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d'Auguste que ceux d'Octave. Ce n'est qu'une série de proscriptions. Cruels par calcul, quand ils ne l'étaient pas par folie, ces monstres regardaient non seulement la proscription comme le premier des droits de l'empereur, mais aussi comme le moyen le plus naturel de remplir leur trésor continuellement épuisé par leur folle prodigalité. La cruauté fournissait aux besoins de la débauche, et ils regagnaient par le meurtre l'or qu'ils avaient dépensé en volupté.

Laissons là Tibère, Caligula, Néron, Vitellus, Domitien, Commode, Caracalla, et Constantin lui-même, qui, sur le trône impérial, est à la fois le dernier des proscripteurs païens et le premier des proscripteurs chrétiens.

Passons à l'histoire du moyen âge; c'est encore celle des proscriptions. Malgré l'établissement du christianisme, dont le véritable esprit devrait rapprocher les hommes et les porter à la charité, nous les voyons de toutes parts ensanglanter l'Europe. Dans l'histoire des Mérovingiens et des Carlovingiens, les proscriptions signalent même les règnes les plus tranquilles et les plus glorieux. Ceux de Clovis et de Charlemagne n'en sont pas exempts, et l'on n'ignore pas que ce n'est pas par leurs vertus que les héritiers de ces deux monarques

leur ressemblèrent.

Deux passions agitèrent incessamment les hommes pendant le long période qui s'est écoulé depuis la propagation de l'évangile et la chute de l'empire romain

jusqu'à nos jours, le fanatisme de la religion et celui de la liberté. De quelles fureurs ces deux passions généreuses n'ont-elles pas été la source! Que de crimes ont déshonoré ces deux causes sacrées! En France, en Allemagne, en Italie, combien n'ont-elles pas désolé les monarchies et les républiques pendant ces longues guerres de l'empire et du sacerdoce, du peuple et des nobles, des citoyens contre les citoyens!

L'Angleterre alors n'était pas plus tranquille. Moins barbare, mais non moins cruelle après avoir été conquise par un vassal du roi de France, elle fut presque continuellement déchirée par des factions, depuis le règne du premier des Plantagenets jusqu'à l'expulsion du dernier des Stuarts. Cette histoire, dit Voltaire, devrait être écrite par la main du bourreau; ajoutons à cela que des arrêts de proscription en pourraient être les chapitres. Le moins considérable ne serait pas celui des proscriptions qui suivirent la bataille de Culloden, perdue, comme on sait, par les défenseurs de la légitimité.

L'histoire des proscriptions se mêle aussi à celle de tous les autres peuples de l'Europe, de tous les peuples du monde.

De toutes ces horreurs, la plus horrible fut sans doute le massacre de la Saint-Barthélemi. En proscrivant les huguenots en masse, Charles IX délégua à chacun des catholiques le droit de proscrire. Le monarque associa par là ses sujets à l'exercice de la plus terrible attribution

du pouvoir arbitraire. En désignant les têtes, les autres proscripteurs avaient au moins donné des limites à la proscription. Et c'est au nom de la religion que tant de sang a été versé! En a-t-on moins répandu au nom de la liberté? Non, sans doute. Mais si des crimes pouvaient être atténués par quelques considérations, on dirait que les fanatiques qui s'en sont rendus coupables en conquérant la liberté combattaient pour un bien dont on voulait les priver. Les catholiques au contraire ne proscrivaient les protestants que parceque ceux-ci ne voulaient pas renoncer au plus précieux de tous les droits, la liberté de conscience. Les zélateurs de la liberté politique ont été parfois cruels dans une juste défense. Les oppresseurs de la liberté religieuse ont toujours été atroces dans la plus injuste des agressions.

Qu'on ne nous soupçonne pas néanmoins de vouloir excuser ici les proscriptions, qui se sont renouvelées sous tant de formes pendant le long cours de la révolution de France. Nous les détestons d'autant plus que nous aimons plus la cause qu'elles ont fait calomnier. Nous ne pouvons trop gémir en nous ressouvenant qu'un sentiment si fécond en vertus a été le prétexte de tant de forfaits. Anathème donc contre quiconque ferait l'apologie des proscriptions exercées par les proconsuls de Nantes, de Nevers, de Toulon, d'Arras, et par cette commission temporaire de Lyon, dont on rencontre encore tous les jours le secrétaire.

Nous n'avons pas moins horreur des jugements du

tribunal révolutionnaire, qui ne sont que de véritables actes de proscription, puisque la mort de tout homme condamné par cette cour d'assassins était ordonnée d'avance; puisque c'est d'après une liste dressée par Robespierre, et sur ses notes, que ces sanglantes procédures se succédaient et se conduisaient. Les listes de Robespierre valaient bien les tables de Sylla.

La chute de ce gouvernement féroce fut signalée par de nouveaux actes de férocité. La vengeance ne fut pas moins cruelle que l'offense. Pour toutes ces factions qui, depuis la destruction du décemvirat jusqu'à la création du directoire, se disputèrent plutôt la hache que le sceptre, proscrire était gouverner.

A cette époque finissent les proscriptions sanglantes. Il semble qu'en conséquence des dernières constitutions acceptées par la France et même de la charte qui lui a été octroyée, ces condamnations arbitraires ne pouvaient plus se renouveler sous quelque forme que ce soit. Il semble que, dans aucun cas, aucun Français ne pouvait être puni qu'en conséquence d'un jugement rendu dans les formes légales. Dès la seconde année du gouvernement directorial, on vit cependant les proscriptions se renouveler. Elles ne furent pas sanglantes, il est vrai; mais furent-elles moins cruelles? On vous dira peut-être, en vous montrant l'honorable Barbé de Marbois, qu'on n'en meurt pas; mais la veuve de l'honnête Tronson du Coudrai sera sans doute d'un avis différent.

L'histoire de ces proscriptions non sanglantes fera le sujet d'un autre article.

RENÉGAT, APOSTAT.

Ces deux mots ne sont pas synonymes. Le second dit bien plus que le premier. Le renégat est l'homme qui renie ou a renié ; l'apostat est celui qui persiste dans sa renégation. On est renégat par un seul crime, et apostat par la persévérance dans le crime; différence qui établit entre ces deux espèces de pécheurs celle qui se trouve entre le prince des apôtres et le prince des démons. 1 Errare humanum est: perseverare diabolicum, vous dira le premier théologien venu.

Il n'est personne qui ne connaisse l'histoire de saint Pierre. Après avoir donné sur les oreilles à Malchus, il renia Jésus jusqu'à trois fois; et Dieu sait s'il se serait arrêté là, si le coq n'eût chanté. Quel exemple de la fragilité humaine! Comme il nous apprend à ne pas trop présumer de nos forces, et à être indulgents pour la faiblesse d'autrui! Simon-Pierre effaça, il est vrai, sa faute par un prompt repentir. Flevit amarè, il pleura amèrement. S'il a été renégat, du moins ne fut-il pas apostat.

Errer est d'un homme: persévérer est d'un diable.

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