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N certain Loup, dans la (1) faison
Que les tiédes Zéphirs ont l'herbe rajeunie,
Et que les animaux quittent tous la maison,
Pour s'en aller chercher leur vie ;

Un Loup, dis-je, au fortir des rigueurs de l'hyver,
Apperçut un Cheval qu'on avoit mis au (2) vert.
Je laiffe à penfer quelle joie.

Bonne chaffe, dit-il, qui l'auroit à fon croc.
Eh que n'es-tu Mouton! car tu me ferois (3) hoc:
Au lieu qu'il faut rufer pour avoir cette proie :
Rufons donc. Ainfi dit, il vient à pas comptés,
Se dit (4) Ecolier d'Hippocrate :
Qu'il connoît les vertus & les propriétés
De tous les fimples de ces prés:
Qu'il fait guérir, fans qu'il fe flatte,

Toutes fortes de maux. Si Dom Courfier vouloit
Ne point celer fa maladie,
Lui Loup gratis le guériroit.
Car le voir dans cette prairie
Paître ainfi fans être lié,

Témoignoit quelque mal, felon la Médecine.
J'ai, dit la Bête chevaline,
Une apoftume fous le piéd.

Mon fils, dit le Docteur, il n'eft point de partie
Sufceptible de tant de maux.

(1) Au Printemps. (2) Dans un pré, pour manger l'herbe.

(3) Tu ferois à moi, par allufion à une forte de jeu de cartes qu'on nomme le

Hoc, où l'on dit hoe en jettant fur le tapis certaines cartes qui font gagner ceux qui les jouent.

(4) Médecin.

J'ai l'honneur de fervir Noffeigneurs les Chevaux ; Et fais auffi la Chirurgie.

Mongaland ne fongeoit qu'à bien prendre fon temps,
Afin de haper fon malade.

L'autre, qui s'en doutoit, lui lâche une ruade,
Qui vous lui met en marmelade
Les (5) mandibules & les dents.
C'eft bien fait, dit le Loup en foi-même fort triste,
Chacun à fon métier doit toujours s'attacher.
Tu veux faire ici (6) l'Herboriste,
Et ne fus jamais que Boucher.

(5) Les machoires.

(6) Qui s'applique à la connoiffance des Plantes.

FABLE

IX.

Le Laboureur & fes Enfans.

Ravaillez, prenez de la peine:

T'eft le fonds qui manque le moins.

Un riche Laboureur fentant fa mort prochaine,
Fit venir fes enfans, leur parla fans témoins.
Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage
Que nous ont laiffé nos parens:
Un tréfor eft caché dedans.

Je ne fais pas l'endroit; mais un peu de courage
Vous le fera trouver, vous en viendrez à bout.
Remuez votre champ dès qu'on aura fait (1) l'Oût.
Creufez, fouillez, bêchez, ne laiffez nulle place
Où la main ne pafle & repaffe.

Le pere mort, les fils vous retournent le champ, De-çà, de-là, par tout ; fi bien qu'au bout de l'an

(1) Après qu'on aura recueilli les grains, après la moiɗou.

Il en rapporta davantage.

D'argent, point de caché. Mais le pere fut fage
De leur montrer avant sa mort,
Que le travail est un trésor.

FABLE X.

La Montagne qui accouche.

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Ne montagne en mal d'enfant
Jettoit une clameur fi haute,

Que chacun au bruit accourant,
Crut qu'elle accoucheroit, fans faute,
D'une Cité plus groffe que Paris:
Elle accoucha d'une Souris.

Quand je fonge à cette Fable,
Dont le récit eft menteur
Et le fens eft véritable,
Je me figure un Auteur,

Qui dit: Je chanterai la guerre
Que firent les Titans au Maître du tonnerre.
C'eft promettre beaucoup:mais qu'en fort-il souvent?
Du (1) vent.

(1) Rien du tout, ou fort peu de chofe.

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La Fortune & le jeune Enfant.

Ur le bord d'un puits très-profond,
Dormoit, éténdu de fon long,

Un Enfant alors dans ses classes,

Tout eft aux Ecoliers couchette & matelas.
Un honnête homme, en pareil cas,
Auroit fait un faut de vingt braffes.
Près de là tout heureufement

La Fortune paffa, l'éveilla doucement,
Lui difant: Mon mignon, je vous fauve la vie.
Soyez une autre fois plus fage, je vous prie.
Si vous fuffiez tombé, l'on s'en fût pris à moi,
Cependant c'étoit votre faute.

Je vous demande en bonne foi
Si cette imprudence fi haute

Provient de mon caprice. Elle part à ces mots.

Pour moi, j'approuve fon propos.
Il n'arrive rien dans le monde
Qu'il ne faille qu'elle en réponde:
Nous la faifons de tous (1) écots:
Elle eft prife à garant de toutes aventures.
Eft-on fot, étourdi, prend-on mal fes mesures,
On penfe en être quitte en accufant fon fort:
Bref, la Fortune a toujours tort.

(1) Ecot eft la part que chacun doit payer pour un repas commun. Faifonsnous une fottife, nous en mettons la meilleure partie fur le compte de la Fortune.

Nous lui fai ons payer lar gement fon écot pour le mauvais fuccès d'une affaire `auquel elle n'a contribué en aucune manière.

L

FABLE XII.

Les Médecins.

E Médecin (1) Tant-pis alloit voir un ma-
lade',

Que vifitoit auffi fon confrére (2) Tant-mieux.
Ce dernier efpéroit, quoique fon camarade
Soûtînt que le (3) gifant iroit voir les ayeux.
Tous deux s'étant trouvés différens pour la cure,
Leur malade paya le (4) tribut à Nature;
Après qu'en fes confeils Tant-pis eut été crû.
Ils triomphoient encor fur cette maladie.
L'un difoit, il eft mort, je l'avois bien prévû:
S'il m'eût crû, difoit l'autre, il feroit plein de vie.

(1) (2) Médecins d'un caractere oppofé, dont l'un faifoit toujours des pronoAics funeftes, & l'autre des

pronoftics heureux.
(3) Le malade qui étoit

au lit,

(4) Mourut,

FABLE XIII

La Poule aux œufs d'or.

L'Avarice perd tout en voulant tout gagner,

Je ne veux pour le témoigner Que celui dont la Poule, à ce que dit la Fable, Pondoit tous les jours un œuf d'or. Il crut que dans fon corps elle avoit un tréfor. Il la tua, l'ouvrit, & la trouva femblable A celles dont les œufs ne lui rapportoient rien, S'étant lui-même ôté le plus beau de son bien.

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