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Le menace, s'il ne se tait,

De le donner au Loup. L'animal fe tient prêt,
Remerciant les Dieux d'une telle aventure,
Quand la mere appaisant sa chere géniture,
Lui dit: Ne criez point: s'il vient, nous le tuerons.
Qu'elt-ceci s'écria le mangeur de Moutons.
Dire d'un,puis d'un autre? Eft-ce ainsi que l'on traite
Les gens faits comme moi?Me prend on pour un fot?
Que quelque jour ce beau Marmot

Vienne au bois cueillir la noifette. Comme il difoit ces mots, on fort de la maison : Un Chien de cour l'arrête : épieux & fourches-fiéres L'ajuftent de toutes maniéres.

Que veniez-vous chercher en ce lieu ? lui dit-on
Auffi-tôt il conta l'affaire.

Merci de moi, lui dit la mere,
Tu mangeras mon fils? L'ai-je fait à deffein
Qu'il affouviffe un jour ta faim?
On affomme la pauvre bête.

Un manant lui coupa le piéd droit & la tête:
Le Seigneur du Village à fa porte les mit,
Et ce diaton Picard à l'entour fut écrit:

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L'un trouvoit les dedans, pour ne lui point mentir, Indignes d'un tel perfonnage.

L'autre blâmoit la face; & tous étoient d'avis Que les appartemens en étoient trop petits. Quelle maifon pour lui! L'on y tournoit à peine. Plût au Ciel que de vrais amis,

Telle qu'elle eft, dit-il, elle pût être pleine!

Le bon Socrate avoit raifon

De trouver pour ceux-là trop grande fa maifon. Chacun fe dit ami, mais fou qui s'y repofe. Rien n'eft plus commun que ce nom, Rien n'eft plus rare que la chofe.

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Le Vieillard & fes Enfans.

Oute puiffance est foible à moins

unie.

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Ecoutez là-deffus (1) l'Efclave de Phrygie.
Si j'ajoûte du mien à fon invention,

C'eft pour peindre nos mœurs, & non pas par en

vie :

Je fuis trop aut deffous de cette ambition.

Phédre enchérit fouvent par un motif de gloire:
Pour moi, de tels penfers me feroient mal-féans.
Mais venons à la Fable, ou plûtôt à l'Histoire
De celui qui tâcha d'unir tous ses enfans.

Un Vieillard prêt d'aller où la mort l'appelloit,
Mes chers enfans, dit-il (à fes fils il parloit)
Voyez fi vous romprez ces dards liés enfemble:
Je vous expliquerai le nœud qui les assemble.
(1) Efope, né en Phrygie.

L'aîné les ayant pris, & fait tous les efforts,
Les rendit en difant : (2) Je le donne aux plus forts.
Un fecond lui fuccéde, & fe met en posture,
Mais en vain. Un cadet tente auffi l'aventure.
Tous perdirent leur temps, le faifceau réfista:
De ces dards joints ensemble un feul ne s'éclata.
Foibles gens! dit le pere, il faut que je vous montre
Ce que ma force peut en femblable rencontre.
On crut qu'il fe moquoit, on fourit, mais à tort.
Il fépare les dards, & les rompt fans effort.
Vous voyez, reprit-il, l'effet de la concorde.
Soyez joints, mes enfans, que l'amour vous accorde.
Tant que dura fon mal, il n'eut autre difcours.
Enfin fe fentant prêt de terminer fes jours:
Mes chers enfans, dit-il, je vais où font nos peres:
Adieu, promettez-moi de vivre comme freres;
Que j'obtienne de vous cette grace en mourant.
Chacun de fes trois fils l'en affure en pleurant.
Il prend à tous les mains : il meurt ; & les trois frères
Trouvent un bien fort grand, mais fort mêlé d'af-
faires.

Un créancier faifit, un voifin fait procès:
D'abord notre Trio s'en tire avec fuccès.
Leur amitié fut courte autant qu'elle étoit rare.
Le fang les avoit joints, l'intérêt les fépare.
L'ambition, l'envie, avec les (3) confultans,
Dans la fucceffion entrent en même temps.

