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Le Rat & l'Huitre.

'N Rat, hôte d'un champ, Rat de peu de cer velle,

UN

Des (1) Lares paternels un jour se trouva sou.
Il laiffe-là le champ, le grain & la javelle,
Va courir le pays, abandonne fon trou.
Si-tôt qu'il fut hors de la cafe,
Que le Monde, dit-il, eft grand & fpacieux!
Voilà les (2) Apennins, & voici le (3) Caucase:
La moindre Taupinée étoit mont à fes yeux.
Au bout de quelques jours le voyageur arrive`
En un certain canton, où (4) Thétis fur la rive
Avoit laiffé mainte Huître ; & notre Rat d'abord
Crut voir, en les voyant, des vaiffeaux de haut bord.
Certes, dit-il, mon pere étoit un pauvre Sire:
Il n'ofoit voyager, craintif au dernier point:
Pour moi, j'ai déjà vû le maritime Empire:
J'ai paffé les déferts, mais nous n'y bûmes point.
D'un certain Magifter le Rat tenoit ces choses:
Et les difoit à travers champs;

N'étant pas de ces Rats, qui les livres rongeans,
Se font favans jufques aux dents.
Parmi tant d'Huîtres toutes closes,

Une s'étoit ouverte, & bâillant au Soleil,
Par un doux Zéphir réjouie,

Humoit l'air, refpiroit, étoit épanouie,
Blanche, graffe, & d'un goût à la voir nompareil.
D'auffi loin que le Rat voit cette Huître qui bâille,

(1) De fa maifon.

(2) Hautes montagnes qui regnent le long de l'Italie,

(3) Grande montagne en

Afie.

(4) Déeffe de la mer,

pour la mer même,

Qu'apperçois-je ? dit-il, c'eft quelque vi&tuaille; Et, fi je ne me trompe à la couleur du mets, Je dois faire aujourd'hui bonne chere, ou jamais. Là-deffus maître Rat, plein de belle espérance, Approche de l'écaille, allonge un peu le cou, (5) Se fent pris comme aux lacs, car l'Huître tout d'un coup

Se referme; & voilà ce que fait l'ignorance.

Cette Fablé contient plus d'un enfeignement.
Nous y voyons premiérement,

Que ceux qui n'ont du monde aucune expérience
Sont aux moindres objets frappés d'étonnement;
Et puis, nous y pouvons apprendre,
Que tel eft pris qui croyoit prendre.

(5) On m'a affuré qu'il eft affez ordinaire de voir des Rats qui ont actuellement donné dans ce piége.

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Mais la Fable n'eft pas moins ingénieufe, ni moins inftructive, pour être fondée fur la vérité.

FABLE

X.

L'Ours & l'Amateur des Jardins.

CE

Ertain Ours montagnard, Ours à demi lêché, Confiné par le Sort dans un bois folitaire, Nouveau (1) Bellerophon, vivoit feul & caché: Il fût devenu fou la raifon d'ordinaire

(1) Prince valeureux, qui après avoir mis à fin les plus

terribles aventures, accablé d'une noire mélancolie, fe retira dans un défert, dit Homere, pour rompre tout commerce avec les hommes. Je n'ai garde de mettre ici

les paroles du Poëte. Da Grec! Eh qui s'attendroit à voir du Grec dans des Notes fur les Fables de La Fontaine? Cette bigarrure choqueroit infailliblement la feur des plus beaux efprits de es fiècle.

N'habite pas long-temps chez les gens(2) fequeftrés :
11 eft bon de parler, & meilleur de fe taire,
Mais tous deux font mauvais alors qu'il font outrés.
Nul animal n'avoit affaire

Dans les lieux que l'Ours habitoit ;
Si bien, que tout Ours qu'il étoit,

Il vint à s'ennuyer de cette trifte vie.
Pendant qu'il fe livroit à la mélancolie,
Non loin de là certain vieillard
S'ennuyoit auffi de fa part.

Il aimoit les Jardins, étoit Prêtre de (3) Flore,
Il l'étoit de (4) Pomone encore:

Ces deux emplois font beaux:mais je voudrois parmi,
Quelque doux & difcret ami.

