Page images
PDF
EPUB

N'en dormit de plus de fix mois.
L'Oiseau qui porte (2) Ganiméde,

Du Monarque des Dieux enfin implore l'aide,
Dépofe en fon giron les œufs, & croit qu'en paix
Ils feront dans ce lieu, que pour les intérêts
Jupiter fe verra contraint de les défendre:
Hardi qui les iroit là prendre.
Auffi ne les y prit-on pas.

Leur ennemi changea de note,

Sur la Robe du Dieu fit tomber une crotte:
Le Dieu la fecouant jetta les œufs à bas.
Quand l'Aigle fut l'inadvertance,
Elle menaça Jupiter

D'abandonner fa Cour, d'aller vivre au défert:
De quitter toute dépendance.

Avec mainte autre extravagance,
Le pauvre Jupiter fe tut.

Devant fon Tribunal l'Efcarbot comparut,
Fit fa plainte, & conta l'affaire.

On fit entendre à l'Aigle enfin qu'elle avoit tort.
Mais les deux ennemis ne voulant point d'accord,
Le Monarque des Dieux s'avifa, pour bien faire,
De transporter le temps où l'Aigle fait l'amour,
En une autre faison, quand la race Escarbore
Eft en quartier d'hiver, & comme la Marmote,
Se cache & ne voit point le jour.

(2) Bel enfant, aimé de Jupiter, qui l'enleva fur fon Aigle,

FABLE IX.

Le Lion & le Moucheron.

VA-t-en, chétif infecte, excrément de la terre.

C'eft en ces mots que le Lion
Parloit un jour au Moucheron.

L'autre lui déclara la guerre.

Penfes-tu, lui dit-il, que ton titre de Roi
Me faffe peur, ni me soucie?
Un Bœuf eft plus puissant que toi,
Je le méne à ma fantaisie.
A peine il achevoit ces mots,
Que lui-même il fonna la charge,
Fut le Trompette & le Héros.
Dans l'abord il fe met au large,
Puis, prend fon temps, fond fur le cou
Du Lion qu'il rend prefque fou.

Le (1) quadrupéde écume, & fon œil étincelle :
Il rugit on fe cache, on tremble à l'environ;
Et cette alarme univerfelle

Eft l'ouvrage d'un Moucheron.

Un avorton de Mouche en cent lieux le harcelle, Tantôt pique l'échine, & tantôt le museau, Tantôt entre au fond du nazeau.

La

rage alors fe trouve à font faîte montée.
L'invisible ennemi triomphe, & rit de voir
Qu'il n'eft griffe ni dent en la bête irritée,
Qui de la mettre en fang ne faffe fon devoir.
Le malheureux Lion se déchire lui-même,
Fait réfonner fa queue à l'entour de fes flancs,
Bat l'air qui n'en peut mais ; & fa fureur extrême
Le fatigue, l'abat: le voilà fur les dents.
L'Infecte, du combat fe retire avec gloire :
Comme il fonna la charge, il fonne la victoire,
Va par tout l'annoncer, & rencontre en chemin
(2) L'embuscade d'une Araignée:

Il y rencontre auffi fa fin.
ly

Quelle chofe par-là nous peut être enseignée? J'en vois deux, dont l'une eft qu'entre nos ennemis Les plus à craindre font fouvent les plus petits: (1) Une bête à quatre où le moucheron fut pris. (2) Une toile d'Araignée L'autre

pieds.

L'autre, qu'aux grands périls tel a pú fe fouftraire, Qui périt pour la moindre affaire.

FABLE X.

L'Ane chargé d'éponges, & l'Ane chargé de fel.

U

N Anier, fon (1) fceptre à la main,
Menoit en Empereur Romain

Deux (2) Courfiers à longues oreilles.

L'un d'éponges chargé marchoit comme un courier; Et l'autre fe faifant prier

(3) Portoit, comme on dit, les bouteilles.

Sa charge étoit de fel. Nos gaillards pélerins
Par mont, par vaux & par chemins

Au gué d'une riviere à la fin arriverent,
Et fort empêchés fe trouverent.

