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Vit un Berger. Enseigne-moi, de grace,
De mon voleur, lui dit-il, la maison,
Que de ce pas je me faffe raifon.
Le Berger dit : C'est vers cette montagne.
En lui payant de tribut (1) un Mouton
Par chaque mois, j'erre dans la campagne
Comme il me plaît ; & je fais en repos.
Dans le moment qu'ils tenoient ce propos,
Le Lion fort, & vient d'un pas agile.
Le Fanfaron auffi-tôt d'efquiver.
O Jupiter, montre-moi quelque asyle,
S'écria-t-il, qui me puiffe fauver.

La vraie épreuve de courage
N'eft que dans le danger que l'on touche du doigt:
Tel le cherchort, dit-il, qui, changeant de langage,
S'enfuit auffi-tôt qu'il le voit.

(1) Comme une rente Seigneuriale.

Borée

FABLE III.

(1) Phœbus & Borée.

Orée & le Soleil virent un Voyageur,

Qui s'étoit muni par bonheur

Contre le mauvais temps. On entroit dans l'Au

tomne,

Quand la précaution aux Voyageurs eft bonne:
Il pleut, le Soleil luit ; & l'écharpe d'Iris
Rend ceux qui fortent avertis

(2) Qu'en ces mois le manteau leur eft fort néceffaire.

(1) Le Soleil, & le Vent du Nord, qui eft en général très-violent.

(2) A caufe de la pluie,

qui forme actuellement l'Arc-en-Ciel, à la faveur des rayons du Soleil.

M

Les Latins les nommoient (3) douteux pour cette affaire.

Notre homme s'étoit donc à la pluie attendu.

Bon manteau bien doublé, bonne étoffe bien forte.
Celui-ci, dit le Vent, prétend avoir pourvû
A tous les accidens; mais il n'a pas prévû
Que je faurai fouffler de forte,

Qu'il n'eft bouton qui tienne : il faudra, fi je veux,
Que le manteau s'en aille au diable.
L'ébattement pourroit nous en être agréable :
Vous plaît-il de l'avoir ? Et bien gageons nous deux
(Dit Phoebus) fans tant de paroles,

A qui plûtôt aura dégarni les épaules
Du Cavalier que nous voyons.

Commencez : je vous laiffè obfcurcir mes rayons. Il n'en fallut pas plus. Notre fouffleur à gage s'enfle comme un balon,

Se

gorge

de

vapeurs,

Fait un vacarme de démon,

Siffle, fouffle, tempête, & brise en fon paffage
Maint toît qui n'en peut mais,fait périr maint bateau:
Le tout au fujet d'un manteau.

Le Cavalier eut foin d'empêcher que l'orage
Ne fe pût engoufrer dedans.
Cela le préferva: le Vent perdit fon temps:
Plus il fe tourmentoit, plus l'autre tenoit ferme:
Il eut beau faire agir le colet & les plis.
Si-tôt qu'il fut au bout du terme
Qu'à la gageure on avoit mis,
Le Soleil diffipe la nue,

Récrée, & puis pénétre enfin le Cavalier,
Sous fon (4) balandras fait qu'il fue,
Le contraint de s'en dépouiller.

Encor n'ufa-t-il pas de toute fa puissance.
Plus fait douceur que violence.

(3) Incertains. Incertis fi menfibus amnis abundans exit. Ying. Georg.L.I.V.111.112.

(4) Ou Balandran, gros manteau de campagne.

FABLE I V.

Jupiter & le (1) Métayer.

Jupiter eut jadis une Ferme à donner.

Mercure en fit l'annonce; & gens fe présenterent,
Firent des offres, écouterent:

Ce ne fut pas fans bien tourner.
L'un alléguoit que l'héritage

Etoit (2) frayant & rude; & l'autre un autre (3) fi.
Pendant qu'ils marchandoient ainsi,
Un d'eux le plus hardi, mais non pas le plus fage,
Promit d'en rendre tant, pourvû que Jupiter
Le laiflât difpofer de l'air,

Lui donnât faifon à sa guise,

Qu'il eût du chaud, du froid, du beau temps, de la bife,

Enfin du fec & du mouillé,
Auffi-tôt qu'il auroit bâillé.

(1) Fermier qui tient des biens à loyer.

(2) Héritage frayant, qu'on ne peut mettre en valeur fans faire de groffes dépenfes. Les Fermiers & les Payfans de Champagne, & des environs de Château-Thier

ry où eft ne La Fontaine, fe fervent fort communément des mots frayant & frayer. La Vigne, difent-ils, & certaines Terres labourables fragent beaucoup, c'eft-à-dire, que la culture de la Vigne & de certains Champs exige des foins & des frais coniidérables. C'eft ce que j'ai appris d'une Demoiselle

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Jupiter y confent. Contrat pafle: notre homme Tranche du Roi des airs, pleut, vente; & fait en fomme

Un climat pour lui feul : fes plus proches voisins
Ne s'en fentoient non plus que les (4) Amériquains.
Ce fut leur avantage : ils eurent bonne année
Pleine moiffon, pleine vinée.

Monfieur le Receveur fut très-mal partagé.
L'an fuivant, voilà tout changé.
Il ajufte d'une autre forte

La température des Cieux.

Son champ ne s'en trouve pas mieux.

Celui de fes voisins fru&tifie & rapporte.
Que fait-il Il recourt au Monarque des Dieux;
Il confeffe fon imprudence.
Jupiter en ufa comme un Maître fort doux.

Concluons que la Providence

Sait ce qu'il nous faut mieux que nous.

(4) Peuples de l'Amérique.

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Le Cochet, le Chat & le Souriceau.

UN (1) Souriceau tout jeune, & qui n'avoit

vû,

Fut prefque pris au dépourvû.

Voici comme il conta l'aventure à sa mere.

J'avois franchi les Monts qui bornent cet Etat;
Et trottois comme un jeune Rat

Qui cherche à fe donner carriére, Lorfque deux animaux m'ont arrêté les yeux, (1) Une jeune Souris.

L'un doux, benin & gracieux;
Et l'autre turbulent & plein d'inquiétude.
Il a la voix perçante & rude:
Sur la tête un morceau de chair,
Une forte de bras dont il s'éleve en l'air,
Comme pour prendre fa volée,
La queue en panache étalée.

Or c'étoit un Cochet dont notre Souriceau
Fit à fa mere le tableau,

Comme d'un Animal venu de l'Amérique.
Il fe battoit, dit-il, les flancs avec fes bras,
Faifant tel bruit & tel fracas,

Que moi, qui grace aux Dieux, de courage me pique,
En ai pris la fuite de peur,

Le maudiffant de très-bon cœur.
Sans lui j'aurois fait connoiffance

Avec cet animal qui m'a femblé fi doux.
Il eft velouté comme nous,

Marqueté, longue queue, une humble contenance,
Un modefte regard, & pourtant l'œil luifant.
Je le crois fort fympatifant

Avec. Meffieurs les Rats: car il a des oreilles
En figure aux nôtres pareilles.

Je l'allois aborder, quand, d'un fon plein d'éclat,
L'autre m'a fait prendre la fuite.
Mon fils, dit la Souris, ce doucet eft un Chat,
Qui, fous fon minois hypocrite,
Contre toute ta parenté

D'un malin vouloir eft porté.
L'autre animal, tout au contraire,

Bien éloigné de nous mal faire,

Servira quelque jour peut-être à nos repas.
Quant au Chat, c'eft fur nous qu'il fonde fa cuifine.
Garde-toi, tant que tu vivras,

De juger des gens fur la mine,

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