Page images
PDF
EPUB

Voyoient l'ombre en croiffant tomber du haut des

monts.

Les Dieux fortent enfin, & font fortir leurs Hôter. De ce Bourg, dit Jupin, je veux punir les fautes : Suivez-nous : Toi, Mercure, appelle les Vapeurs. O gens durs, vous n'ouvrez vos logis, ni vos cœurs. Il dit: & les (4) Autans troublent déjà la plaine. Nos deux Epoux suivoient, ne marchant qu'avec peine.

Un appui de roseau foulageoit leurs vieux ans. Moitié fecours des Dieux, moitié peur, fe hâtans, Sur un mont affez proche enfin ils arriverent. A leurs piéds auffi-tôt cent nuages creverent. Des miniftres du Dieu les (5) efcadrons flottans Entraînerent fans choix animaux, habitans, Arbres, maisons, vergers, toute cette demeure: Sans veftige du Bourg, tout difparut fur l'heure. Les vieillards déploroient ces féveres deftins. Les animaux périr! Car encor les humains, Tous avoient dû tomber fous les célestes armes; Baucis en répandit en fecret quelques larmes. Cependant l'humble toît devient Temple, & fes murs Changent leur frêle enduit aux marbres les plus durs. De pilaftes maffifs les cloisons revêtues,

En moins de deux inftans s'élevent jusqu'aux nues;
Le chaume devient or, tout brille en ce pourpris:
Tous ces événemens font peints fur les lambris.
Loin, bien loin les Tableaux de (6) Zeuxis &
d'Apelle,

Ceux-ci farent tracés d'une main immortelle.
Nos deux Epoux furpris, étonnés, confondus,
Se crurent, par miracle, en l'Olympe rendus.
Vous comblez, dirent-ils, vos moindres créatures:

(4) Les vents du midi, qui excitent de violentes tempêtes.

(5) Les torrens caufés par l'orage,

(6) Deux des plus fameux Peintres de l'Atiquité.

Aurions-nous

Aurions-nous bien le cœur & les mains affez pures
Pour préfider ici fur les honneurs divins,
Et Prêtres, vous offrir les vœux des Pélerins?
Jupiter exauça leur priere innocente.

Hélas! dit Philemon, fi votre main puiffante
Vouloit favorifer jufqu'au bout deux mortels,
Ensemble nous mourrions en fervant vos Autels;
Cloton feroit d'un coup ce double facrifice;
D'autres mains nous rendroient un vain & trifte
office:

Je ne pleurerois point celle-ci, ni fes yeux

Ne troubleroient non plus de leurs larmes ces lieux.
Jupiter, à ce vou, fut encor favorable :

Mais oferai-je dire un Fait prefque incroyable?
Un jour qu'affis tous deux dans le facré Parvis,
Ils contoient cette histoire aux Pélerins ravis;
La troupe à l'entour d'eux debout prêtoit l'oreille.
Philemon leur difoit : Ce lieu plein de merveille
N'a pas toujours fervi de Temple aux Immortels.
Un Bourg étoit autour, ennemi des Autels,
Gens barbares, gens durs, habitacles d'impies:
Du céleste courroux tous furent les hofties;
Il ne refta que nous d'un fi trifte débris:
Vous en verrez tantôt la fuite en nos lambris.
Jupiter l'y peignit. En contant ces Annales,
Philemon regardoit Baucis par intervales:
Elle devenoit arbre, & lui tendoit les bras ;
Il veut lui tendre auffi les fiens, & ne peut pas.
Il veut parler, l'écorce a fa langue preflée :
L'un & l'autre fe dit adieu de la penfée;
Le corps n'eft tantôt plus que feuillage & que bois.
D'étonnement la troupe, ainfi qu'eux, perd la voix;
Même inftant, même fort à leur fin les entraîne:
Baucis devient Tilleul, Philemon devient Chêne.
On les va voir encore, afin de mériter

Les douceurs qu'en hymen Amour leur fit goûter.
Ils courbent fous le poids des offrandes fans nombre.
Kk

II Partie.

