Page images
PDF
EPUB

P

FABLE V.

L'Homme & la Puce.

Ar des vœux importuns nous fatiguons les
Dieux,

Souvent pour des sujets,même indignes des hommes.
Il femble que le Ciel, fur tous tant que nous fommes,
Soit obligé d'avoir inceffamment les yeux;
Et que le plus petit de la race mortelle,

A chaque pas qu'il fait, à chaque bagatelle,
Doive intriguer l'Olympe & tous fes citoyens,
Comme s'il s'agiffoit des Grecs & des Troyens.

Un fot par une Puce eut l'épaule mordue,
Dans les plis de fes draps elle alla se loger.
Hercule, fe dit-il, tu devois bien purger
La terre de cette Hydre au Printemps revenue.
Que fais-tu, Jupiter, que du haut de la nue
Tu n'en perdes la race afin de me venger?
Pour tuer une Puce il vouloit obliger
Ces Dieux à lui prêter leur foudre & leur maffue.

[blocks in formation]

R

Ien ne pefe tant qu'un fecret:

Le porter loin eft difficile aux Dames;
Et je fai même fur ce fait

Bon nombre d'hommes qui font femmes.

Pour éprouver la fienne un mari s'écria

La nuit étant près d'elle: O Dieux ! Qu'eft-ce cela?
Je n'en puis plus, on me déchire:
Quoi j'accouche d'un œuf! D'un œuf? Oui, le
voilà

Frais & nouveau pondu : gardez bien de le dire,
On m'appelleroit Poule. Enfin n'en parlez pas.
La femme neuve fur ce cas,

Ainfi que fur mainte autre affaire,

Crut la chofe, & promit fes grands Dieux de fe taire.
Mais ce ferment s'évanouit

Avec les ombres de la nuit.
L'époufe indifcrette & peu fine,

Sort du lit quand le jour fut à peine levé ;
Et de courir chez fa voifine.

Ma commere, dit-elle, un cas est arrivé:

N'en dites rien fur tout, car vous me feriez battre. Mon mari vient de pondre un œuf gros comme quatre.

Au nom de Dieu, gardez-vous bien
D'aller publier ce mystére.

Vous moquez-vous? dit l'autre : Ah, vous ne favez guére

Quelle je fuis. Allez, ne craignez rien.
La femme du Pondeur s'en retourne chez elle.
L'autre grille déjà de conter la nouvelle:
Elle va la répandre en plus de dix endroits.

Au lieu d'un œuf elle en dit trois.

[ocr errors]

Ce n'eft pas encor tout, car une autre commere
En dit quatre; & raconte à l'oreille le fait :
Précaution peu néceffaire,

Car ce n'étoit plus un fecret.

Comme le nombre d'œufs, grace à la Renommée, De bouche en bouche alloit croiffant,

Avant la fin de la journée,

Ils fe montoient à plus d'un cent.

[blocks in formation]

Le Chien qui porte à son cou le dîné de
Jon Maître.

Nous

Ous n'avons pas les yeux à l'épreuve des belles,
Ni les mains à celle de l'or:

Peu de gens gardent un tréfor

Avec des foins affez fidéles.

Certain Chien qui portoit la pitance au logis,
S'étoit fait un colier du dîner de fon maître.
Il étoit tempérant plus qu'il n'eût voulu l'être,
Quand il voyoit un mets exquis:

Mais enfin il l'étoit ; & tous tant que nous fommes,
Nous nous laiffons tenter à l'approche des biens.
Chofe étrange! On apprend la tempérance aux
Chiens,

Et l'on ne peut l'apprendre aux hommes. Ce Chien-ci donc étant de la forte atourné, Un Mâtin paffe, & veut lui prendre le dîné. Il n'en eut pas toute la joie

Qu'il efpéroit d'abord : le Chien mit bas la proie, Pour la défendre mieux, n'en étant plus chargé. Grand combat: D'autres Chiens arrivent. Ils étoient de ceux-là qui vivent

Sur le public, & craignent peu les coups. Notre Chien fe voyant trop foible contre eux tous, Et que la chair couroit un danger manifeste, Voulut avoir fa part; Et lui fage, il leur dit : Point de courroux, Meffieurs, mon lopin me fuffit: Faites votre profit du reste.

A ces mots, le premier il vous hape un morceau,
Et chacun de tirer, le Mâtin, la canaille;

A

A qui mieux mieux ; ils firent tous (1) ripaille;
Chacun d'eux eut part au gâteau.

Je crois voir en ceci l'image d'une Ville,
Où l'on met les deniers à la merci des gens.
Echevins, Prévôt des Marchands,

Tout fait fa main : le plus habile
Donne aux autres l'exemple ; & c'est un passe-temps
De leur voir nétoyer un monceau de pistoles.
Si quelque fcrupuleux, par des raisons frivoles,
Veut défendre l'argent, & dit le moindre mot,
On lui fait voir qu'il eft un fot.

Il n'a pas de peine à fe rendre :
C'eft bien-tôt le premier à prendre.

(1) Firent grand'chére.

O

[blocks in formation]

N cherche les Rieurs ; & moi je les évite.
Cet art veut fur tout autre un fuprême mérite.
Dieu ne créa que pour les fots

Les (1) méchans difeurs de bons mots.
J'en vais, peut-être, en une Fable
Introduire un peut-être auffi

Que quelqu'un trouvera que j'aurai réuffi.

Un Rieur étoit à la table

(1) Gens d'un efprit fade, pefant & fuperficiel, qui croyant l'avoir agréable, vif , profond & délicat, débitent hardiment II. Partie.

nous

des penfées vulgaires & très-
infipides comme quelque
chofe d'exquis & de vérita
blement plaifant, dont ils
rient tout les premiers.
$

D'un Financier; & n'avoit en fon coin

Que de petits poiffons; tous les gros étoient loin.
Il prend donc les menus, puis leur parle à l'oreille;
Et puis il feint à la pareille

D'écouter leur réponse. On demeura furpris:
Cela fufpendit les efprits.

Le Rieur alors, d'un ton fage,
Dit, qu'il craignoit qu'un fien ami
Pour les grandes Indes parti,

N'eût depuis un an fait naufrage.
Il s'en informoit donc à ce menu fretin:
Mais tous lui répondoient, qu'ils n'étoient point
d'un âge

A favoir au vrai fon deftin :

Les gros en fauroient davantage.

N'en puis-je done, Meffieurs, un gros interroger? De dire fi la compagnie

Prit goût à fa plaifanterie,

J'en doute: mais enfin il les fut engager

A lui fervir d'un monftre affèz vieux pour lui dire Tous les noms des (2) chercheurs de Mondes in

connus,

Qui n'en étoient pas revenus, Et que depuis cent ans, fous (3) l'abysme avoient

vûs

Les anciens du vaste Empire.

(2) Les voyageurs.

(3) Dans la men

« PreviousContinue »