Les Jardins parlent peu, fi ce n'eft dans mon Livre;
De façon que laffé de vivre

Avec des gens muets, notre homme un beau matin
Va chercher compagnie, & fe met en campagne..
L'Ours porté d'un même deflein,
Venoit de quitter fa montagne:
Tous deux, par un cas furprenant,
Se rencontrent en un tournant.

L'homme eut peur : mais comment efquiver, & que faire?

Se tirer en Gafcon d'une femblable affaire
Eft le mieux: il fut donc diffimuler fa peur.
L'Ours, très-mauvais complimenteur,
Lui dit: Vien-t'en me voir. L'autre reprit,Seigneur,
Vous voyez mon logis: fi vous vouliez me faire
Tant d'honneur que d'y prendre un champêtre repas,
J'ai des fruits, j'ai du lait. Ce n'eft peut-être pas
De Noffeigneurs les Ours le manger ordinaire,
Mais j'offre ce que j'ai. L'Ours l'accepte; & d'aller.
Les voilà bons amis avant que d'arriver.

Arrivés, les voilà, fe trouvant bien ensemble; (4) Déeffe des Fruits.

(2) Séparés des autres.
(3) Déeffe des Fleurs.

Et bien qu'on foit, à ce qu'il semble,

Beaucoup mieux feul qu'avec des fots, Comme l'Ours en un jour ne difoit pas deux mois L'homme pouvoit fans bruit vaquer à fon ouvrage. L'Ours alloit à la chaffe, apportoit du gibier,

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Faifoit fon principal métier

D'être bon (s) émoucheur, écartoit du visage
De fon ami dormant ce parasite aîlé

Que nous avons Mouche appellé. Un jour que le vieillard dormoit d'un profond fomme,

Sur le bout de fon než une allant fe placer,
Mit l'Ours au désespoir, il eut beau la chasser.
Je t'attraperai bien, dit-il. Et voici comme.
Auffi-tôt fait que dit; le fidéle émoucheur
Vous empoigne un pavé, le lance avec roideur,
Caffe la tête à l'homme en écrafant la mouche,
Et non moins bon archer que mauvais raisonneur,
Roide mort étendu fur la place il le couche.

Rien n'eft fi dangereux qu'un ignorant ami;
Mieux vaudroit un fage ennemi.

(5) De chaffer les mouches qui venoient piquer fon ami,

D

FABLE XI.

Les deux Amis.

Eux vrais amis viyoient au (1) Monomotapa: L'un ne poffédoit rien qui n'appartînt à l'autre : Les amis de ce pays-là

Valent bien, dit-on, ceux du nôtre,

Une nuit que chacun s'occupoit au fommeil, (1) Pays au Sud-eft de l'Afrique.

Et mettoit à profit l'abfence du Soleil,

Un de nos deux amis fort du lit en alarme :
Il court chez fon intime, éveille les valets:
(z) Morphée avoit touché le feuil de ce palais.
L'ami couché s'étonne, il prend fa bourse, il s'arme,
Vient trouver l'autre, & dit: Il vous arrive peu
De courir quand on dort: vous me paroiffiez homme
A mieux ufer du temps destiné pour le fomme:
N'auriez-vous point perdu tout votre argent au jeu ?
En voici : s'il vous eft venu quelque querelle,
J'ai mon épée, allons. Vous ennuyez-vous point
De coucher toujours feul? Une efclave affez belle
Etoit à mes côtés, voulez-vous qu'on l'appelle?
Non, dit l'ami, ce n'eft ni l'un ni l'autre point:
Je vous rens grace de ce zéle.

Vous m'êtes, en dormant, un peu trifte apparu :
J'ai craint qu'il ne fût vrai, je fuis vîte accouru.
Ce maudit fonge en eft la cause.

Qui d'eux aimoit le mieux, que t'en femble,Lecteur
Cette difficulté vaut bien qu'on la propose.
Qu'un ami véritable est une douce chofe!
Il cherche vos befoins au fond de votre cœur:
Il vous épargne la pudeur

De les lui découvrir vous-même.

Un fonge, un rien, tout lui fait peur
Quand il s'agit de ce qu'il aime.

(2) Le Dieu du fommeil, c'eft-à-dire, Tout le monde dormois dans ce Palaisy

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