Pour peu que des Epoux féjournent fous leur ombre,
Ils s'aiment jufqu'au bout, malgré l'effort des ans.
Ah! Si... Mais autre-part j'ai porté mes préfens.
Célébrons feulement cette Métamorphofe.
De fidéles témoins m'ayant conté la chose,
Clio me confeilla de l'étendre en ces Vers,
Qui pourront quelque jour l'appendre à l'Univers.
Quelque jour on verra chez les races futures,
Sous l'appui d'un grand nom paffer ces aventures.
Vendôme, confentez au los que j'en attens;
Faites-moi triompher de l'Envie & du Temps.
Enchaînez ces Démons, que fur nous ils n'attentent,
Ennemis des Héros & de ceux qui les chantent.
Je voudrois pouvoir dire en un style assez haut,
Qu'ayant mille vertus, vous n'avez nul défaut.
Toutes les célébrer feroit œuvre infinie :
L'entreprise demande un plus vafte génie;
Car quel mérite enfin ne vous fait estimer?
Sans parler de celui qui force à vous aimer:
Vous joignez à ces dons l'amour des beaux ouvrages,
Vous y joignez un goût plus fûr que nos fuffrages;
Don du Ciel, qui peut feul tenir lieu des préfens
Que nous font à regret le travail & les ans.
Peu de gens élevés, peu d'autres encor même
Font voir par ces faveurs que Jupiter les aime.
Si quelque enfant des Dieux les poffede, c'est vous;
Je l'ofe, dans ces Vers, foûtenir devant tous.
Clio fur fon giron, à l'exemple d'Homere,
Vient de les retoucher attentive à vous plaire:
On dit qu'elle & fes fœurs, par l'ordre d'Apollon,
Tranfportent dans (6) Anet tout le facré Vallon:
Je le crois. Puiffions-nous chanter fous les ombrages
Des arbres dont ce lieu va border fes rivages!
Puffent-ils, tout d'un coup, élever leurs fourcis,
Comme on vit autrefois Philemon & Baucis!

(6) Beau Château de M. le Duc de Vendôme.

J

LES FILLES DE MINÉE.

E chante dans mes Vers les Filles (1) de Minée, Troupe, aux (2)arts de Pallas, dès l'enfance adonnée, Et de qui le travail fit entrer en courroux

Bacchus, à jufte droit de fês honneurs jaloux.
Tout Dieu veut aux humains fe faire reconnoître.
On ne voit point les champs répondre aux foins du
Maître,

Si dans les jours facrés, autour de fes guérets,

Il ne marche en triomphe en l'honneur de Cérès.

La Gréce étoit en jeux pour le fils de Sémele. Seules ont vit trois fœurs condamner ce faint zéle. Alcithoé l'aînée ayant pris fes fuseaux,

Dit aux autres : Quoi done, toujours des Dieux nouveaux ?

L'Olympe ne peut plus contenir tant de têtes,
Ni l'an fournir de jours affez pour tant de fêtes.
Je ne dis rien des vœux dûs aux travaux divers
De ce (3) Dieu qui purgea de monftres l'Univers;
Mais à quoi fert Bacchus, qu'à caufer des querelles,'
Affoiblir les plus fains, enlaidir les plus belles,
Souvent mener au Styx par de triftes chemins
Et nous irons chommer la pefte des humains?
Pour moi, j'ai réfolu de pourfuivre ma tâche.
.Se donne ce jour-ci qui voudra du relâche :

Ces mains n'en prendront point. Je fuis encor d'avis Que nous rendions le temps moins long par des récits.

Toutes trois, tour à tour, racontons quelque hiftoire.

(1) Habitant de Thebes, dont les filles furent changées en Chauve-fouris.

(2) Ouvrage de laine on

de foie.

(3) Hercule.

Je pourrois retrouver fans peine en ma mémoire
Du Monarque des Dieux les divers changemens ;
Mais comme chacun fait tous ces événemens,
Difons ce que l'amour inspire à nos pareilles:
Non toutefois qu'il faille en contant ses merveilles,
Accoûrumer nos cœurs à goûter son poison,
Car, ainsi que Bacchus, il trouble la raison.
Récitons-nous les maux que fes biens hous attirent?
Alcithoé fe tut, & fes fœurs applaudirent.

Après quelques momens, haussant un peu la voix,
Dans Thebes, reprit-elle, (4) on conte qu'autrefois
Deux jeunes cœurs s'aimoient d'une égale tendreffe:
Pyrame, c'est l'amant, eut Thisbé pour maîtresse.
Jamais couple ne fut fi bien assorti qu'eux :

L'un bien fait, l'autre belle, agréables tous deux,
Tous deux dignes de plaire, ils s'aimerent fans peine,
D'autant plûtôt épris, qu'une invincible haine
Divifant leurs parens, ces deux Amans unit,
Et concourut aux traits dont l'Amour fe fervit.
Le hazard, non le choix, avoit rendu voifines
Leurs maisons où régnoient ces guerres intestines:
Ce fut un avantage à leurs defirs naiflans.
Le cours en commença par des jeux innocens;
La premiere étincelle eut embrafé leur ame,
Qu'ils ignoroient encor ce que c'étoit que flamme.
Chacun favorifoit leurs tranfports mutuels,
Mais c'étoit à l'infû de leurs parens cruels.
La défenfe eft un charme : on dit qu'elle affaifonne
Les plaifirs, & fur tout ceux que l'amour nous donne.
D'un des logis à l'autre, elle inftruifit du moins
Nos Amans à fe dire avec figne leurs foins.
Ce léger reconfort ne les put fatisfaire;
Il fallut recourir à quelque autre myftére.
Un vieux mur entr'ouvert féparoit leurs maisons,

(4) Sujet tiré des Métamorphofes d'OVIDE, Liv. IV.

« PreviousContinue »