Page images
PDF
EPUB

Même précaution nuifit au Poëte (4) Æschile.
Quelque Devin le menaça, dit-on,
De la chûte d'une maison.

Auffi-tôt il quitta la ville,

Mit fon lit en plein champ, loin des toits, sous les Cieux.

Un Aigle qui portoit en l'air une Tortue,
Paffa par là, vit l'homme, & fur fa tête nue,
Qui parut un morceau de rocher à ses yeux,
Etant de cheveux dépourvûe,
Laiffa tomber fa proie afin de la caffer:
Le pauvre Æfchile ainsi sut ses jours avancer.

De ces exemples il résulte,

Que cet art, s'il eft vrai, fait tomber dans les maux
Que craint celui qui le confulte ;
Mais je l'en juftifie, & maintiens qu'il eft faux.
Je ne crois point que la Nature
Se foit lié les mains, & nous les lie encor,
Jufqu'au point de marquer dans les Cieux notre fort.
Il dépend d'une conjoncture

De lieux, de perfonnes, de temps;
Non des conjonctions de tous ces charlatans.
Ce Berger & ce Roi font fous même Planette;
L'un d'eux porte le fceptre & l'autre la houlette :
(5) Jupiter le vouloit ainfi.

Qu'est-ce que Jupiter? Un corps fans connoiffance. D'où vient donc que fon influence

Agit différemment fur ces deux homme-ci ? Puis comment pénétrer jusques à notre monde ? Comment percer des airs la campagne profonde? Percer (6) Mars, le Soleil, & des vuides fans fin? Un atôme la peut détourner en chemin :

(4) Ancien Poëte Grec, dont il nous refte quelques Tragédies.

(5) C'eft une des grandes

Planettes.

(6) Autre Planette audeffous de Jupiter, par rapà la Terre.

port

Où l'iront retrouver (7) les faiseurs d'Horoscope?
L'état où nous voyons l'Europe,

Mérite que du moins quelqu'un d'eux l'ait prévu;
Que ne l'a-t-il donc dit? Mais nul d'eux ne l'a fù.
L'immenfe éloignement, le point & fa vîteffe,
Celle auffi de nos paffions,
Permettent-ils à leur foibleffe

De fuivre pas à pas toutes nos actions?
Notre fort en dépend : fa courfe entresuivie,
Ne va, non plus que nous, jamais d'un même pas;
Et ces gens veulent au compas,
Tracer le cours de notre vie!

Il ne fe faut point arrêter

Aux deux faits ambigus que je viens de conter.
Ce fils par trop chéri, ni le bon homme Æfchile
N'y font rien. Tout aveugle & menteur qu'est cet art,
Il peut frapper au but une fois entre mille:
Ce font des effets du hazard.

[merged small][merged small][merged small][ocr errors]

IL

i

FABLE XVII.

L'Ane & le Chien.

Lfe faut entr'aider, c'eft la loi de nature:
L'Ane un jour pourtant s'en moqua:
Et ne fais comme il y manqua;
Car il eft bonne créature.

Il alloit par pays accompagné du Chien,
Gravement fans fonger à rien,

Tous deux fuivis d'un commun maître.
Ce maître s'endormit : l'Ane fe mit à paître:
Il étoit alors dans un pré,

Dont l'herbe étoit fort à fon gré.

Point de chardons pourtant,il s'en paffa pour l'heure:
Il ne faut pas toujours être fi délicat ;
Et faute de fervir ce plat,
Rarement un feftin demeure.

Notre Baudet s'en fut enfin

Paffer pour cette fois. Le Chien mourant de faim,
Lui dit: Cher compagnon, baiffe-toi, je te prie,
Je prendrai mon dîné dans le panier au pain.
Point de réponse, mot : le (1) Rouffin d'Arcadie
Craignit qu'en perdant un moment

[ocr errors]

Il ne perdît un coup de dent.
Il fit long-temps la fourde oreille:
Enfin il répondit: Ami, je te confeille
D'attendre que ton maître ait fini fon fommeil;
Car il te donnera fans faute à fon réveil
Ta portion accoûtumée :

Il ne fauroit tarder beaucoup.
Sur ces entrefaites un Loup

Sort du bois & s'en vient : autre bête affamée.

