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De compter de la forte; & je n'entaffe guére
Un jour fur l'autre : il fuffit qu'à la fin
J'attrappe le bout de l'année:
Chaque jour améne fon pain.

Et bien, que gagnez-vous, dites-moi, par journée?
Tantôt plus, tantôt moins: le mal eft que toujours,
(Et fans cela nos gains feroient aflez honnêtes,)
Le mal eft que dans l'an s'entremêlent des jours
Qu'il faut chommer: on nous ruine en Fêtes.
L'une fait tort à l'autre : & Monfieur le Curé,
De quelque nouveau Saint charge toujours fon
Prône.

Le Financier riant de fa naïveté,

Lui dit Je vous veux mettre aujourd'hui fur le trône.

Prenez ces cent écus: gardez-les avec foin,
Pour vous en fervir au befoin.

Le Savetier crut voir tout l'argent que la terre
Avoit, depuis plus de cent ans,
Produit pour l'ufage des gens.

Il retourne chez lui : dans fa cave il enferre
L'argent & fa joie à la fois.

Plus de chant: il perdit la voix

Du moment qu'il gagna ce qui caufe nos peines.
Le fommeil quitta fon logis,

Il eut pour hôtes les foucis,
Les foupçons, les alarmes vaines.

Tout le jour il avoit l'œil au guet; & la nuit,
Si quelque Chat faifoit du bruit,

Le Chat prenoit l'argent. A la fin le pauvre homme
S'en courut chez celui qu'il ne réveilloit plus.
Rendez-moi, lui dit-il, mes chanfons & mon fomme,
Et reprenez vos cent écus.

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Le Lion, le Loup & le Renard.

N Lion décrépit, gouteux, n'en pouvant plus, Vouloit que l'on trouvât reméde à la vieille fle; Alléguer l'impoffible aux Rois, c'eft un abus.

Celui-ci, parmi chaque espéce,

Manda des Médecins : il en eft de tous arts:
Médecins au Lion viennent de toutes parts:
De tous côtés lui vient des donneurs de recettes.
Dans les vifites qui font faites,

Le Renard fe difpenfe, & fe tient clos & coi.
Le Loup en fait fa cour, daube au coucher du Roi
Son camarade abfent; le Prince tout à l'heure
Veut qu'on aille enfumer Renard dans fa demeure,
Qu'on le faffe venir. Il vient, eft préfenté;
Et fachant que le Loup lui faifoit cette affaire:
Je crains, Sire, dit-il, qu'un rapport peu fincére
Ne m'ait à mépris imputé

D'avoir différé cet hommage:
Mais j'étois en pélerinage,

Et m'acquittois d'un vou fait pour votre santé.
Même j'ai vu dans mon voyage
Gens experts & favans; leur ai dit la langueur
Dont votre Majefté craint à bon droit la fuite:
Vous ne manquez que de chaleur :

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Le long âge en vous l'a détruite.

D'un Loup écorché vif appliquez-vous la peau
Toute chaude & toute fumante :

Le fecret fans doute en est beau
Pour la nature défaillante.
Meffire Loup vous fervira,

S'il vous plaît, de robe de chambre.
Le Roi goûte cet avis-là ?

On écorche, on taille, on démembre
Meffire Loup. Le Monarque en foupa,
Et de fa peau s'enveloppa.

Meffieurs les Courtifans, ceffez de vous détruire:
Faites, fi vous pouvez, votre cour fans vous nuire.
Le mal fe rend chez vous au quadruple du bien.
Les (1) daubeurs ont leur tour, d'une ou d'autre
maniére :

Vous êtes dans une carriére

Où l'on ne fe pardonne rien.

(1) Ceux qui, par de mauvais difcours, tâchent de nuire aux autres.

FABLE IV.

Le Pouvoir des Fables.

A (1) MONSIEUR DE BARILLON.

