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Voifins du Sultan en pâtirent:
Nul n'y gagna, tous y perdirent.
Quoi que fit ce monde ennemi,

Celui qu'ils craignoient fut le maître.
Propofez-vous d'avoir le Lion pour ami,
Si vous voulez le laiffer croître.

FABLE I I.

Les Dieux voulant inftruire un fils de Jupiter

POUR MONSEIGNEUR

(1) LE DUC DU MAINE.

Jupiter eut un fils, qui fe fentant du lieu

Dont il tiroit fon origine,
Avoit l'ame toute divine.

(2) L'enfance n'aime rien: celle du jeune Dieu
Faifoit fa principale affaire

Des doux foins d'aimer & de plaire.
En lui, l'amour & la raison

Devancerent le temps, dont les aîles légeres
N'amènent que trop tôt, hélas! chaque faifon.
(3) Flore aux regards rians, aux charmantes ma➡
niéres,

Toucha d'abord le cœur du jeune (4) Olympien Ce que la paffion peut infpirer d'adreffe, Sentimens délicats & remplis de tendresse,

(1) Fils légitimé de Louis XIV. Roi de France.

(2) Les enfans ne s'attachent à rien, pour l'ordimaire,

(3) Déeffe des fleurs> jeune & brillante.

(4) Parce que Jupiter eft maître des Cieux, ou de l'O lympe,

Pleurs, foupirs, tout en fut: bref, il n'oublia rien.
Le fils de Jupiter devoit, par fa naiffance,
Avoir un autre efprit, & d'autres dons des Cieux,
Que les enfans des autres Dieux.

Il fembloit qu'il n'agît que par (s) réminiscence,
Et qu'il eût autrefois fait le métier d'amant,
Tant il le fit parfaitement.

Jupiter cependant voulut le faire inftruire.
Il affembla les Dieux, & dit : J'ai fû conduire
Seul & fans compagnon jufqu'ici l'Univers:
Mais il eft des emplois divers

Qu'aux nouveaux Dieux je diftribue.

Sur cet enfant chéri j'ai donc jetté la vûe.
C'est mon fang: tout eft plein déjà de fes Autels.
Afin de mériter le rang des Immortels:

Il faut qu'il fache tout. Le Maître du Tonnerre
Eut à peine achevé, que chacun applaudit.
Pour favoir tout, l'enfant n'avoit que trop d'efprit.
Je veux, dit le (6) Dieu de la guerre,

Lui montrer moi-même cet art

Par qui maints Héros ont eu part

Aux honneurs de l'Olympe, & groffi cet Empire. Je ferai fon maître de Lyre,

Dit le blond & do&e Apollon.

Et moi, reprit Hercule à la peau de Lion,
Son maître à furmonter les vices,
A domter les tranfports monftres empoisonneurs,
Comme Hydres renaiflans fans ceffe dans les cœurs,
Ennemi des molles délices,

Il apprendra de moi les fentiers peu battus
Qui ménent aux honneurs fur les pas des vertus.
Quand ce vint au (7) Dieu de Cythere,

(5) Le fouvenir du paffé, felon les principes de Platon, qui fuppofoit que les ames avoient existé longtemps avant que de venir

animer nos corps fur la

terre.

(6) Mars.
(7) L'Amour.

Il dit qu'il lui montreroit tout. L'Amour avoit raifon : de quoi ne vient à bout L'efprit joint au defir de plaire?

L

FABLE III.

Le Fermier, le Chien & le Renard.

E Loup & le Renard font d'étranges voisins:
Je ne bâtirai point autour de leur demeure.

Ce dernier guettoit à toute heure
Les Poules d'un Fermier : & quoique des plus fins,
Il n'avoit pû donner atteinte à la volaille.
D'une part l'appétit, de l'autre le danger,
N'étoient pas au compere un embarras léger.
Hé quoi, dit-il, cette canaille,

Se moque impunément de moi ?

Je vais, je viens, je me travaille, J'imagine cent tours : le ruftre, en paix chez foi, Vous fait argent de tout, convertit en monnoie, Ses Chapons, fa poulaille : il en a même au croc : Et moi, maître paffé, quand j'attrape un vieux coq Je fuis au comble de la joie!