(1) Sobriquet de l'Anc.

L'Ane appelle auffi-tôt le Chien à fon fecours.
Le Chien ne bouge, & dit : Ami, je te conseille
De fuir en attendant que ton maître s'éveille:
Il ne fautoit tarder : détale vîte, & cours.
Que fi ce Loup t'atteint, caffe-lui la machoire.
On t'a ferré de neuf; & fi tu me veux croire,
Tu l'étendras tout plat. Pendant ce beau difcours
Seigneur Loup étrangla le Baudet fans reméde.
Je conclus qu'il faut qu'on s'entr'aide.

U

FABLE

XVIII.

Le Baffa & le Marchand.

N Marchand Grec, en certaine contrée, Faifoit trafic. (1) Un Bafla l'appuyoit, De quoi le Grec en Baffa le payoit: Non en Marchand : tant c'est chére denrée Qu'un protecteur. Celui-ci coûtoit tant, Que notre Grec s'alloit par tout plaignant. Trois autres Turcs d'un rang moindre en puiffance, Lui vont offrir leur fupport en commun. Eux trois vouloient moins de reconnoiffance Qu'à ce Marchand il n'en coûtoit pour un. Le Grec écoute: avec eux il s'engage; Et le Baffa du tout est averti :

[ocr errors]

Même on lui dit qu'il joûra, s'il eft fage,
A ces gens-là quelque méchant parti,
Les prévenant, les chargeant (2) d'un message
Pour Mahomet, droit en fon Paradis,
Et fans tarder: finon ces gens unis

Le préviendront, bien certains qu'à la ronde,

(1) Un Gouverneur de Province.

(2) Les envoyant trouver Mahomet dans l'autre mon de.

Il a des gens tout prêts pour le vengér.
Quelque poifon l'enverra protéger
Les Trafiquans qui font en l'autre monde.
Sur cet avis, le Turc fe comporta

Comme (3) Alexandre : & plein de confiance
Chez le Marchand tout droit il s'en alla ;
Se mit à table: on vit tant d'affurance
En fes difcours & dans tout fon maintien,
Qu'on ne crut point qu'il fe doutât de rien.
Ami, dit-il, je fais que tu me quittes:
Même l'on veut que j'en craigne les fuites:
Mais je te crois un trop homme de bien :
Tu n'as point l'air d'un donneur de(4)breuvage,
Je n'en dis pas là-deffus davantage.
Quant à ces gens qui penfent t'appuyer,
Ecoute-moi. Sans tant de dialogue,
Et de raifons qui pourroient t'ennuyer,
Je ne te veux conter qu'un Apologue.

Il étoit un Berger, fon Chien, & fon Troupeau;
Quelqu'un lui demanda ce qu'il prétendoit faire
D'un Dogue de qui l'ordinaire
Etoit un pain entier. Il falloit bien & beau
Donner cet animal au Seigneur du village.
Lui Berger, pour plus de ménage,
Auroit deux ou trois Mâtinaux,

Qui, lui dépenfant moins, veilleroient aux troupeaux,

Bien mieux que cette bête feule.

Il mangeoit plus que trois, mais on ne difoit pas
Qu'il avoit auffi triple gueule,

Quand les Loups livroient des combats. Le Berger s'en défait : il prend trois Chiens de taille A lui dépenfer moins, mais à fuir la bataille.

(3) Qui prit une médecine de la main de fon Médecin, quoiqu'on lui eût écrit que

ce Médecin devoit l'empoi fonner.

(4) De poison.

« PreviousContinue »