L'Anier, qui tous les jours traversoit ce gué-là,
Sur l'Ane à l'éponge monta,
Chaffant devant lui l'autre bête,
Qui voulant en faire à fa tête,
Dans un trou fe précipita,
Revint fur l'eau, puis échappa:
Car au bout de quelques nâgées
Tout fon fel fe fondit fi bien,
Que le Baudet ne fentit rien.
Sur les épaules foulagées.

Camarade Epongier prit exemple fur lui,

(1) Son fouet, ou fon bâton.

(2) On donne le nom de Courfier à de beaux & bons chevaux ici ce font deux Anes, dont les oreilles font,

à proportion beaucoup plus longues que celles des che

vaux.

(3) Marchoit lentement, comme s'il eût porté les bouteilles.

D

Comme un Mouton qui va deffus la (1) foi d'autrui.
Voilà mon Ane à l'eau, jufqu'au col il fe plonge,
Lui, le conducteur & l'éponge.

Tous trois bûrent d'autant: l'Anier & le Grifon
(5) Firent à l'éponge raison.
Celle-ci devint fi pefante,

Et de tant d'eau s'emplit d'abord,

Que l'Ane fuccombant ne put gagner le bord.
L'Anier l'embraffoit dans l'attente
D'une prompte & certaine mort.
Quelqu'un vint au fecours : qui ce fut, il n'importe.
C'eft affez qu'on ait vû par là qu'il ne faut point
Agir chacun de même forte.
J'en voulois venir à ce point.

(4) Fait fottement ce

qu'il voit faire à d'autres.

(5) Se remplirent d'eau comme l'éponge.

I

[blocks in formation]

L faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde.
On a fouvent befoin d'un plus petit que foi.

De cette vérité deux Fables feront foi,

Tant la chofe en preuves abonde.

Entre les pattes d'un Lion,

Un Rat fortit de terre affez à l'étourdie.
Le Roi des animaux, en cette occafion,
Montra ce qu'il étoit, & lui donna la vie.
Ce bienfait ne fut pas perdu.
Quelqu'un auroit-il jamais eru,

Qu'un Lion d'un Rat eût affaire?
Cependant il avint qu'au fortir des forêts,
Ce Lion fut pris dans des rets;

Dont fes rugiffemens ne le purent défaire.
Sire Rat accourut, & fit tant par fes dents,
Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage.
Patience & longueur de temps

[ocr errors]

Font plus que force ni que rage.

'Autre exemple eft tiré d'animaux plus petits.
Le long d'un clair ruiffèau bûvoit une Colombe:
Quand fur l'eau fe penchant une Fourmis y tombe.
Et dans cet Océan (1) l'on eût vû la Fourmis
S'efforcer, mais en vain, de regagner la rive.
La Colombe auffi-tôt ufa de charité.

Un brin d'herbe dans l'eau par elle étant jetté,
Ce fut (2) un Promontoire où la Fourmis arrive.
Elle fe fauve; & là-deffus

Paffè un certain (3) Croquant qui marchoit les piéds nuds:

Ce Croquant, par hazard, avoit une arbalête.

Dès qu'il voit (4) l'Oiseau de Vénus,
Il le croit en fon pot, & déjà lui fait fête.
Tandis qu'à le tuer mon Villageois s'apprête,
La Fourmi le pique au talon.

Le (s) Vilain retourne la tête.
La Colombe l'entend, part, & tire de (6) long.

(1) La grande mer, par rapport à la Fourmi.

(2) Pointe de terre ou de roche qui avance dans la

mer.

(3) Un Payfan. En 1637. fous Louis XIII. il fe fit un foulevement de quelques Communes dans le Perigord & la Xaintonge, qui, fous prétexte de liberté, ne vouJoient plus payer de fubfi

des; & fe nommoient Croquans. De là ce nom a été employé pour défigner en général un pauvre Paysan, un Villageois.

(4) La Colombe.

(5) Mot ancien, qui fignifie un Payfan. De Villa, Maifon de campagne, a été formé Villanus, qui n'eft que de la baffe latinité.

(6) S'envole au plus vite

« PreviousContinue »