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le duc de La Vallière. Sollicitez toujours, vous en serez deux fois.

Il faut cependant en convenir, en inscrivant de grands noms sur sa liste, cette académie a plus d'une fois admis dans son sein de grands talents. Sans être universel, le duc de Nivernais n'y était certes pas déplacé auprès de Voltaire, non plus que notre Bouflers, qui, dans les poésies fugitives, avait un esprit et une facilité si analogues au talent de ce grand homme.

Le chevalier de Bouflers, qui était membre de la commission du dictionnaire, n'y fut pas d'une médiocre utilité. Homme de lettres et homme du monde tout à la fois, il joignait à beaucoup d'instruction une grande connaissance de la société. Il en savait pour ainsi dire tous les idiomes. Si l'abbé Morellet était le grammairien de l'école, le chevalier de Bouflers était celui de la bonne compagnie. Tous ces avantages se retrouvent aussi dans le comte de Ségur, qui, dans ses derniers ouvrages, met autant de solidité et de philosophie qu'il a déployé d'esprit et de grâces dans ses premiers, et a supporté à diverses reprises, avec une si heureuse égalité d'âme, la rude épreuve de la mauvaise fortune et de la bonne.

En empruntant à la cour de pareils hommes, l'académie se complète. Quant aux admissions faites dans la seule considération du rang, c'est tout autre chose. Semblables à l'eau versée dans une bouteille de liqueur à demi pleine, elles lui ôtent de sa valeur en la remplis

sant,

Nous ne discuterons pas ici l'utilité des académies. Le fait a décidé cette question. Supprimées comme inutiles, elles ont été bientôt rétablies pour la raison contraire. Leur influence sur le progrès des lumières est incontestable. Pendant que les universités professent la science, les académies l'étendent. Il est de leur nature d'aller en avant comme de celles des corps enseignants de s'arrêter; il est de leur nature de douter comine de celle des corps dogmatiques d'affirmer. Sans les académies, la France ne serait peut-être, sous la férule des doctrinaires, que ce que les peuples du Paraguay étaient sous celle des jésuites, ou les Égyptiens sous l'autorité des prêtres d'Isis.

Les honneurs du fauteuil sont l'objet de l'ambition secrète de tout homme de lettres et de tout savant. C'est au dépit de ne pas les obtenir qu'il faut attribuer ce déluge d'épigrammes dont l'académie française est l'objet depuis qu'elle existe; déluge qui s'arrête dès qu'il y a une place vacante, et recommence dès que la place est donnée.

Sommes-nous trente-neuf, on est à nos genoux;

Mais sommes-nous quarante, on se moque de nous.

FONTENELLE.

Les mots les plus piquants lancés contre elle sont presque tous de Piron. Piron eut tort. Ce n'est

pas à l'académie, qui l'avait nommé, que l'auteur de la Métromanie devait s'en prendre, mais au roi, qui avait refusé de ratifier cette nomination. Louis XV n'avait pas trouvé

à Piron des mœurs assez régulières pour travailler à la réforme du dictionnaire. Louis XV!

Des noms plus illustres que celui de Piron manquent à la liste des immortels. On n'y trouve ni Pascal, ni J.-B. Rousseau, ni J.-J. Rousseau, ni Diderot; mais Cotin y figure auprès de Racine. Peut-être est-ce à cause de cela que Molière montra tant d'indifférence pour le titre d'académicien, auquel il préféra sa condition de comédien. Picard a été moins fier.

Les démarches auxquelles les prétendants étaient assujettis par les anciens règlements ont dû répugner à plus d'un homme recommandable. Elles avaient été exigées comme garantie de l'acceptation. Le refus que le premier président Lamoignon, nommé de plein mouvement par l'académie, avait fait de cet honneur, la détermina à se mettre dorénavant à l'abri d'un pareil affront. Mais la mesure adoptée n'était-elle pas inconvenante? Une garantie donnée par celui des académiciens qui propose un candidat paraît aujourd'hui suffisante. Elle concilie en effet tous les intérêts.

La réunion de toutes les académies forme l'institut de France. Observons qu'en cela on n'a fait que mettre à exécution le premier plan d'après lequel Colbert avait organisé l'académie des sciences; mais en l'exécutant on l'a étendu. L'institut de France, tel qu'il est, est l'académie la plus complète et la plus respectable qui ait jamais existé.

En attachant un traitement au titre de membre de

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l'institut, la loi a mis les académiciens à l'abri du besoin. Mais ils ne perdent pas pour cela leur indépendance. C'est l'état et non le ministère qui leur paie ce traitement inamovible de droit.

La qualité d'académicien est plus inamovible encore; car on peut illégalement empêcher la conséquence d'un fait, mais on ne peut rien contre le fait lui-même; on peut faire que ce qui s'est fait ne se fasse plus, mais non que ce qui s'est fait n'ait pas été fait; un traitement peut être rayé sur les états du ministère, mais le souvenir de la nomination qui donne droit à ce traitement ne peut pas s'effacer de la mémoire des hommes.

Si l'ordonnance contresignée Vaublan, par laquelle l'institut s'est vu décimer en 1816, préjudicie à l'honneur de quelqu'un, c'est surtout à celui de ce ministre. La flétrissure qu'il a voulu imprimer aux autres est tombée sur lui seul; et l'on rit de lui comme d'un bourreau maladroit, qui se marque avec le fer qu'il faisait chauffer pour autrui.

L'autorité ne saurait trop se garder d'intervenir en ces sortes de matières. Comme toutes celles qui touchent à l'honneur, elles sont hors de sa puissance. C'est par ses actions qu'un homme s'honore ou se déshonore. Un décret, une ordonnance, un jugement, constatent cet honneur ou ce déshonneur, mais ne le font pas. Et quand, par malheur, ils retranchent d'un corps un homme honorable et honoré, ne produisent-ils pas l'effet contraire à celui qu'ils ont voulu produire? N'est-ce

pas à l'honneur du corps qu'ils portent le dommage qu'ils n'ont pas pu porter à l'honneur d'un homme? David manque plus à la gloire de l'académie, que l'académie à la gloire de David.

Cent ans après la mort de Molière, l'académie française plaça le buste de ce grand homme dans la salle de ses séances, et inscrivit sur le socle :

Rien ne manque à sa gloire, il manquait à la nôtre.

DE LA GLOIRE DES ARMES

ET

DE LA GLOIRE DES ARTS.

Et moi aussi, j'aime la gloire; il m'en faut. Je me suis souvent demandé comment je m'y prendrais pour en obtenir un peu, à une époque où tant de gens en ont beaucoup, et même trop. Cela m'a conduit tout naturellement à comparer entre eux les divers genres de gloire, et les moyens divers par lesquels on pouvait les acquérir. Ce premier examen m'avait engagé d'abord à rechercher ce que c'est que la gloire. Comme aucun dictionnaire, pas même celui de l'Académie, ne la définit à mon gré, c'est par là que je veux débuter. Rien n'est propre comme une définition à fixer les idées.

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