(2) Je difie les plus forts den venir à bout, c'est-à-dire, de rompre ces dards joints enfemble, Dans la plupart des Editions des Fabies de La Fontaine, au lieu de, Je le donne aux plus forts, on trouve, Je les donne aux plus forts: faute groffiére qui a été cor. rigée par La Fontaine luimême dans une Edition de Paris, publiée en 1676. La

même faute a reparu depuis, dans plufieurs autres Editions, par là négligence ou l'ignorance des Correcteurs : mais on peut compter préfentement, que cette Note munie de l'autorité de La Fontaine, la fera difparoître pour toujours.

(3) Avocats qui ne plaident plus au Barreau, mais qu'on va confulter chez eux.

On en vient au partage, on contefte, on chicane:
Le Juge fur cent points tour à tour les condamne.
Créanciers & voifins reviennent auffi-tôt,

Ceux-là fur une erreur, ceux-ci fur un défaut.
Les freres défunis font tous d'avis contraire:
L'un veut s'accommoder, l'autre n'en veut rien faire.
Tous perdirent leur bien; & voulurent trop tard
Profiter de ces dards unis, & pris à part.

FABLE XIX.

L'Oracle & l'Impie.

Ouloir tromper le Ciel, c'eft folie à la Terre.

V cours en les

Rien qui ne foit d'abord éclairé par les Dieux. Tout ce que l'homme fait, il le fait à leurs yeux, Même les actions que dans l'ombre il croit faire.

Un Payen qui fentoit quelque peu le (2) fagot, Et qui croyoit en Dieu, pour ufer de ce mot, (3) Par bénéfice d'inventaire,

(1) Le Labyrinthe que les Poëtes nomment fouvent Dedale, dans le fens propre, & dans un fens figuré, par allufion à Dédale, Architec te Athénien, qui bâtit le fameux Labyrinthe de Crete. (2) Qui s'expofoit à être

brûlé comme Athée.

(3) Qu'un homme fe trouve héritier par Tefament, s'il foupçonne que P'héritage pourroit l'obliger à payer aux créanciers du défunt plus qu'il ne lui a Janfe fon Teftament, par n'accepte l'héritage que par

il

bénéfice d'inventaire ; & dans ce cas il n'eft tenu de payer des dettes du défunt que jufqu'à la concurrence des bieus inventoriés. Ainfi, un homme qui croit en Dieu fans être fort affuré de fon éxiftence, fe réserve la liberté de n'y point croire du tout. Un tel homme, dit La Fontaine, croit en Dieu, pour ufer de ce mot, par bénéfice d'inventaire: Expreffion hardie, qui n'eft ni fort jufte, ni fort claire › comnie il femble le reconnoitre lui-même.

Alla confulter Apollon.

Dès qu'il fut en fon Sanctuaire,

Ce que je tiens, dit-il, eft-il en vie ou non?
Il tenoit un Moineau, dit-on,
Prêt d'étouffer la pauvre bête,
Ou de la lâcher auffi-tôt,

Pour mettre Apollon en défaut.

Apollon reconnut ce qu'il avoit en tête.
Mort ou vif, lui dit-il, montre-nous ton Moineau,
Et ne me tens plus de panneau,
Tu te trouverois mal d'un pareil ftratagême.
Je vois de loin, j'atteins de même.

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L'Avare qui a perdu fon Tréfor. L'Ufage feulement fait la poffeffion.

Je demande à ces gens, de qui la paffion Eft d'entaffer toujours, mettre fomme fur fomme, Quel avantage ils ont que n'ait pas un autre homme. (1) Diogene là-bas eft auffi riche qu'eux; Et l'Avare ici haut, comme lui vit en gueux. L'homme au tréfor caché qu'Efope nous propose, Servira d'exemple à la chose.

Ce malheureux attendoit

Pour jouir de fon bien une feconde vie,
Ne poffédoit pas l'or, mais l'or le poffedoit.
Il avoit dans la terre une fomme enfouie,
Son cœur avec, n'ayant autre (2) déduit,
Que d'y ruminer jour & nuit,

(1) Philofophe fort pau

(2) Pas de plus grand

vre, mais pauvre volon | plain.

taire.

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