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De la Cicogne fon hôteffe,
Loua très-fort fa politeffe,
Trouva le dîner cuit à point.

Bon appétit fur tout, Renards n'en manquent point = 11 fe réjouiffoit à l'odeur de la viande

Mise en menus morceaux, & qu'il croyoit friande.
On fervit, pour l'embarraffer,

En un vafe à long col, & d'étroite embouchure.
Le bec de la Cicogne y pouvoit bien passer,
Mais le mufeau du Sire étoit d'autre mesure,
Il lui fallut à jeun retourner au logis,

Honteux comme un Renard qu'une Poule auroit pris,

Serrant la queue, & portant bas l'oreille.

Trompeurs, c'eft pour vous que j'écris,
Atrendez-vous à la pareille.

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Un jeune enfant dans l'eau fe laiffa cheoir,
En badinant fur les bords de la Seine.
Le Ciel permit qu'un faule fe trouva
Dont le branchage, après Dieu, le fauva.
S'étant pris, dis-je, aux branches de ce faule:
Par cet endroit paffe un Maître d'école.
L'enfant lui crie, au fecours, je péris.
Le Magifter fe tournant à fes cris,
D'un ton fort grave à contre-temps s'avile
De le tancer. Ah le petit babouin!

Voyez

Voyez, dit-il, où l'a mis fa fottife!
Et puis, prenez de tels fripons le foin.
Que les parens font malheureux, qu'il faille
Toujours veiller à femblable canaille!
Qu'ils ont de maux! & que je plains leur fort!
Ayant tout dit, il mit l'enfant à bord.

Je blâme ici plus de gens qu'on ne pense.
Tout babillard: tout cenfeur, tout (1) pédant,
Se peut connoître au difcours que j'avance.
Chacun des trois fait un peuple fort grand:
Le Créateur en a béni l'engeance.
En toute affaire ils ne font que fonger
Au moyen d'exercer leur langue.
Hé, mon ami, tire-moi du danger,
Tu feras après ta harangue.

(1) C'eft-à-dire, toure perfonne fujette à étaler avec affectation & mal à propos fes lectures, fa fcience, & même fon éloquence. Gette description une fois

FABLE

admife, bien des hommes & des femmes qui fe croyent à couvert du vice de pédanterie, en font visiblement infectés.

X X.

Le Coq & la Perle.

U

N jour un Coq détourna
Une Perle qu'il donna

Au beau premier (1) Lapidaire.
Je la crois fine, dit-il,

Mais le moindre grain de Mil
Seroit bien mieux mon affaire.
Un ignorant hérita

(1) Celui qui taille, polit, & met en œuvre les pierres

précieufes, &c.

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Les Frelons & les Mouches à miel.

A L'œuvre on connoît l'artisan.

Quelques rayons de miel fans maître fe trouverent,
Des (1) Frêlons les réclamerent.
Des Abeilles s'oppofant,

Devant certaine (2) Guêpe on traduifit la cause.
Il étoit mal-aifé de décider la chofe.

Les témoins dépofoient qu'autour de ces rayons
Des animaux aîlés, bourdonnans, un peu longs,
De couleur fort tannée, & tels que les Abeilles
Avoient long-temps paru. Mais quoi ? Dans les
Frêlons

Ces enfeignes étoient pareilles.

La Guêpe ne fachant que dire à ces raifons,
Fit enquête nouvelle ; &, pour plus de lumiere,
Entendit une fourmilliere.

Le point n'en put être éclairci.
De grace, à quoi bon tout ceci?
Dit une Abeille fort prudente,

Depuis tantôt fix mois que la cause (3) eft pendante,

(1) Efpece de mouches qui s'introduifent dans les ruches des Abeilles pour en piller le miel, incapables elles-mêmes de compofer un

fuc fi délicat.

(2) Autre forte de mouches mal-faifantes.

tuc.

(3) Eft plaidee & débat

Nous voici comme aux premiers jours.
Pendant cela le miel fe gâte.

Il eft temps désormais que le Juge fe hâte.
N'a-t-il point affez (4) léché l'Ours!

Sans tant de (5) contredits & d'interlocutoires,
Et de fatras, & de grimoires,
Travaillons, les Frêlons & nous:

On verra qui fait faire, avec un fuc fi doux,
Des cellules fi bien bâties.

Le refus des Frêlons fit voir
Que cet art paffoit leur favoir;

Et la Guêpe adjugea le miel à leurs parties.

Plût à Dieu qu'on reglât ainfi tous les procès!
Que des Turcs en cela l'on fuivit la méthode !
Le fimple fens commun nous tiendroit lieu de (6)
Code.

Il ne faudroit point tant de frais.

Au lieu qu'on nous mange,on nous gruge,
On nous mine par des longueurs.

On fait tant à la fin que l'huître eft pour le Juge,
Les écailles pour les plaideurs.

(4) Expreffion proverbiale, pour dire, fuccé, extenué les Parties en pro

longeant les procès.

(5) Termes de Pratique.
(6) C'est le recueil de

Loix.

FABLE XXII.

Le Chêne & le Rofeau.

LE

E Chêne un jour dit au Rofeau: Vous avez bien sujet d'accufer la Nature.

Un (1) Roitelet pour vous eft un pefant fardeau.
Le moindre vent qui d'aventure
Fait rider la face de l'eau,

Vous oblige à baiffer la tête :

Cependant que mon front, au (2) Caucase pareil, Non content d'arrêter les rayons du Soleil, Brave l'effort de la tempête.

Tout vous eft (3) Aquilon, tout me femble (4) Zéphir.

Encor fi vous naiffiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voifinage,
Vous n'auriez pas tant à fouffrir,
Je vous défendrois de l'orage.

Mais vous naiffez le plus fouvent
Sur les humides bords des (5) Royaumes du vent.
La Nature envers vous me femble bien injufte.
Votre compaffion, lui répondit l'Arbufte,
Part d'un bon naturel, mais quittez ce fouci:

Les vents me font moins qu'à vous redoutables.
Je plie, & ne romps pas. Vous avez jufqu'ici
Contre leurs coups épouventables
Réfifté fans courber le dos:

Mais attendons la fin. Comme il difoit ces mots:
Du bout de (6) l'Orizon accourt avec furie
Le plus (7) terrible des enfans

Que le Nord eût porté jufque-là dans fes flancs.
L'Arbre tient bon, le Roseau plie:
Le vent redouble fes efforts,

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