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Voilà mes Chiens à boire, ils perdirent l'haleine, Et puis la vie : ils firent tant

Qu'on les vit crever à l'instant.

L'homme eft ainfi bâti : Quand un fujet l'enflamme,
L'impoffibilité difparoît à fon ame.

Combien fait-il de vœux ? Combien perd-il de pas?
S'outrant pour acquérir des biens ou de la gloire ?
Si j'arrondiffois mes Etats!

Si je pouvois remplir mes coffres de ducats !
Si j'apprenois l'Hébreu, les Sciences, l'Histoire!
Tout cela c'eft la mer à boire.

Mais rien à l'homme ne fuffit:

Pour fournir aux projets que forme un feul efprit,
Il faudroit quatre corps, encor loin d'y fuffire,
A mi-chemin je crois que tous demeureroient:
Quatre (2) Mathufalems bout à bout ne pourroient
Mettre à fin ce qu'un feul defire.

(2) Nul homme n'a vécu fi long temps que Mathufalem.

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(1) Démocrite & les Abdéritains.

Ue j'ai toujours haï les penfers du Vulgaire !
Qu'il me femble profane, injufte & téméraire,

Mettant de faux milieux entre la chofe & lui,
Et mefurant par foi ce qu'il voit en autrui !
Le Maître (2) d'Epicure en fit l'apprentissage.

(1) Un des plus grands Philofophes de l'Antiquité, né à Abdere.

(2) Autre célébre Philofophe, à qui La Fontaine donne Dimesrite pour Maître

à très-jufte titre : car quoiqu'Epicure n'eût jamais vû Démocrite, c'eft des Ouvrages de Démocrite qu'il tira les grands principes fur lefquels il bâtit fon Syftême.

Son pays le crut fou: Petits efprits! Mais quoi ?
Aucun n'eft prophete chez foi.

Ces gens étoient les fous, Démocrite le fage.
L'erreur alla fi loin, (3) qu'Abdére députa
Vers (4) Hippocrate, & l'invita

Par lettres & par ambassade,

A venir rétablir la raifon du malade.
Notre concitoyen, difoient-ils en pleurant,
Perd l'efprit: la lecture a gâté Démocrite.
Nous l'eftimerions plus s'il étoit ignorant.
(5) Aucun nombre, dit-il, les Mondes ne limite:
Peut-être même ils font remplis

De Démocrites infinis.

Non content de ce fonge, il y joint les atômes,
Enfans d'un cerveau creux, invisibles fantômes;
Et mefurant les Cieux fans bouger d'ici-bas,
Il connoît l'Univers, & ne fe connoît pas.
Un temps fut qu'il favoit accorder les débats:
Maintenant il parle à lui-même.
Venez, divin mortel, fa folie eft extrême.
Hippocrate n'eut pas (6) trop de foi pour ces gens:
Cependant il partit: Et voyez, je vous prie,
Quelles rencontres dans la vie

Le Sort caufe; Hippocrate arriva dans le temps
Que celui qu'on difoit n'avoir raison ni fens

Cherchoit dans l'homme & dans la bête Quel fiége a la raifon, foit le cœur, foit la tête. Sous un ombrage épais, affis près d'un ruiffeau, Les (7) labyrinthes d'un cerveau

L'occupoient. Il avoit à fes piéds maint volume,

(3) Ville de Thrace, dont les Habitans étoient généralement fort ftupides, au ugement des Grecs.

(4) Le Prince de la Médecine.

(5) Opinion particuliere de Démocrite, qui a été re

nouvellée de nos jours.

(6) Par la raifon marquée ci-devant dans la Note (3), où j'ai dit un mot des Habitans d'Abdere.

(7) Les ventricules, les finuofités, les différentes parties du cerveau.

Et

Et ne vit prefque pas fon ami s'avancer,
Attaché felon fa coutume.

Leur compliment fut court, ainfi qu'on peut penfer.
Le fage eft ménager du temps & des paroles.
Ayant donc mis à part les entretiens frivoles,
Et beaucoup raifonné fur l'homme & fur l'efprit
Ils tomberent fur la morale.

