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Un féjour d'où l'on pût, en toutes les familles, L'envoyer à jour arrêté.

Comme il n'étoit alors aucun Couvent de Filles,
On y trouva difficulté.

L'Auberge enfin de (4) l'Hymenée
Lui fut pour maison affignée.

(4) Parce qu'il y a peu de mariages bien d'accord.

L

FABLE XXI.

La jeune Veuve,

A perte d'un Epoux ne va point fans foupirs,
On fait beaucoup de bruit, & puis on fe confole.
Sur les aîles du Temps la trifteffe s'envole,
Le temps ramène les plaisirs.

Entre la Veuve d'une année,
Et la Veuve d'une journée,

La différence eft grande. On ne croiroit jamais
Que ce fût la même perfonne.

L'une fait fuir les gens, & l'autre a mille attraits:
Aux foupirs vrais ou faux celle-là s'abandonne :
C'est toujours même note, & pareil entretien :
On dit qu'on eft inconfolable:

On le dit, mais il n'en eft rien,
Comme on verra par cette Fable,
Ou plûtôt par la vérité.

L'Epoux d'une jeune beauté

Partoit pour l'autre monde. A fes côtés sa femme Lui crioit: Attens-moi, je te fuis: & mon ame, Auffi-bien que la tienne, eft prête à s'envoler, Le mari fait feul le voyage.

La Belle avoit un pere, homme prudent & fage:

Il laiffa le torrent couler.

A la fin, pour la confoler,

Ma fille, lui dit-il, c'est trop verfer de larmes: Qu'a befoin le défunt que vous noyiez vos charmes ? Puifqu'il eft des vivans, ne fongez plus aux morts. Je ne dis pas que tout à l'heure

Une condition meilleure,

Change en des nôces ces tranfports:

Mais après certain temps, fouffrez qu'on vous propofe

Un Epoux beau, bien fait, jeune, & tout autre chofe Que le défunt. Ah! dit-elle auffi-tôt,

Un (1) Cloître eft l'Epoux qu'il me faut.

Le pere lui laiflà digérer fa difgrace.

Un mois de la forte fe paffe.

L'autre mois, on l'emploie à changer tous les jours
Quelque chofe à l'habit, au linge, à la coëfure:
Le deuil enfin fert de parure,

En attendant d'autres atours.
Toute la bande des Amours

Revient au (2) colombier : les jeux, les ris, la danse
Ont auffi leur tour à la fin.
On fe plonge foir & matín

Dans la (3) fontaine de Jouvence.
Le pere ne craint plus ce défunt tant chéri :
Mais comme il ne parloit de rien à notre Belle;

(1) Dit qu'elle veut fe faire Religieufe.

(2) Rentrent en foule dans le cœur de la Veuve, leur véritable domaine, leur féjour naturel & ordinaire : ce que La Fontaine a pris plaifir d'appeller Revenir au Colombier, expreffion proverbiale, qui a été introduite dans la Langue, par allufion à ce que font les Pigeons, qui tranfportés bien loin de

chez eux, reviennent toujours au Colombier, où ils ont reçû leur premiere nourriture

(3) Dans les plaifirs dont la Jeuneffe aime à faire fon unique amufement. Par la Fontaine de Jouvence, ( fi&tion chimérique & Romanefque on entend une eau qui à la propriété de rajeunir ceux qui en boivent,

Où donc eft le jeune mari
Que vous m'avez promis? dit-elle.

(1) EPILOGUE.

B

Ornons ici cette carriére.
Les longs ouvrages me font peur.
Loin d'épuifer une matiére,
On n'en doit prendre que la fleur.
Il s'en va temps que je reprenne
Un peu de forces & d'haleine,
Pour fournir à d'autres projets.
Amour, ce tyran de ma vie,
Veut que je change de sujets:
11 faut contenter fon envie.

(2) Retournons à Pfyché : Damon, vous m'exhortez A peindre fes malheurs & fes félicités.

J'y confens peut-être ma veine
En fa faveur s'échauffera.

Heureux fi ce travail eft la derniere peine
Que fon Epoux me caufera!

(1) Conclufion.

(2) Ici La Fontaine veut parler d'un petit Ouvrage en Profe & en Vers, où il a raconté très agréablement les Aventures de Pfyché, mais qu'il n'avoit pas encore achevé quand il dit, Retournons à Pfyché. Quoique le

fond de cet Ouvrage foit tiré d'Apulée, Auteur Latin, La Fontaine a trouvé le fecret de l'enrichir de plufieurs beaux Tableaux de fon invention, qui dans l'opinion de bien des gens le mettent au-deffus de l'ancien origi nal.

Fin du fixiéme Livre.

FABLES

CHOISIES.

SECONDE PARTIE.

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