Page images
PDF
EPUB

permettre de recevoir avec des sentiments de componction; car il serait fâcheux qu'il mourût dans l'impénitence?

Un pareil homme, dira-t-on, n'existe pas; il existe, et pour le trouver il n'est pas besoin d'aller à Rome. Point de pardon pour un apostat de cette espèce; au défaut des lois, c'est à l'opinion à en faire justice.

Tous les apostats ne doivent cependant pas être traités avec cette sévérité; ne refusons pas notre pitié à ces bonnes gens qui, pour être toujours honnêtes, n'ont besoin que d'être braves, et qui professeraient toujours les mêmes principes, s'ils ne disaient jamais que ce qu'ils pensent. Ces bonnes gens ont porté toutes les couleurs, parlé tous les langages, sacrifié à toutes les idoles. Mais toutes ces démonstrations prouvent qu'ils ne sacrifiaient qu'à une divinité, que les Romains encensaient aussi la peur. Et puisqu'ils ne lui ont sacrifié qu'euxmêmes, sont-ils plus coupables, après tout, que ces dévots qui immolaient un poulet à Esculape, ou un verrat à Hercule? il n'y pas là mort d'homme. Rions de ces innocents apostats.

:

Rions aussi de ces autres apostats plus malins peutêtre, mais non pendables pourtant, qui ne changeaient d'opinion quinze fois par jour qu'en conséquence de spéculations excusables dans un homme qui veut faire la fortune de sa famille ou la sienne. Le portrait de ces apostats, qui ne négligeaient jamais d'assortir leur toilette à l'opinion qu'ils avaient pour le quart d'heure, me

semble assez bien tracé dans les quatre vers qu'on va lire, espèce de parodie des quatre vers qu'on a lus :

Au gré de l'intérêt passant du blanc au noir,
Le matin royaliste, et jacobin le soir;

Ce qu'il blåmait hier, demain prêt à l'absoudre,
Il prit, quitta, reprit la perruque et la poudre.

DES MOUSTACHES

ET DE LA MOUSTACHE'.

D'où vient, disions-nous, cet usage de conserver la partie de la barbe qui se trouve entre le nez et la bouche?

Nous n'avons guère mis qu'un mois à réfléchir à cette question, et ce n'est pas trop, vu son importance. Voilà ce que nous croyons pouvoir y répondre.

La moustache ne serait-elle pas une invention de l'orgueil masculin? Chez les Orientaux, d'où elle nous vient, la barbe n'est pas seulement l'insigne de la dignité, c'est aussi celui de la liberté. Les esclaves ne la portent pas; mais comme en se rasant tout-à-fait ils courraient risque d'être confondus avec d'autres esclaves, qui n'ont pas besoin de se raser, n'est-il pas probable qu'ils ont demandé à conserver la moustache comme un échantillon de virilité, comme une réfutation de la calomnie ferait contre eux leur menton?

que

Voyez, page 440, l'article sur la barbe.

Peut-être aussi cet usage vient-il des soldats, qui, ne pouvant donner à la barbe les soins qu'elle exige, auront trouvé commode de n'en garder que la partie dont la

toilette se fait facilement.

Tous les peuples d'Asie portent la moustache; il est probable que c'est avec eux qu'elle a passé en Europe, où les peuples qu'elle a effrayés l'ont adoptée pour en effrayer d'autres. Ainsi les Polonais, les Hongrois et les Grecs tiendraient cette mode de leurs guerres avec les Turcs, et les Espagnols de leurs rapports avec les Maures.

On est d'autant plus porté à croire la moustache originaire d'Orient, que ce mot, qui se retrouve dans plusieurs langues d'Occident, est grec. Mustax, qui dans la langue d'Homère signifie lèvre supérieure, se dit aussi de la barbe qui s'y attache. Ainsi dans la langue de nos grand'mères, si l'on en croit madame`de Genlis, qui la possède, une pièce de leur toilette que, moins hardis qu'elle, nous n'osons pas nommer, prenait son nom de la partie de leur individu sur laquelle elle s'appliquait, et c'était tout autre chose que le visage.

Les musulmans ne portent jamais le rasoir à leurs moustaches. Ils ne les taillent qu'avec des ciseaux, et cela à l'imitation d'Abraham. Ce patriarche, disent-ils, taillait la sienne avec cet instrument, qui est plus vieux que la censure, laquelle ne date pas, je crois, de quatre mille ans.

La moustache, à en juger par les monuments publics,

n'a guère été d'usage commun en France qu'au dixseptième siècle. Louis XIII et Louis XIV sont les seuls de nos rois dont le visage se soit décoré de cet ornement. Mais il a subi sous le règne de ces deux monarques, des modifications notables.

Indépendamment des moustaches, Louis XIII portait au-dessous de la bouche deux bouquets de poils; l'un, assez petit et presque rond, tenait à la lèvre inférieure ; l'autre, séparé du premier par la fossette du menton, s'alongeait en langue de chat sur sa convexité. Cela s'appelait le punctum cum virgula, le point et la virgule.

Sous Louis XIV, la moustache, réduite d'abord à deux petits filets, finit par disparaître tout-à-fait du visage royal, et bientôt après de tous les visages du royaume. C'est en 1680 que s'opéra cette grande révolution. Alors la mode des moustaches était si générale, que les ecclésiastiques eux-mêmes s'y conformaient. Richelieu et Mazarin, Corneille et Molière, Bossuet et Fénélon, portaient la moustache, comme la portaient Turenne et Condé, comme la portent encore Crispin, Sganarelle, et M. de Pourceaugnac.

Les acteurs feraient bien de prendre note de ce fait : avant le règne de Louis XIII, la moustache était peu admise en France. Talma seul pourtant n'en prend pas dans les pièces qui se rattachent à des faits antérieurs au règne de ce roi; il porte la barbe dans les rôles de Bayard, de Henri IV. Ses camarades, au contraire, croiraient manquer au costume s'ils jouaient ces rôles au

trement qu'avec des moustaches. C'est leur ornement favori. Ils en mettent jusque sous le nez de Tancrède.

Les artistes qui dessinent Abailard le gratifient également d'une belle paire de moustaches. Ils se fondent pour cela sur ce que dans un médaillon qui décore la façade de la maison du chanoine Fulbert, celle-là même où Abailard perdit sa barbe, ce martyr de l'amour est représenté avec des moustaches. Cette sculpture peut-elle faire autorité? N'est-il pas démontré qu'elle appartient au dix-septième siècle, des modes duquel elle affuble sans scrupule deux amants du douzième? Ces sortes d'anachronismes ne sont que trop communs. Je ne sais quel peintre italien habille à la suisse les soldats qui assistent au crucifiement de Jésus. S'ensuit-il que les compatriotes de Guillaume Tell et de Jean-Jacques soient complices de Caïphe, de Pilate et d'Hérode?

La moustache ne le cède pas en crédit à la barbe. Il fut un temps où en Espagne on trouvait à emprunter sur cette hypothèque. Les moustaches alors représentaient l'honneur.

C'est pour cela, sans doute, qu'un gentilhomme tenait tant aux siennes. En montant à l'échafaud, Bouteville caressait encore ses moustaches. Prêt à perdre la tête, ses moustaches étaient la chose dont il avait le plus de peine à se séparer.

Il y a moustache et moustaches: en fait de moustache, le singulier ou le pluriel ne s'emploient pas s'emploient pas indifféremment; le singulier désigne la moustache qui s'étend d'un

« PreviousContinue »