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Le Troupeau s'en fentit; & tu te fentiras
Du choix de femblable canaille.

Si tu fais bien, tu reviendras à moi.

Le Grec le crut. Ceci montre aux Provinces
Que tout compté, mieux vaut en bonne foi
S'abandonner à quelque puiffant Roi,
Que s'appuyer de plufieurs petits Princes.

FABLE XIX.

L'avantage de la Science.

E

Ntre deux Bourgeois d'une Ville
S'émut jadis un différend.

L'un étoit pauvre, mais habile:
L'autre riche, mais ignorant.
Celui-ci fur fon concurrent
Vouloit emporter l'avantage:
Prétendoit que tout homme fage
Etoit tenu de l'honorer.

C'étoit tout homme fot: car pourquoi révérer
Des biens dépourvûs de mérite?
La raifon m'en femble petite.
Mon ami, difoit-il fouvent
Au favant,

Vous vous croyez confidérable;

Mais, dites-moi, tenez-vous table?

Que fert à vos pareils de lire inceffamment ?
Ils font toujours logés à la troifiéme chambre,
Vétus au mois de Juin comme au mois de Décembre,
Ayant pour tout Laquais leur ombre feulement.
La République a bien affaire

De gens qui ne dépensent rien:

Je ne fais d'homme néceffaire,

Que celui dont le luxe épand beaucoup de bien.

Nous en ufons, Dieu fait : notre plaifir occupe
L'Artifan, le Vendeur, celui qui fait la jupe,
Et celle qui la porte; & vous qui dédiez
A Meffieurs les gens de Finance,
De méchans Livres bien payés.
Ces mots, remplis d'impertinence,
Eurent le fort qu'ils méritoient.

L'homme lettré fe tût, il avoit trop à dire.
La guerre le vengea bien mieux qu'une fatire.
(1) Mars détruifit le lieu que nos gens habitoient.
L'un & l'autre quitta fa Ville.
L'ignorant refta fans asyle:

Il reçut par tout des mépris:

L'autre reçut par tout quelque faveur nouvelle. Cela décida leur querelle.

Laiffez dire les fots; le favoir a fon prix.

(1) La guerre ruina cette Ville.

FABLE X X.

Jupiter & les Tonnerres.

Upiter

voyant nos fautes,

Dit un jour du haut des airs:
Rempliffons de nouveaux (1) hôtes
Les cantons de l'Univers,

Habités par cette race
Qui m'importune & me laffe.
Va-t-en, Mercure, aux Enfers:
Améne-moi la Furie

La plus cruelle des trois.

(1) D'autres hommes,

après avoir exterminé ceux

qui habitofent alors fur la

terre.

Race que j'ai trop chérie,
Tu périras cette fois.
Jupiter ne tarda guére
A modérer fon transport.

O vous, Rois, qu'il voulut faire
Arbitres de notre fort,

Laiffez entre la colére

Et l'orage qui la fuit,
L'intervalle d'une nuit.

Le Dieu dont (2) l'aîle est légére,
Et la langue a des (3) douceurs,
Alla voir les noires Sœurs.
A (4) Tifiphone & (4) Mégere
Il préféra, ce dit-on,
L'impitoyable (4) Alecon.
Ce choix la rendit fi fiére,
Qu'elle jura par Pluton
Que toute l'engeance humaine
Seroit bien-tôt du domaine
Des Déités de là-bas.
Jupiter n'approuva pas
Le ferment de (5) l'Euménide.
Il la renvoie, & pourtant
Il lance un foudre à l'inftant
Sur certain peuple perfide.
Le tonnerre ayant pour guide
Le pere même de ceux
Qu'il menaçoit de ces feux,
Se contenta de leur crainte;
Il n'embraza que l'enceinte
D'un défert inhabité.

(2) Mercure, meffager des Dieux.

(3) Qui parle agréable

ment.

(4) Les trois Furies d'Enfer.

ries.

(5) Nom général des Fu

Tout pere (6) frappe à côté.
Qu'arriva-t-il? Notre engeance
Prit piéd fur cette indulgence.
Tout l'Olympe s'en plaignit ;
Et (7) l'ambaffadeur des nuages
Jura le (8) Styx, & promit
De former d'autres orages:
Ils feroient fûrs. On foûrit:
On lui dit qu'il étoit pere;
Et qu'il laiflât, pour le mieux,
A quelqu'un des autres Dieux
D'autres tonnerres à faire.
(9) Vulcan entreprit l'affaire.
Ce Dieu remplit fes fourneaux
De deux fortes de carreaux.
L'un, jamais ne fe fourvoie,
Et c'eft celui que toujours
L'Olympe en corps nous envoie.
L'autre s'écarte en fon cours:
Ce n'eft qu'aux monts qu'il en coûte:
Bien fouvent même il se perd;
Et ce dernier en fa route
Nous vient du feul Jupiter.

(6) Ayant peur de faire du mal à fon enfant.

(7) Epithete qu'Homere donne très-fouvent à Jupi

ter.

(8) Fleuve de l'Enfer, par qui les Dieux juroient. (9) Ou Vulcain, Dieu du feu.

FABLE

X X I.

U

EABLE

Le Faucon le Chapon.

Ne traîtreffe voix bien fouvent vous appelle:
Ne vous preffez donc nullement :

Ce n'étoit pas un fot, non, non, & croyez-m'en,
Que le (1) Chien de Jean de Nivelle.

Un citoyen du Mans, Chapon de fon métier,
Etoit fommé de comparoître

Pardevant les (2) lares du maître,

Au pied d'un tribunal que nous nommons foyer.
Tous les gens lui crioient pour déguiser la chofe,
Petit, petit, petit : mais loin de s'y fier,

Le (3) Normand & demi laiffoit les gens crier :
Serviteur, difoit-il, votre appât eft groffier:
On ne m'y tient pas ; & pour caufe.
Cependant un (4) Faucon fur fa perche voyoit
Notre Manceau qui s'enfuyoit.

Les Chapons ont en nous fort peu de confiance,
Soit instinct, soit expérience.

Celui-ci qui ne fut qu'avec peine attrappé, Devoit, le lendemain, être d'un grand foupé, Fort à l'aife, en un plat, honneur dont la volaille Se feroit paffée aisément.

L'Oifeau chaffeur lui dit: Ton

peu

d'entendement Me rend tout étonné: Vous n'étes que racaille, Gens groffiers, fans efprit, à qui l'on n'apprend rien. Pour moi, je fais chaffer, & revenir au maître. Le vois-tu pas à la fenêtre ?

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