Pourquoi Sire Jupin m'a-t-il donc appellé
Au métier de Renard? Je jure les puiffances
De l'Olympe & du Styx, il en fera parlé.

Roulant en fon cœur ces vengeances,
Il choifit une nuit liberale en (1) pavots.
Chacun étoit plongé dans un profond repos :
Le maître du logis, les valets, le chien même,
Poules, Poulets, Chapons, tout dormoit. Le Fermier
Laiffant ouvert fon poulailler,

Commit une fottife extrême.

(1) Les Pavots affoupiffent & font dormir.

Le voleur tourne tant, qu'il entre au lieu guetté ;
Le dépeuple, remplit de meurtres la cité :
Les marques de fa cruauté,

Parurent avec (2) l'Aube; on vit un étalage
De corps fanglans, & de carnage.
Peu s'en fallut que le Soleil

Ne rebrouffât d'horreur vers le manoir liquide.
Tel, & d'un fpectacle pareil

Apollon irrité contre le fier (3) Atride,

Joncha fon camp de morts: on vit prefque détruit (4) L'Oft des Grecs; & ce fut l'ouvrage d'une nuit. Tel encore autour de fa tente,

(5) Ajax à l'ame impatiente,
De Moutons & de Boucs fit un vaste débris,
Croyant tuer en eux son concurrent (6) Ulysse,
Et les auteurs de l'injustice

Par qui l'autre emporta le prix.

Le Renard, autre Ajax, aux volailles funefte,
Emporte ce qu'il peut, laiffe étendu le refte.
Le Maître ne trouva de recours qu'à crier
Contre fes gens, fon Chien : c'est l'ordinaire usage.
Ah! Maudit animal, qui n'es bon qu'à noyer,
Que n'avertiffois-tu dès l'abord du carnage?
Que ne l'évitiez-vous ? C'eût été plûtôt fait.
Si yous, Maître & Fermier, à qui touche le fait,
Dormez fans avoir foin que la porte foit close,
Voulez-vous que moi, Chien, qui n'ai rien à la
chofe,

Sans aucun intérêt je perde le repos ?

Ce Chien parloit très à propos:
Son raifonnement pouvoit être

(2) Au point du jour.
(3) Agamemноп fils

d'Atrée.

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traordinaire au siége de Troyc.

(6) Autre Prince Grec " qui entra en débat contre Ajax pour les Armes d'Achille.

Fort

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Fort bon dans la bouche d'un Maître,
Mais n'étant que d'un fimple Chien
On trouva qu'il ne valoit rien:
On vous fangla le pauvre drille.

Toi donc, qui que tu fois, ô pere de famille,
(Et je ne t'ai jamais envié cet honneur)
T'attendre aux yeux d'autrui, quand tu dors, c'est

erreur.

Couche-toi le dernier, & voi fermer ta porte.
Que fi quelque affaire t'importe,

Ne la fais point par (7) procureur.

(7) Par le moyen d'une autre personne.

JA

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Le Songe d'un Habitant du Mogol.

Adis certain (1) Mogol vit en fonge un (2) Vifir,
Aux champs (3) Elyfiens poffeffeur d'un plaifir
Auffi pur qu'infini, tant en prix qu'en durée:
Le même fongeur vit en une autre contrée
Un Hermite entouré de feux,

Qui touchoit de pitié même les malheureux.
Le cas parut étrange, & contre l'ordinaire,
(4) Minos en ces deux morts fembloit s'être mépris.
Le dormeur s'éveilla, tant il en fut furpris.
Dans ce fonge pourtant foupçonnant du mystére,
Il fe fit expliquer l'affaire.

L'interpréte lui dit : Ne vous étonnez point,

(1) Habitant,d'un Royaume des Indes, ainfi nom

mé.

(2) Un grand Miniftre. II. Partie.

(3) Séjour des bienhenreux aux Enfers.

(4) Le grand Juge des

morts.

Dd

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