à tromper ceux qué courent après.

FABLE

XVII.

Le Paon fe plaignant à Junon.

LE

E Paon se plaignoit à Junon.
Déeffe, difoit-il, ce n'eft pas fans raison
Que je me plains, que je murmure:
(1) Le chant dont vous m'avez fait don
Déplaît à toute la nature :

Au lieu qu'un Roffignol, chétive créature,
Forme des fons auffi doux qu'éclatans,
Eft lui feul l'honneur du Printemps.
Junon répondit en colere:

Oifeau jaloux, & qui devrois te taire,
Eft-ce à toi d'envier la voix du Roffignol,
Toi que l'on voit porter à l'entour de ton col
Un arc-en-ciel nué de cent fortes de foyes,
Qui te panades, qui déploies

Une riche queue, & qui femble à nos yeux
La boutique d'un Lapidaire ?
Eft-il quelque oifeau fous les Cieux
Plus que toi capable de plaire ?

Tout animal n'a pas toutes proprietez:

(1) Le chant du Paon n'a ien d'agréable. C'est plû

tôt un miaulement qu'un chant.

E

Nous vous avons donné diverfes qualitez :
Les uns ont la grandeur & la force en partage;
Le Faucon est léger, l'Aigle plein de courage,
Le Corbeau fert pour le préfage,

La Corneille avertit des malheurs à venir.
Tous font contens de leur ramage.

Ceffe donc de te plaindre, ou bien, pour te punir,
Je t'oterai ton plumage.

FABLE

XVIII.

La Chate métamorphofée en femme.
UN homme chériffoit éperdument sa Chate,

Il la trouvoit mignonne, & belle, & délicate,
Qui miauloit d'un ton fort doux.
Il étoit plus fou que les fous.

Cet homme donc, par prieres, par larmes,
Par fortiléges & par charmes,

Fait tant qu'il obtient du Destin,
Que fa Chate, en un beau matin,
Devient femme ; & le matin même,
Maître fot en fait fa moitié.
Le voilà fou d'amour extrême,
De fou qu'il étoit d'amitié.
Jamais la Dame la plus belle
Ne charma tant fon favori,
Que fait cette épouse nouvelle
Son hypocondre de mari.
Il l'amadoue, elle le flatte:
Il n'y trouve plus rien de Chate;
Et pouffant l'erreur jusqu'au bout,
La croit femme en tout & par tout.

Lorfque quelques Souris qui rongeoient de la natte.

Troublerent le plaifir des nouveaux mariés.
Auffi-tôt la femme eft fur piéds:
Elle manqua fon aventure.

Souris de revenir, femme d'être en posture.
Pour cette fois elle accourut à point:
Car ayant changé de figure,
Les Souris ne la craignoient point.
Ce lui fut toujours une amorce,
Tant le naturel a de force.

Il fe moque de tout : certain âge accompli,
Le vase est imbibé, l'étoffe a pris fon pli.
(1) En vain de fon train ordinaire
On le veut défaccoutumer.
Quelque chofe qu'on puiffe faire,
On ne fauroit le réformer.
Coups de fourches, ni d'étriviéres
Ne lui font changer de maniéres ;
Et fuffiez-vous embâtonnés,
Jamais vous n'en ferez les maîtres.
Qu'on lui ferme la porte au nez,
Il reviendra par les fenêtres.

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XIX.

L

FABLE

Le Lion & l'Ane chassant.

E Roi des animaux fe mit un jour en tête
De (1) giboyer. Il célébroit fa fête.

Le Gibier du Lion ce ne font point moineaux,
Mais beaux & bons Sangliers, Dains & Cerfs bons
& beaux.

Pour réuffir dans cette affaire,

11 fe fervit du miniftere

De l'Ane à la voix de (2) Stentor.
L'Ane à Meffer Lion fit office de (3) Cor.
Le Lion le pofta, le couvrit de ramée,
Lui commanda de braire, affuré qu'a ce fon
Les moins intimidés fuiroient de leur maifon.
Leur troupe n'étoit pas encore accoutumée
A la tempête de sa voix,

L'air en retentiffoit d'un bruit épouvantable:
La frayeur faififfoit les hôtes de ces bois.
Tous fuyoient, tous tomboient au piége inévitable
Où les attendoit le Lion.

N'ai-je pas bien fervi dans cette occafion?
Dit l'Ane, en fe donnant tout l'honneur de la chaffe,"
Oui, reprit le Lion, c'eft bravement crié.
Si je ne connoiffois ta perfonne & ta race,
J'en ferois moi-même effrayé.

L'Ane, s'il eût ofé, se fût mis en colere,
Encor qu'on le raillât avec jufte raison:
Car qui pourroit fouffrir un Ane fanfaron?
Ce n'eft pas là leur caractere.

(1) Aller à la chaffe du gibier.

(2) Un Grec qui, felon Homere, avoit la voix fort Luperieure à celle des autres

hommes.

(3) Trompe de chaffe qui réjouit & anime les Chaf feurs & les Chiens.

FABLE

X X.

Teftament expliqué par Esope.

S&

I ce qu'on dit d'Efope eft vrai,
C'étoit l'Oracle de la Grèce :
Lui feul avoit plus de fageffe

Que tout (1) l'Aréopage. En voici pour effai
Une hiftoire des plus gentilles;
Et qui pourra plaire au lecteur.

Un certain homme avoit trois filles,
Toutes trois de contraire humeur :
Une buveufe, une coquette,
La troifiéme avare parfaite.
Cet homme par fon teftament,
Selon les (2) loix municipales,

Leur laiffa tout fon bien par portions égales,
En donnant à leur mere tant,
Payable quand chacune d'elles

Ne poffederoit plus fa (3) contingente part.
Le pere mort, les trois femelles
Courent au teftament fans attendre plus tard.
On le lit, on tâche d'entendre

La volonté du Teftateur,

Mais en vain : car comment comprendre
Qu'auffi-tôt que chacune fœur

Ne poffédera plus fa part héréditaire,
Il lui faudra payer fa mere?
Ce n'eft pas un fort bon moyen
Pour payer, que d'être fans bien.
Que vouloit donc dire le pere?

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