LA qualité d'Ambaffadeur

Peut-elle s'abaiffer à des contes vulgaires?
Vous puis-je offrir mes vers & leurs graces légeres?
S'ils ofent quelquefois prendre un air de grandeur,
Seront-ils point traités par vous de téméraires?
Vous avez bien d'autres affaires
A démêler que les débats

Du Lapin & de la Belette.
Lifez-les, ne les lifez pas:

Mais empêchez qu'on ne nous mette
Toute l'Europe fur les bras.
Que de mille endroits de la terre
Il nous vienne des ennemis,

(1) Qui pour lors étoit Ambassadeur en Angleterre.

:

J'y confens mais que l'Angleterre Veuille que (2) nos deux Rois fe laffent d'être amis, J'ai peine à digérer la chose.

N'eft-il pas encor temps que Louis fe repofe?
Quel autre (3) Hercule enfin ne fe trouveroit las
De combattre cette (4) Hydre ? Et faut-il qu'elle
oppofe

Une nouvelle tête aux efforts de fon bras?

Si votre efprit plein de foupleffe,
Par éloquence & par adreffe,
Peut adoucir les cœurs, & détourner ce coup,
Je vous facrifierai cent Moutons : c'eft beaucoup
Pour un (5) habitant du Parnaffe.
Cependant faites-moi la grace

De prendre en don ce peu d'encens.
Prenez en gré mes vœux ardens,

Et le récit en vers qu'ici je vous dédie.
Son fujet vous convient je n'en dirai pas plus.
Sur les Eloges que l'Envie

Doit avouer qui vous font dûs,
Vous ne voulez pas qu'on appuie.

Dans Athene autrefois, peuple vain & léger,
Un Orateur voyant fa Patrie en danger,
Courut à la (6) Tribune; & d'un art tyrannique,
Voulant forcer les cœurs dans une République,
Il parla fortement fur le commun falut.
On ne l'écoutoit pas : l'Orateur recourut
A ces (7) figures violentes

(2) Louis XIV, Roi de France, & Charles II. Roi d'Angleterre.

(3) Héros fameux par fes grands travaux.

(4) Serpent à plufieurs têtes, auquel une tête étant coupée il en renaiffoit nombre d'autres.

(5) Un Poëte, qui d'ordinaire n'eft pas riche. (6) Lieu élevé, d'où l'on haranguoit le Peuple.

(7) De Rhétorique, façons de parler, qui préfentent à l'Esprit des images vives, touchantes, &c.

Qui favent exciter les ames les plus lentes.
Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu'il put.
Le vent emporta tout, perfonne ne s'émut.

(8) L'animal aux têtes frivoles

Etant fait à ces traits, ne daignoit l'écouter.
Tous regardoient ailleurs : il en vit s'arrêter
A des combats d'enfans, & point à fes paroles,
Que fit le Harangueur ? Il prit un autre tour.
(9) Cérès, commença-t-il, faifoit voyage un jour
Avec l'Anguille & l'Hirondelle :

Un fleuve les arrête ; & l'Anguille en nageant,
Comme l'Hirondelle en volant,

Le traverfa bien-tôt. L'affemblée à l'inftant
Cria tout d'une voix: Et Cérès, que fit-elle ?
Ce qu'elle fit? Un prompt courroux
L'anima d'abord contre vous.

Quoi, de contes d'enfans (10) fon peuple s'embarraffe!

Et du péril qui le menace

Lui feul, entre les Grecs, il néglige l'effet!
Que ne demandez-vous ce que (11) Philippe fait
A ce reproche l'affemblée

Par (12) l'Apologue réveillée

Se donne entiere à l'Orateur :

Un trait de Fable en eut l'honneur.

Nous fommes tous d'Athene en ce point; & moimême

Au moment que je fais cette moralité,

Si (13) Peau-d'Ane m'étoit conté,
J'y prendrois un plaifir extrême.

Le monde eft vieux, dit-on, je le crois : cependant
Il le faut amufer encor comme un enfant.

(8) Le Peuple.

(9) La Déeffe des bléds. (10) Les Athéniens étoient fous la protection de Cérès.

(11) Roi de Macédoine, qui leur faifoit la guerre(12) La Fable,

(13) Vieux Conte, dont on amufe les petits enfans.

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