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L

FABLE XI.

L'Ane & fes Maitres.

'Ane d'un Jardinier se plaignoit au Destin
De ce qu'on le faifoit lever devant l'Aurore.
Les Coqs, lui difoit-il, ont beau chanter matin,
Je fuis plus matineux encore.

Et pourquoi ? Pour porter des herbes au marché.
Belle néceffité d'interrompre mon fomme!
Le Sort, de fa plainte touché,

Lui donne un autre Maître; & l'animal de fomme
Paffe du Jardinier aux mains d'un Corroyeur.
La pefanteur des peaux, & leur mauvaise odeur
Eurent bien-tôt choqué l'impertinente bête.
J'ai regret, difoit-il, à mon premier Seigneur:
Encor, quand il tournoit la tête,

J'attrappois, s'il m'en fouvient bien,
Quelque morceau de chou qui ne me coûtoit rien :
Mais ici (1) point d'aubaine, ou fij'en ai quelqu'une,
C'eft de coups. Il obtint changement de fortune;
Et fur l'état d'un Charbonnier

Il fut couché tout le dernier.

Autre plainte. Quoi donc, dit le Sort en colere, Ce Baudet-ci m'occupe autant

Que cent Monarques pourroient faire.

Croit-il être le feul qui ne foit pas content?
N'ai-je en l'efprit que fon affaire ?

Le Sort avoit raifon : tous gens font ainfi faits
Notre condition jamais ne nous contente:
La pire eft toujours la préfente.

Nous fatiguons le Ciel à force de (2) placets.

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Qu'à chacun Jupiter accorde fa requête,
Nous lui romprons encor la tête.

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A

Le Soleil & les Grenouilles.

Ux nôces d'un Tyran tout le Peuple en liesse
Noyoit fon fouci dans les pots.

Efope feul trouvoit que les gens étoient fots
De témoigner tant d'allegreffe.
Le Soleil, difoit-il, eut deffein autrefois
De fonger à (1) l’Hyménée.
Auffi-tôt on oüit, d'une commune voix,
Se plaindre de leur destinée

Les (2) Citoyennes des Etangs.

Que ferons-nous s'il lui vient des enfans? Dirent-elles au Sort, un feul Soleil à peine Se peut fouffrir : une demi douzaine Mettra la Mer à fec & tous fes Habitans. Adieu joncs & marais: notre race eft détruite : Bien-tôt on la verra réduite

A l'eau du (3) Styx. Pour un pauvre animal, Grenouilles, à mon fens, ne raifonnoient pas mal.

(1) A fe marier.

*(3) Les Grenouilles qui vivent dans les Etangs.

(3) Fleuve de l'Enfer felon les Poëtes,

FABLE XIII.

Le Villageois & le Serpent.

Sope conte qu'un Manant
Charitable autant que peu fage,
Un jour d'hyver se promenant
A l'entour de fon héritage,

Apperçut un Serpent fur la neige étendu,
Tranfi, gelé, perclus, immobile rendu,

N'ayant pas à vivre un quart d'heure.

Le Villageois le prend, l'emporte en fa demeure;
Et fans confidérer quel fera le (1) loyer
D'une action de ce mérite,

Il l'étend le long du foyer,
Le réchauffe, le reffufcite.
L'animal engourdi fent à peine le chaud,
Que l'ame lui revient avecque la colere.
Il léve un peu la tête, & puis fiffle auffi-tôt,
Puis fait un long repli, puis tâche à faire un faut
Contre fon bienfaiteur, fon fauveur & fon pere.
Ingrat, dit le Manant, voilà donc mon falaire ?
Tu mourras. A ces mots, plein d'un jufte courroux
Il vous prend fa cognée, il vous tranche la bête,
Il fait trois Serpens de deux coups,

Un tronçon, la queue, & la tête.

L'infe&te, fautillant, cherche (2) à fe réunir,
Mais il ne put y parvenir.

Il eft bon d'être charitable :
Mais envers qui, c'eft là le point.
Quant aux ingrats, il n'en eft point
Qui ne meure enfin miférable.

(1) La récompenfe.

1

(2) Se rejoindre

FABLE XIV.

Le Lion malade & le Renard.

DE Parle (1) des Animalade,

E par le (1) Roi des Animaux,

Fut fait favoir à fes vaffaux
Que chaque efpece en Ambaffade
Envoyât gens le vifiter,

Sous promeffe de bien traiter
Les Députés, eux & leur fuite:
Foi de Lion très-bien écrite.
Bon paffe-port contre la dent,
Contre la griffe tout autant.
L'Edit du Prince s'execute.
De chaque Efpece on lui députe.
Les Renards gardant la maifon,
Un d'eux en dit cette raifon,

Les pas empreints fur la pouffiére,

Par ceux qui s'en vont faire au malade leur cour
Tous, fans exception, regardent fa taniére:
Pas un ne marque de retour.
Cela nous met en méfiance.
Que fa Majefté nous difpenfe.
Grand-merci de fon paffe-port.
Je le crois bon: mais dans cet antre
Je vois fort bien comme l'on entre
Et ne vois pas comme on en fort.

(1) Le Lion.

FABLE

X V.

L'Oifeleur, l'Autour & Alouette.

L

Es injuftices des pervers

Servent fouvent d'excufe aux nôtres. Telle eft la loi de l'Univers:

Si tu veux qu'on t'épargne, épargne aussi les autres.

Un Manant au (1) miroir prenoit des Oifillons.
Le fantôme brillant attire une Alouette.
Auffi-tôt un (2) Autour planant fur les fillons,
Defcend des airs, "fond & fe jette
Sur celle qui chantoit, quoique près du tombeau.
Elle avoit évité la perfide machine,
Lorfque fe rencontrant fous la main de l'Oifeau,
Elle fent fon (3) ongle maligne.

Pendant qu'à la plumer l'Autour eft occupé,
Lui-même fous les rets demeure enveloppé.
Oifeleur, laisse-moi, dit-il en fon langage:
Je ne t'ai jamais fait de mal.
L'Oifeleur repartit: Ce petit animal
T'en avoit-il fait davantage?

(1) Efpéce de chasse aux petits oifeaux.

(2) Oifeau de proie. (3) Quoique le mot d'Ongle foit mafculin, La Fon

taine le fait ici féminin, felon l'ufage de quelques Provinces, où l'on ne lui donne point d'autre genre.

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