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vertu de causes suffisantes ou non, il ne fait que disposer de sa propriété. Il en abuse sans doute; mais user et abuser sont des droits de propriétaire; et je ne vois pas que les prodigues soient traités comme les voleurs, dans quelque législation que ce soit. Rien n'autorise donc ce refus de la sépulture; refus aussi peu conforme au caractère de l'église qu'aux égards dus à l'humanité. De tout temps, donner la sépulture aux morts a été faire une œuvre de miséricorde devant le Seigneur. C'est ainsi que le vieux Tobie a mérité de recouvrer la vue, et s'est attiré la bénédiction du ciel. Or, vous savez qu'il ne s'enquérait pas de la manière dont était mort celui qu'il enterrait, et qu'il rendait les mêmes honneurs à ceux qui étaient tués qu'à ceux qui étaient défunts. Defunctis atque occisis, dit le texte sacré faites de même. Enfin, vous croyez-vous en droit de manquer de charité envers un malheureux qui a manqué de raison?

L'HOMME D D'ÉGLISE.

Je ne dis cela. Mais il ne faut pas encourager les

pas

gens à se tuer.

L'HOMME DU MONDE.

La maladie ne sera jamais contagieuse. Tant de motifs nous encouragent à vivre! De plus, ce n'est pas pour les morts que je sollicite ici votre charité, mais pour les vivants. Qu'importe, après tout, à un homme qui se tue s'il sera enterré ou non? Mais cela importe à sa famille, qui dans ce fait n'a rien à se reprocher, et n'est déjà que trop à plaindre.

C'est vrai,

L'HOMME D'ÉGLISE.

L'HOMME DU MONDE.

pour

Assurez-moi donc que vous ferez tous vos efforts déterminer M. le curé à ne pas donner de scandale dans notre paroisse. Ou promettez-moi du moins que s'il lui répugne trop d'officier à cette triste cérémonie, vous ne vous y refuserez pas, vous.

L'HOMME D'ÉGLISE.

Je vous le promets de tout mon cœur; j'enterrerai volontiers notre homme, pourvu que M. le curé me le permette, et que la municipalité nous y

L'HOMME DU MONDE.

C'est ce qui s'appelle entendre raison.

force.

BIOGRAPHE ET BIOGRAPHIE.

Biographe. Auteur qui écrit une vie ou plusieurs vies particulières.

Biographie. Histoire d'un particulier, collection d'histoires de plusieurs particuliers. Ce mot est composé des mots grecs ẞíos (bios), vie, et ypάyw ( grapho), j'écris.

Certains livres de la Bible, tels que ceux de Joseph et de Tobie, sont des biographies. Ce sont aussi des biographies que la collection des Bollandistes et les recueils intitulés Vies des Saints.

La différence de la biographie à l'histoire proprement dite, c'est que la biographie ne raconte de l'histoire des peuples que ce qui est en rapport avec l'individu dont elle s'occupe.

Une biographie doit être écrite avec impartialité. La malveillance ou la bienveillance s'y montre-t-elle, dès lors elle perd son caractère : ce n'est plus qu'une diatribe ou qu'un panégyrique; et l'on ne la consultera plus qu'avec défiance.

Que cherchent, au fait, dans une biographie, les amis de la vérité? Les faits qui doivent servir de base à leur opinion sur l'homme dont on a écrit, et non l'opinion de l'homme qui a écrit ; ils y cherchent enfin ce que le titre de l'ouvrage leur a promis, la vérité toute nue.

Les biographies anciennes sont des modèles d'impartialité. Cornélius Népos ne fait aucune acception des personnes. Il écrit sur Amilcar et sur Annibal comme il écrit sur Caton et sur Atticus; il n'est ni Romain ni Carthaginois, il est honnête homme; ainsi en est-il du bon Plutarque.

Les biographies se sont beaucoup multipliées dans les temps modernes, et chez nous surtout depuis la révolution. Elles ont leur prix; mais le mérite que nous reconnaissons aux vieilles biographies n'est pas celui par lequel elles sont le plus recommandables.

La preuve de leur partialité, c'est leur multiplicité. Si les auteurs de la première de ces biographies s'étaient renfermés dans les bornes du genre; s'ils s'étaient con

tentés de raconter les faits avérés, sans les commenter, sans les dénaturer, il n'eût été besoin que de continuer leur travail,

Comme ils ont suivi une méthode tout opposée, il a fallu le refaire; il a fallu redresser leurs erreurs, qui toutes ne sont pas involontaires. De là sont nées d'autres biographies, qui peut-être ne sont pas non plus exemptes de partialité. Écrites sous l'influence d'une généreuse indignation, elles peuvent quelquefois porter l'empreinte de l'esprit de réaction; dans les questions d'honneur, il est difficile de ne point se passionner quand on réfute.

Un célèbre jurisconsulte' a dit, au sujet de quelques biographies où il n'est question que de contemporains, « Il serait à souhaiter qu'on n'en eût pas fait une; mais « la première une fois faite, la seconde est devenue né" cessaire. >>

Je suis absolument de ce sentiment sur la seconde partie de cette proposition; quant à la première, j'ose en différer.

Si jamais une biographie des contemporains a été nécessaire, c'est, sans contredit, après les trente années qui viennent de se passer. Pendant cette longue période, tout a été dénaturé par l'esprit de parti : les hommes, les faits, les opinions; et presque toutes les réputations sont assises sur de fausses bases. Il importait donc aux hommes qui ne sont pas insouciants de leur

1 M. Dupin.

réputation qu'il existât un registre où l'on tînt note de leurs actions, et où leurs opinions fussent consignées. Il importait donc aux honnêtes gens, et il y en a dans tous les partis, que ce qu'ils ont dit et fait fût recueilli avec exactitude, et raconté avec véracité; car, comme ils ne l'ont dit et fait que dans la persuasion qu'ils servaient la bonne cause, ils n'ont rien dit et fait dont ils ne se puissent honorer, s'ils n'ont pas violé les lois imprescriptibles de la probité. Que leurs drapeaux aient été vainqueurs ou vaincus, un républicain et un vendéen ne doivent pas craindre qu'on rappelle qu'ils ont combattu sous ces drapeaux, si c'est en soldats et non pas en brigands qu'ils ont fait la guerre.

Il n'est donc pas à regretter qu'une première biographie des contemporains ait été faite, mais qu'elle ait été mal faite, et qu'au lieu d'être archive de vérité, elle soit archive d'erreur, et, qui pis est, arsenal de calomnie.

Certes, on ne doit pas se presser de juger les contemporains, parceque ce n'est pas sur des faits isolés et d'après ce qu'on fut un jour, mais sur une série de faits et d'après ce qu'on a été pendant sa vie entière, qu'on peut en conscience prononcer sur un individu. Mais, pour mettre la société à même de porter sur lui, quand le temps sera venu, un jugement définitif, en sûreté de conscience, on ne saurait trop s'appliquer à mettre sous les yeux de ce juge les faits dont la vie de ses justiciables se compose; et le biographe qui les a recueillis ne fait rien d'honnête et d'utile en les publiant.

que

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