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Car toi, Loup, tu te plains, quoiqu'on ne t'ait rien pris,
Et toi, Renard, as pris ce que l'on te demande.
Le Juge prétendoit, qu'à tort & à travers,
On ne fauroit manquer, condamnant un pervers.

Quelques perfonnes de bon fens ont cru que l'impoffibilité la contradiction qui eft dans le jugement de ce Singe, étoit une chofe à cenfurer, mais je ne m'en fuis fervi qu'après Phédre. C'est en cela que confifte le ban mot, felon mon avis.

FABLE

IV.

Les deux Taureaux & une Grenouille.

D

Eux Taureaux combattoient à qui pofféderoit
Une Géniffe avec l'Empire.
Une Grenouille en foupiroit.
Qu'avez-vous fe mit à lui dire
Quelqu'un du peuple (1) croaffant.
Et ne voyez-vous pas, dit-elle,
Que la fin de cette querelle

Sera l'exil de l'un, que l'autre le chaflant
Le fera renoncer aux campagnes fleuries?
Il ne régnera plus fur l'herbe des prairies,
Viendra dans nos marais régner fur les rofeaux;
Et nous foulant aux piéds jufques au fond des eaux,
Tantôt l'une, & puis l'autre, il faudra qu'on patifle
Du combat qu'a caufé Madame la Géniffe.
Cette crainte étoit de bon fens.

L'un des Taureaux en leur demeure
S'alla cacher à leurs dépens,

Il en écrafoit vingt par heure.

(1) Une autre Grenouille.

(2) Hélas! On voit que de tout temps

Les petits ont pati des fottifes des Grands.

(2) Ce qui revient à ce que dit Horace à l'occafion de la guerre de Troye :

Quidquid delirant Reges plee

tuntur Achivi.

FABLE

V.

La Chauvefouris & les deux Belettes.

U

Ne Chauvefouris donna tête baiflée,

Dans un nid de Belette : & fi-tot qu'elle y fut, L'autre envers les Souris de long-temps courroucée Pour la dévorer accourut.

Quoi vous ofez, dit-elle, à mes yeux vous produire,
Après que votre race a tâché de me nuire?
N'étes-vous pas Souris? Parlez fans fiction.
Oui, vous l'étes, ou bien je ne fuis pas Belette.
Pardonnez-moi, dit la pauvrette,
Ce n'eft pas ma profeffion.

Moi Souris! Des méchans vous ont dit ces nouvelles:
Grace à l'Auteur de l'Univers,
Je fuis Oifeau: voyez mes aîles:
Vive la gent qui fend les airs.
Sa raison plut & fembla bonne.
Elle fait fi bien qu'on lui donne
Liberté de fe retirer.

Deux jours après, notre étourdie
Aveuglément fe va fourrer

Chez une autre Belette aux Oiseaux ennemie.
La voilà derechef en danger de fa vie.
La Dame du logis, avec son long museau,
S'en alloit la croquer en qualité d'Oifeau,'
Quand elle protesta qu'on lui faifoit outrage.
Moi, pour telle paffer! Vous n'y regardez pas

:

Qui fait l'Oifeau ? c'eft le plumage.
Je fuis Souris vive les Rats,
Jupiter confonde les Chats.
Par cette adroite repartie

Elle fauva deux fois fa vie.

Plufieurs fe font trouvés qui (1)d'écharpe changeans,
Aux dangers,ainsi qu'elle,ont fouvent (2) fait la figue.
Le Sage dit, felon les gens,
Vive le Roi, vive la (3) Ligue.

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Un Oifeau déploroit fa trifte destinée;
Et difoit en fouffrant un furcroît de douleur,
Faut-il contribuer à fon propre malheur ?

Cruels humains, vous tirez de nos aîles
De quoi faire voler ces machines mortelles :
Mais ne vous moquez point, engeance fans pitié:
Souvent il vous arrive un fort comme le nôtre.
Des enfans de (2) Japet toujours une moitié
Fournira des armes à l'autre.

(1) Munie de plumes, qui contribuent à la direction & à la rapidité de fon vol.

(2) Si, felon la Fable, les hommes font enfans de Japet on ne voit pas trop

bien comment elle a p attribuer la formation de l'homme à Promethée fils de Japet. Mais il feroit ridicule de s'arrêter ici à demêler cette fulée.

FABLE VII.

La Lice & fa Compagne.

Une (1) Lice étant fur fon (2) terme

Ne

Et ne fachant où mettre un fardeau fi pefant,
Fait fi bien qu'à la fin fa Compagne confent
De lui prêter fa hute, où la Lice s'enferme.
Au bout de quelque temps fa compagne revient.
La Lice lui demande encore une quinzaine.
Ses petits ne marchoient, difoit-elle, qu'à peine.
Pour faire court, elle l'obtient.

Ce fecond terme échû, l'autre lui redemande
Sa maison, fa chambre, fon lit.
La Lice cette fois montre les dents, & dit:
Je fuis prête à fortir avec toute ma bande,
Si vous pouvez nous mettre hors.
Ses enfans'étoient déjà forts.

Ce qu'on donne aux méchans,toujours on le regrette.
Pour tirer d'eux ce qu'on leur prête,

Il faut que l'on en vienne aux coups;
Il faut plaider, il faut combattre.
Laiffez-leur prendre un piéd chez vous,
Ils en auront bientôt pris quatre.

(1) Une groffe chienne,

(2) Prête à mettre bas fes

petits.

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FABLE VIII.

L'Aigle & l'Escarbot.

L'Aigle donnoit la chasse à Maître Jean Lapin,

Qui droit à fon terrier s'enfuyeit au plus vite.
Le trou de l'Efcarbot fe rencontre en chemin.
Je laiffè à penfer fi ce gîte

Etoit für: mais où mieux? Jean Lapin s'y blotit.
L'Aigle fondant fur lui nonostant cet afyle,

(1) L'Efcarbot intercede, & dit:

Princeffe des Oifeaux, il vous eft fort facile
D'enlever, malgré moi, ce pauvre malheureux:
Mais ne me faites pas cet affront, je vous prie;
Et, puifque Jean Lapin vous demande la vie,
Donnez-la-lui, de grace, ou l'ôtez à tous deux:

C'eft mon voifin, c'est mon compere.
L'Oiseau de Jupiter, fans répondre un feul mot,
Choque de l'aîle l'Escarbot,

L'étourdit, l'oblige à fe taire,
Enleve Jean Lapin: L'Efcarbot indigné
Vole au nid de l'Oifeau, fracaffe en fon abfence
Ses œufs, fes tendres œufs, fa plus douce efpérance:
Pas un feul ne fut épargné.

L'Aigle étant de retour, & voyant ce ménage,
Remplit le Ciel de cris; &, pour comble de rage,
Ne fait fur qui venger le tort qu'elle a fouffert.
Elle gémit en vain, fa plainte au vent fe perd.
11 fallut pour cet an vivre en mere affligée.
L'an fuivant, elle mit fon nid en lieu plus haut.
L'Efcarbot prend fon temps, fait faire aux œufs le
faut.

La mort de Jean Lapin, derechef eft vengée.
Ce fecond deuil fut tel que l'écho de ces bois
(1) Efpece d'infecte.

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