FABLE V I.
Le Renard, le Singe & les Animaux.
Es Animaux, au décès d'un Lion,
En fon vivant, Prince de la contrée, Pour faire un Roi s'affemblerent, dit-on. De fon étui la Couronne eft tirée. Dans une (1) chartre un Dragon la gardoit. Il fe trouva que fur tous eflàyée, A pas un d'eux elle ne convenoit. Plufieurs avoient la tête trop menue, Aucuns trop groffe, aucuns même cornue. Le Singe auffi fit l'épreuve en riant; Et, par plaifir, la Thiare effayant, Il fit autour force grimaceries, Tours de foupleffe, & mille fingeries, Paffa dedans ainfi qu'en un cerceau. Aux Animaux cela fembla fi beau, Qu'il fut élû : chacun lui fit hommage. Le Renard feul regretta fon fuffrage: Sans toutefois montrer fon fentiment. Quand il eut fait fon petit compliment, Il dit au Roi: Je fai, Sire, une cache ; Et ne crois pas qu'autre que moi la fache. Or tout tréfor, par droit de Royauté, Appartient, Sire, à votre Majefté. Le nouveau Roi bâille après la Finance: Lui-même y court pour n'être pas trompé. C'étoit un piége: il y fut attrapé.
Le Renard dit, au nom de l'affistance:
(1) Le mot de Chartre fignifie proprement une Prifon, & nos vieux Romanciers l'employent fouvent
en ce fens là. Il fe prend ici pour un lieu propre à mettre quelque chofe en fûreté
Prétendrois-tu nous gouverner encor, Ne fachant pas te conduire toi-même ? Il fut démis ; & l'on tomba d'accord, Qu'à peu de gens convient le Diadême.
Le Mulet fe vantant de fa (1) Généalogie.
E Mulet d'un Prélat fe piquoit de noblesse, Et ne parloit inceflàmment Que de fa mere la Jument,
Dont il contoit mainte proueffe.
Elle avoit fait ceci, puis avoit été là. Son fils prétendoit pour cela,
Qu'on le dût mettre dans l'Hiftoire. Il eût crû s'abaiffer fervant un Médecin. Etant devenu vieux, on le mit au moulin. Son pere l'Ane alors lui revint en mémoire.
Quand le malheur ne feroit bon Qu'à mettre un fot à la raifon, Toujours feroit-ce à jufte cause, Qu'on le dit bon à quelque chofe.
(1) La fuite de fes Ancêtres,
Le Vieillard & l'Ane.
N Vieillard fur fon Ane apperçut en paffant Un pré plein d'herbe & fleuriflant.
Il y lâche fa bête ; & le Grifon fe rue Au travers de l'herbe menue, Se veautrant, grattant & frottant, Gambadant, chantant & broutant, Et faifant mainte place nette. L'Ennemi vient fur l'entrefaite. Fuyons, dit alors le Vieillard. Pourquoi ? répondit le paillard,
Me fera-t-on porter double bât, double charge? Non pas, dit le Vieillard, qui prit d'abord le large. Et que m'importe donc, dit l'Ane, à qui je fois? Sauvez-vous, & me laiffez paître. Notre ennemi, c'est notre Maître, Je vous le dis en bon François.
Le Cerf fe voyant dans l'eau.
Ans le criftal d'une fontaine,
Un Cerf fe mirant autrefois, Louoit la beauté de fon (1) bois; Et ne pouvoit qu'avecque peine Souffrir fes jambes de (2) fuseaux, Dont il voyoit l'objet fe perdre dans les eaux. Quelle proportion de mes pieds à ma tête! Difoit-il, en voyant leur ombre avec douleur: Des (3) taillis les plus hauts, mon front atteint le faîte :
Mes piéds ne me font point d'honneur. Tout en parlant de la forte,
appelle Bois.
(2) Fort menues,
Un (4) Limier le fait partir : Il tâche à fe garantir,
Dans les Forêts il s'emporte. Son bois, dommageable ornement, L'arrêtant à chaque moment, Nuit à l'office que lui rendent
Ses piéds, de qui fes jours dépendent. Il fe dédit alors, & maudit les (s) préfens, Que le Ciel lui fait tous les ans.
Nous faifons cas du beau, nous méprisons l'utile; Et le beau fouvent nous détruit.
Ce Cerf blâme fes piéds qui le rendent agile: Il eftime un bois qui lui nuit.
(4) Gros Chien bon be, & revient toutes les anpour la chaffe du Cerf,
FABLE X.
Le Liévre & la Tortue.
Ien ne fert de courir : il faut partir à point. Le Liévre & la Tortue en font un témoignage.
Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point Si-tôt que moi ce but. Si-tôt? Etes-vous fage? Repartit l'animal léger.
Ma commere, il vous faut purger Avec quatre grains l'Ellébore. Sage ou non, je parie encore. Ainfi fut fait, & de tous deux On mit près du but les enjeux. Savoir quoi, ce n'est pas l'affaire ; Ni de quel Juge l'on convint
Notre Liévre n'avoit que quatre pas à faire, J'entens de ceux qu'il fait, lorfque prêt d'être atteint, Il s'éloigne des Chiens, les renvoie (1)aux Calendes, Et leur fait arpenter les (2) Landes.
Ayant, dis-je, du temps de refte pour brouter, Pour dormir, & pour écouter D'où vient le vent, il laiffe la Tortue Aller fon train de (3) Sénateur. Elle part, elle s'évertue,
Elle fe hâte avec lenteur.
Lui cependant méprise une telle victoire, Tient la gageure à peu de gloire, Croit qu'il y va de fon honneur De partir tard. Il broute, il fe repose, Il s'amufe à toute autre chofe
Qu'à la gageure. A la fin, quand il vit Que l'autre touchoit presque au bout de la carriére, Il partit comme un trait; mais les élans qu'il fit Furent vains: la Tortue arriva la premiére. Hé bien, lui cria-t-elle, avois-je pas raifon? De quoi vous fert votre vîteffe? Moi l'emporter! Et que feroit-ce Si vous portiez une (4) maison?
(1) S'en éloigne fi bien, que les Chiens ne peuvent le ratrapper, & fe trouvent par-là dans le cas où eft un Créancier que fes Débiteurs renvoyent aux Calendes Grecques, terme de payement tout-à-fait chimérique, parce qu'il n'y a point de jour dans l'année que les Grecs ayent nommé Calendes. Quand ferez vous hors de debte demanda Pantagruel. Es Calendes Grecques, répondit Panurge; lorfque tout le monde fera content, &c, Panta
gruel, Liv, III. chap. 3. La Fontaine fuppofant fon Lec- teur déjà inftruit fur ce point de Littérature fort trivial & qu'on doit avoir appris au Collége, s'eft contenté de dire que le Liévre renvoye les Chiens aux Calendes.
(2) Terres ftériles, incultes, fort propres pour la chaffe.
(3) Les Magiftrats mar chent pofément.
(4) Comme la Tortue, qui eft couverte d'une grođe écaille.
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