Il n'eft pas befoin que j'étale
Tout ce que l'un & l'autre dit.

Le récit précédent fuffit

Pour montrer que le Peuple eft juge recufable.
En quel fens eft donc véritable

Fu

Ce que j'ai lû dans certain lieu,
Que fa voix eft la voix de Dieu ?

FABLE

XXVII.

Le Loup & le Chasseur.

Ureur d'accumuler, monftre de qui les yeux Regardent comme un point tous les bienfaits des Dieux,

Te combattrai-je en vain fans ceffe en cet ouvrage?
Quel temps demandes-tu pour fuivre mes leçons ?
L'homme fourd à ma voix, comme à celle du fage,
Ne dira-t-il jamais : C'eft affez, jouiffons?
Hâte-toi, mon ami : tu n'as pas tant à vivre.
Je te rebats ce mot, car il vaut tout un livre.
Jouis. Je le ferai. Mais quand done? Dès demain.
Eh! mon ami, la mort te peut prendre en chemin.
Jouis dès aujourd'hui : redoute un fort femblable
A celui du Chaffeur & du Loup de ma Fable.

Le premier, de fon arc avoit mis bas un Daim,
II. Partie,

X

Un Fan de Biche passe, & le voilà foudain
Compagnon du défunt ; tous deux gifent fur l'herbe.
La proie étoit honnête, un Daim avec un Fan:
Tout modefte Chaffeur en eût été content:
Cependant un Sanglier, monftre énorme & fuperbe,
Tente encor notre Archer, friand de tels morceaux.
Autre habitant du Styx : la Parque & fes cifeaux
Avec peine y mordoient : (1) la Déesse infernale
Reprit à plufieurs fois l'heure au monftre fatal.
De la force du coup pourtant il s'abattit.
C'étoit affez de biens, mais quoi? Rien ne remplit
Les vaftes appétits d'un faifeur de conquêtes.
Dans le temps que le Porc revient à foi, l'Archer
Voit le long d'un fillon une Perdrix marcher,
Surcroît chétif aux autres têtes.

De fon arc toutefois il bande les refforts.
Le Sanglier rappellant les reftes de fa vie,
Vient à lui, le (2) décoût, meurt vengé sur son corps;
Et la Perdrix le remercie.

Cette part du récit s'adreffe aux convoiteux.
L'avare aura pour lui le reste de l'exemple.

Un Loup vit en paffant ce spectacle piteux.
O Fortune! dit-il, je te promets un temple.
Quatre corps étendus ! Que de bien ! Mais pourtant
Il faut les ménager, ces rencontres font rares.
(Ainfi s'excufent les avares)

J'en aurai, dit le Loup, pour un mois, pour autant. Un, deux, trois, quatre corps, ce font quatre femaines,

Si je fais compter, toutes pleines. Commençons dans deux jours; & mangeons cepen

dant

(1) Le Sanglier conferva quelque temps un refte de vie, quoique fa bleffure fuc

mortelle.

(2) Le déchire avec les défenfes

La corde de cet arc: il faut que l'on l'ait faite
De vrai boyau, l'odeur me le témoigne affez.
En difant ces mots, il fe jette

Sur l'arc qui fe détend, & fait de la (3) fajette
Un nouveau mort, mon Loup a les boyaux percés.

Je reviens à mon texte : il faut que l'on jouiffe,
Témoin ces deux gloutons punis d'un fort commun:
La convoitife perdit l'un,
L'autre périt par l'avarice.

(3) La fléche dreffée fur P'Arc. Sagette, vieux mot, formé de Sagitta, qui veur dire fléche. Sagette, étoit en. core en ufage du temps de Regnier, témoin ces vers qui méritent d'être retenus.

Ainfi les Actions aux langues
font fujettes:

Mais ces divers rapports font de
foibles fagettes,
Qui bleffen feulement ceux que
font mal armez.

Sat. V. v. 25. &c.

Fin du buitiéme Livre.

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