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portæ, il se cognait à toutes les portes; defluebantque salivæ ejus in barbam, et il bavait sur sa barbe. Bref, il joua si bien la comédie, que le bon roi Achis dit à ceux qui le lui avaient amené: Manquons-nous de furibonds? An desunt nobis furiosi? Fallait-il m'amener celui-ci pour furibonder en ma présence? quod introduxistis istum, ut fureret me præsente! et il envoya David furibonder ailleurs.

Les saints pères regardent cette bêtise de David comme l'effet d'une profonde sagesse. Telle est l'opinion que l'on pourrait avoir aussi de celle que feignit Brutus, de celle qui prépara la liberté de Rome. Les actions de Brutus n'étaient au fait que des actes d'un grand sens; c'est faute de les comprendre que les insensés devant lesquels il jouait cette noble farce le prenaient pour un imbécile. Par ses moyens et par ses résultats, la bêtise du consul romain est peut-être plus héroïque encore que celle du roi des Juifs.

Mon Dieu! que les gens d'esprit sont bêtes! dit Beaumarchais. La bêtise, en effet, se concilie avec le génie même. N'en concluons pas cependant que toute bêtise soit indice d'esprit. Les bons hommes ne sont pas tous aussi spirituels que La Fontaine. Ce n'est pas sans justice qu'on lui donnait pourtant l'épithète de bête. L'esprit dont ses ouvrages abondent se retrouvait rarement dans ses discours et dans sa conduite. Oubliez ses

Regum lib. I, c. xxi.

fables et ses contes, et l'homme qui a fait et dit ce que les biographes nous ont conservé de lui, vous paraîtra tout aussi bête qu'il le paraissait à sa servante. Mais que cet homme si bête quand il parlait, avait d'esprit quand il faisait parler les bêtes!

Nicole a plus d'une fois passé pour bête en société. De son aveu, il ne trouvait qu'au bas de l'escalier la réplique dont il avait eu besoin dans le salon. Rousseau était évidemment bête dans le cabinet de M. de Montaigu. La bêtise n'était chez eux, il est vrai, que défaut de présence d'esprit. Mais si, au moment du besoin, vous n'usez pas de ce que vous possédez, n'êtes-vous pas de pair avec les gens qui ne possèdent rien?

Ce qu'on a dit plus haut du génie appliqué aux sciences est également vrai de l'esprit appliqué aux lettres. Il est rare de trouver un homme d'esprit qui en ait également pour tout.

Celui de tous les hommes qui incontestablement a eu le plus d'esprit, Voltaire, était traité de bête par sa fille de basse-cour. Babet dit que je suis bête! s'écriait-il tout enchanté. Si Babet avait adressé ce compliment à tel chansonnier ou à tel journaliste que vous connaissez, il est probable qu'il aurait été reçu moins gaiement. Au fait, il aurait tiré à conséquence.

Madame Geoffrin réunissait chez elle la société la

Il n'est pas ici question de la servante du Bourgeois gentilhomme, mais du collaborateur d'Arnauld de Port-Royal.

plus spirituelle de son temps. D'Alembert, Marmontel, la Condamine, Piron, l'abbé Morellet, en faisaient partie. Elle les appelait ses bêtes. Elle en avait le droit. Tout à leurs travaux, ces gens d'esprit-là eussent souvent connu le besoin, si cette femme de sens n'avait eu pour eux de la prévoyance. Aussi leur faisait-elle présent chaque année, aux étrennes, d'une belle culotte de velours de Gênes.

Peut-être est-il aussi rare d'être bête en tout, que d'avoir du génie pour tout. La bêtise n'est presque jamais que relative. Pour savoir ce que signifie ce mot, sachez donc quel est le genre d'esprit de celui qui parle. Le premier poëte et le premier financier de l'époque peuvent se regarder réciproquement comme des bêtes, et avoir raison tous deux.

La bêtise est mêlée à toutes les passions, et peut-être l'absence de toute passion est-elle aussi la bêtise; car il y a bien peu de différence entre l'apathie et la stupidité. En résumé, les hommes, en fait de bêtise, pourraient bien ne différer que du plus au moins.

Monsieur, me dira-t-on, cette dissertation pourrait

le prouver, quant à ce qui vous concerne. D'accord, lecteur; mais faites un peu votre examen de conscience, et peut-être vous reconnaîtrez-vous pour aussi bête que Monsieur.

L'animal dépourvu de toute intelligence prend le nom de brute. Il y a des gens qui sont encore au-dessous de cette classe-là. Un homme qui n'était rien moins que

bête, disait d'un homme plus bête qu'il n'est permis de l'être : « Il ne lui manque qu'une chose pour ressembler à une brute, c'est l'instinct. »

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Dans l'antiquité, ce nom fut donné successivement à plusieurs écoles de philosophie. La première fut celle de Platon, dont les disciples se réunissaient au Céramique, dans les jardins d'Académus; de là ils s'appelèrent académiciens.

Les académies modernes ne sont pas des écoles, mais des réunions où l'on cultive les lettres et les sciences sans les professer.

Charlemagne avait établi dans son propre palais une académie dont il était membre. Il s'était donné pour confrères les plus beaux génies de sa cour. Pour maintenir entre eux l'égalité la plus parfaite, se dépouillant de ses titres, chacun prenait le nom de son auteur de prédilection. Le docte Alcuin, de qui l'on tient ces détails, se nommait Flaccus, surnom d'Horace; Adelard, évêque de Corbie, s'appelait Augustin; Charlemagne, David; le seigneur Engilbert avait pris sans façon le nom d'Homère; et Ricdulphe, archevêque de Mayence, se

contentait du nom champêtre et modeste de Da

mætas.

Cette méthode a été plus récemment adoptée par l'académie des Arcades ou Arcadiens de Rome. Là tous les académiciens reçoivent un nom pastoral dans un brevet qui, pour trois sequins, leur assigne un pâturage en Arcadie et l'immortalité. Cette dernière société a cela de particulier que les femmes y sont admises. On a vu même des académiciens du troisième sexe parmi ces bergers in partibus. C'est sous la protection de la reine Christine que s'est formée cette association bucolique.

Les académies sont innombrables en Italie. Il n'y a pas de ville un peu considérable qui n'en possède plusieurs. Jarkius, en 1725, en comptait vingt-cinq dans la seule ville de Milan. Ces sociétés se plaisaient à prendre des noms bizarres, et plus convenables à des troupes de mimes et de bouffons qu'à des réunions d'amis des lettres.

Conçoit-on que des académiciens se soient appelés inquieti, impazienti, eterocliti, lunatici, alterati, umidi, infernati, insensati, insipidi, chimerici, fantastici, vagabondi, estravaganti, addormentati, atomi, infarinati, c'est-à-dire les inquiets, les impatients, les hétéroclites, les lunatiques, les altérés, les humides, les infernaux, les insensés, les insipides, les chimériques, les fantasques, les vagabonds, les extravagants, les endormis, les atomes, les enfarinés, etc.

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