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Sous le règne de Louis-le-Bien-Aimé, l'imposante uniformité fit place à la variété la plus prodigieuse, même en fait de perruques. C'est à cette époque, si célèbre d'ailleurs par l'invention de la poudre à poudrer, qu'on vit paraître cette innombrable quantité de perruques aussi différentes entre elles que les conditions et les physionomies des gens qui s'en parèrent. Perruques à boudins, perruques à marteaux, perruques à bourse, perruques à queue, perruques rondes, perruques carrées, toutes ces perruques signalent le génie inventif des perruquiers dont ce siècle abondait. Si, à l'instar des savants, de cette nomenclature de famille nous descendions à celle des genres et des espèces, ce serait à n'en pas finir. Un perruquier, qui, s'il eût classé les objets avec un peu de méthode et d'après un système philosophique, eût été pour son art ce que les Tournefort, les Jussieu, les Linnée, sont pour la botanique, comptait, vers le milieu du dernier siècle, je ne sais combien d'espèces différentes de perruques, dont il décrit les caractères avec une exactitude digne d'un membre de la classe des sciences physiques et mathématiques de feu l'Institut de France. Son livre est orné de dessins aussi corrects que ses descriptions. C'est à la fois le Buffon et le Daubenton de son genre. En créant un système, il pouvait être mieux.

La perruque était alors l'étiquette du sac: la perruque faisait l'homme. Il suffisait de la regarder pour savoir ce qu'était celui qui la portait. Chaque profession avait sa

perruque. Rien ne ressemblait moins à la perruque d'un président que celle d'un brigadier, et à la perruque d'un cordonnier que celle d'un tailleur. Les perruques tenaient lieu de ces uniformes différents par lesquels, si l'on en croit Fénelon, Idoménée faisait reconnaître à Salente les citoyens des diverses professions. La perruque n'était pas d'une médiocre utilité pour les gens qui aiment à savoir au premier coup d'œil à qui ils ont affaire.

L'usage de la perruque fut long-temps interdit aux ecclésiastiques. Les prédicateurs se déchaînèrent contre elle avec presque autant d'emportement que certains curés en mettent encore à prêcher contre la vaccine ou contre le libéralisme. Les premiers tonsurés qui osèrent prendre perruque furent frappés de censure. On se relàcha, il est vrai, avec le temps. Les évêques accordèrent petit à petit des permissions qu'on finit par ne plus leur demander. Un pape même, Lambertini, prit perruque, indè mali labes. Vers la fin du dix-huitième siècle, les perruques s'étaient multipliées à l'infini dans le clergé catholique, ce qui a évidemment amené ses disgrâces.

Cela n'empêche pas la perruque d'être un des meubles les plus utiles. Elle déguise l'âge, commande le respect, et conserve la santé. Il est même des cas où elle a sauvé la vie à son possesseur.

Dans le temps des guerres du Canada, un officier français tomba entre les mains des Iroquois. L'habitude

de ces sauvages est, comme on sait, d'enlever la chevelure à leurs prisonniers. Leur étonnement ne fut pas petit, quand ils virent un Européen auquel ils voulaient faire cette opération, détacher de lui-même sa chevelure, la saisir par la queue, et les poursuivre avec cette arme d'un nouveau genre. On ne disputa pas le passage à ce sorcier, qui n'eût pas conservé sa tête s'il n'eût pas porté perruque.

Que de services capitaux n'a-t-elle pas rendus pendant la terreur, au milieu d'une autre espèce de cannibales, cette perruque non poudrée, à l'aide de laquelle on pouvait se changer en un moment du blanc au noir! Elle n'a pas été non plus inutile aux ambitieux, qui, le matin, s'en servaient pour cacher au déjeuner du ministre démocrate la poudre dont ils étaient couverts la veille au souper d'un ministre aristocrate.

On a vu pendant quelque temps, à Paris, toutes les femmes se faire blondes, en dépit de leurs cils et de leurs sourcils, les blondes exceptées : celles-ci avaient profité de l'occasion pour se faire brunes. La perruque avait opéré ces deux prodiges.

La restauration n'a pas laissé que d'être profitable aux vieilles perruques. Elles ont formé long-temps la majorité d'un ministère où M. de Richelieu n'était pas déplacé, quoiqu'il portât ses cheveux,

Terminons par une anecdote. Pendant que le grand Frédéric, poursuivant le cours de ses conquêtes, enlevait toutes les places de la Silésie, un journal annonça

que ce vainqueur avait pris perruque. - De quelle ville me parlez-vous là, dit au politique qui lisait tout haut cet article, un gobe-mouche qui ne rêvait que siéges et que batailles. Perruque : dans quel pays, sur quelle rivière cette place est-elle située? Sur la nuque.-Diable! voilà une belle victoire! Le roi de Prusse fera sans doute chanter le Te Deum,

Vous doutez du fait; je ne l'affirme pas. Je suis certain pourtant que, dans le pays où vous lisez ceci, il y a plus d'un politique de cette force; et ils règlent le sort de l'Europe!

DES PIERRES ET D'AUTRES CHOSES.

Aujourd'hui, 1o juillet 1818, on a posé la première pierre du théâtre de Liége; la première de nos actrices, pour l'esprit comme pour le talent, mademoiselle Mars, assistait à cette cérémonie. Il semble Thalie en personne soit descendue ici-bas pour présider à la consécration de son temple. Puisse-t-il être digne de la déesse ! Mais pour cela, il faut qu'il s'achève.

que

Une première pierre peut être considérée comme une graine jetée en terre. Toute semence ne lève

pas. Que d'édifices immenses sur le papier n'ont occupé sur terre que la place de leur première pierre ! J'ai vu poser la première pierre des cent trois

!

colonnes qui devaient s'élever dans les cent trois départements de la république française, et aucune d'elles n'est parvenue seulement à la hauteur d'un champignon.

De même que l'on voit des grains produire des tiges qui ne portent pas de fruits, de même on voit aussi des édifices s'élever sans s'achever, sans recevoir le degré de confection qui les rendrait utiles. Ainsi les travaux du nouveau pont de Sèvres n'ont été poussés qu'autant qu'il le fallait pour gêner la navigation; ainsi l'arc des Champs-Élysées, à demi construit et à demi ruiné, obstrue de sa masse informe la voie qu'il devait embellir; ainsi les fouilles si coûteuses qui creusaient un lit au canal de Saint-Denis, au lieu d'offrir une route au commerce, n'ont fait que priver l'agriculture d'un terrain devenu inutile, devenu nuisible même, puisqu'il s'est changé, sous les pas du voyageur, en un précipice de plusieurs lieues '.

La tour de Babel, dont le sommet devait toucher au ciel, ad cœlum pertingere, ne s'est pas élevée au-delà de vingt mille pieds, suivant saint Jérôme. Un vieux livre juif, intitulé Jacult, prétend bien que la hauteur de ce monument de vanité et de confusion a été portée à quatre-vingt-un mille pieds. C'est une hauteur honnête; mais qu'est-ce en comparaison de trente-trois mil

Les divers travaux dont il s'agit ici ont été terminés depuis la publication de ces réflexions, écrites en 1818.

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