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Développe le vrai caché fous l'apparence.
Je ne fuis point d'intelligence

Avecque mes regards peut-être un peu trop prompts,
Ni mon oreille lente à m'apporter les fons.
Quand (2) l'eau courbe un bâton, ma raison le
redreffe:

La raifon décide en maîtreffe.

Mes yeux, moyennant ce fecours,

Ne me trompent jamais en me mentant toujours.
Si je crois leur rapport, erreur affez commune,
Une tête de femme eft au corps de la Lune.
Y peut-elle être? Non. D'où vient donc cet objet ?
Quelques lieux inégaux font de loin cet effet.
La Lune nulle part n'a fa furface unie:
Montueufe en des lieux, en d'autres applanie,
L'ombre avec la lumiére y peut tracer fouvent
Un Homme, un Bœuf, un Eléphant.
Naguère l'Angleterre y vit chofe pareille.
La (3) lunette placée, un animal nouveau
Parut (4) dans cet Aftre fi beau;

Et chacun de crier merveille.
Il étoit arrivé là-haut un changement,
Qui préfageoit fans doute un grand événement.
Savoit-on fi la guerre entre tant de Puiflances
N'en étoit point l'effet? Le Monarque accourut :
Il favorife en Roi ces hautes connoissances.
Le Monftre dans la Lune à son tour lui parut.
C'étoit une Souris cachée entre les verres :
Dans la lunette étoit la fource de ces guerres.
On en rit: Peuple heureux ! Quand pourront les
François

Se donner comme vous entiers à ces emplois ?
Mars nous fait recueillir d'amples moiffons de gloire.
C'est à nos ennemis de craindre les combats,

(2) Parce qu'ir paroît courbé dans l'eau.

(3) Lunette d'approche,

propre à regarder les Aftres. (4) Dans ce bel Aftre, la Lune.

A nous de les chercher, certains que la Victoire
Amante de (s) Louis fuivra par tout fes pas
Ses Lauriers nous rendront célébres dans l'Hiftoire.
Même les Filles de mémoire

Ne nous ont point quittés : nous goûtons des plaifirs:
La paix fait nos fouhaits, & non point nos foupirs.
(6) Charles en fait jouir : Il fauroit dans la guerre
Signaler fa valeur, & mener l'Angleterre
A ces jeux qu'en repos elle voit aujourd'hui.
Cependant s'il pouvoit appaifer la (7) querelle,
Que d'encens! Eft-il rien de plus digne de lui?
La (8) carriere d'Augufte a-t-elle été moins belle
Que les fameux exploits du premier des (9) Céfars?
O peuple trop heureux! Quand la paix viendra-t-elle

Nous rendre comme vous tout entiers aux beaux arts?

(5) XIV. alors Roi de France.

(6) II. du nom, Roi d'Angleterre.

(7) La France étoit en

guerre dans ce temps-là.

(8) Qui a prefque toujours regné en paix. (9) Jules Cefar, qui fit toujours la guerre.

Fin du feptiéme Livre.

LIVRE HUITIEME.

FABLE PREMIERE.
La Mort & le Mourant.

A mort ne furprend point
le fage:

11 eft toujours prêt à partir, S'étant fû lui-même aver

tir

Du temps où l'on le doit réfoudre à ce paffage.
Ce temps, hélas ! embraffe tous les temps:
Qu'on le partage en jours, en heures, en momens,
Il n'en eft point qu'il ne comprenne
Dans le fatal tribut: tous font de fon domaine:
Et le premier inftant où les enfans des Rois
Ouvrent les yeux à la lumiére,
Eft celui qui vient quelquefois,
Fermer pour toujours leur paupiére.
Défendez-vous par la grandeur,

Alléguez la beauté, la vertu, la jeuneflè,
La Mort ravit tout fans pudeur.
Un jour le monde entier accroîtra fa richeffe.
Il n'eft rien de moins ignoré;
Et, puifqu'il faut que je le die,
Rien où l'on foit moins préparé.

Un Mourant qui comptoit plus de cent ans de vie,

Se plaignoit à la Mort que précipitamment
Elle le contraignoit de partir tout à l'heure,
Sans qu'il eût fait fon teftament,

Sans l'avertir au moins. Eft-il jufte qu'on meure
Au piéd levé? dit-il: attendez quelque peu.
Ma femme ne veut pas que je parte fans elle :
11 me refte à pourvoir un arriere-neveu:
Souffrez qu'à mon logis j'ajoûte encore une aîle.
Que vous êtes preffante, ô Déeflè cruelle !
Vieillard, lui dit la Mort, je ne t'ai point furpris.
Tu te plains fans raifon de mon impatience.
Eh n'as-tu pas cent ans? Trouve-moi dans Paris
Deux mortels auffi vieux,trouve m'en dix en France.
Je devois, ce dis-tu, te donner quelque avis
Qui te difpofât à la chofe:

J'aurois trouvé ton teftament tout fait,
Ton petit-fils pourvû, ton bâtiment parfait.
Ne te donna-t-on pas des avis, quand la cause
Du marcher & du mouvement,
Quand les efprits, le fentiment,

Quand tout faillit en toi? Plus de goût, plus d'oüie:
Toute chofe pour toi femble être évanouie:
Pour toi l'aftre du jour prend des foins fuperflus:
Tu regrettes des biens qui ne te touchent plus.
Je t'ai fait voir tes camarades,

Ou morts, ou mourans, ou malades.
Qu'est-ce que tout cela, qu'un avertiffement?
Allons, vieillard, & fans réplique:
Il n'importe à la République

Que tu faffes ton teftament.

La Mort avoit raifon : Je voudrois qu'à cet âge
(1) On fortît de la vie ainfi que d'un banquet,
Remerciant fon hôte, & qu'on fît fon paquet:
Car de combien peut-on retarder le voyage?

(1) Belle image que La Fontaine a empruntée de ce vers de Lucréce,

Cur non ut plenus vita conviva

recedis.

Lib. 3. vers la fine

Tu murmures, vieillard : voi ces jeunes mourir,
Voi-les marcher, voi-les courir

A des (2) morts, il est vrai, glorieuses & belles,
Mais fûres cependant, & quelquefois cruelles.
J'ai beau te le crier, mon zéle eft indiscret:
Le plus femblable aux morts, meurt le plus à regret.

(2) Que les gens de guerre rencontrent fouvent dans la feur de leur âge.

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FABLE II.

Le Savetier & le Financier.

N Savetier chantoit du matin jufqu'au foir: C'étoit merveille de le voir, Merveille de l'oüir : il faifoit des (1) paffages,

Plus content qu'aucun des sept (2) Sages. Son voisin, au contraire, étant tout coufu d'or, Chantoit peu, dormoit moins encor.

C'étoit un homme de finance.

Si fur le point du jour par fois il fommeilloit,
Le Savetier alors en chantant l'éveilloit;
Et le Financier fe plaignoit,
Que les foins de la Providence

N'euffent pas au marché fait vendre le dormir,
Comme le manger & le boire.

En fon hôtel il fait venir

Le chanteur, & lui dit : Or, ça, Sire Gregoire, Que gagnez-vous par an? Par an? Ma foi,Monfieur, Dit avec un ton de rieur

Le gaillard Savetier, ce n'eft point ma maniére

(1) Des fredons, des roulemens de voix, tels qu'en pouvoit faire un homme de

fa forte.

(2) De Grèce, connus fous ce nom là.

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