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qu'en politique il est tenu pour tel. Ces mots pour elle sont synonymes. Les alliés naturels, demandez-le plutôt au dernier des employés de la dernière des ambassades, sont les peuples séparés par un intermédiaire commun. Tel est le rapport où la France se trouve avec la Russie, qui, comme elle, est voisine de la Prusse et de l'Autriche, et, comme elle, devrait, d'après ce principe, voir dans la Prusse et l'Autriche ses véritables ennemis. Toute alliance entre la Russie et ces peuples contre la France est donc alliance extraordinaire, alliance contre nature. Ainsi en est-il de l'alliance de la France avec l'Angleterre, sa bonne voisine. Mais ce qui est contre nature ne peut durer. Patience donc.

mers,

Heureux le peuple qui n'aurait pas de voisins! L'Angleterre est dans ce cas. Grâce aux mers dont elle est environnée, aucune nation n'est en contact avec elle; et, d'autre part, grâce à l'empire qu'elle exerce sur ces elle se met en frottement à volonté avec tous les peuples chez qui ses vaisseaux peuvent aborder, et ce n'est pas pour leur avantage. Voisine de tout le monde, sans avoir au monde un seul voisin, elle jouit ainsi de tous les bénéfices que les rapports de voisinage peuvent procurer, sans éprouver aucun de leurs inconvénients. Ainsi dureront les choses, tant que le monde ne se fermera pas de toutes parts à ces voisins qui n'ont de relations avec lui que celles qui existent entre les héros de la caverne de Gil Blas et les contrées qui avoisinent leur repaire.

Les nations ne peuvent pas se choisir leurs voisins. Nous ne sommes plus au temps des patriarches et de la guerre de Troie, où les peuples déménageaient de trois mois en trois mois, comme font les filles. Les individus sont plus heureux en cela que les peuples. Le voisinage leur déplaît-il, ils en changent. Mieux vaudrait ne pås se mettre dans la nécessité d'en changer. Souvent vous êtes déjà compromis par vos voisins, quand vous songez à les quitter. On a déjà jugé de vos mœurs et de vos sentiments d'après les leurs, lorsque vous vous en séparez par suite du peu d'accord qu'il y a entre leurs mœurs ou leurs sentiments et les vôtres.

Êtes-vous éligible, ne vous placez donc pas à côté du premier venu dans le collége électoral. Êtes-vous législateur, sachez bien aussi auprès de qui vous allez vous asseoir. Ici ce n'est pas la tête qui l'emporte. Que d'honnêtes gens ont été compromis pour avoir mal choisi leur siége; et, pour n'en avoir pas usé en pareille circonstance avec toute la circonspection requise, se sont trouvés enrégimentés à leur insu dans le parti avec lequel ils sympathisaient le moins, comme autrefois un badaud était réputé soldat si, buvant dans un cabaret à côté d'un racoleur, il avait dit tope à la santé du roi !

En tout lieu public il est bon de savoir à côté de qui on est, quand ce ne serait que pour ne pas s'exposer à recevoir des politesses de tout le monde. Qu'un Lazarille vous offre en pleine église, et il y va, du tabac ou

de l'eau béníte, vous voilà compromis. Au spectacle méfiez-vous aussi de votre voisinage, non seulement dans l'intérêt de votre réputation, mais encore dans celui de votre plaisir. Vous croyez avoir la meilleure place au parquet, à l'orchestre, au balcon: eh, mon ami, vous avez justement choisi la plus mauvaise. Renoncez à rien voir, à rien entendre avec le voisinage dont vous êtes entouré. Devant vous une femme charmante à la vérité, mais ne vous tourne-t-elle pas le dos? mais n'est-elle pas encapuchonnée dans le pavillon d'un énorme cor de chasse qui, au ciel près, vous cache toute la décoration. A côté de vous sont deux hommes des plus respectables de la capitale, j'en conviens; mais il y a quarante ans qu'ils ne manquent pas une représentation; ils savent leur théâtre par cœur aussi tandis qu'à votre droite l'un, qui pourrait remplacer le souffleur, récite les vers avant que l'acteur ait pu les estropier, à votre gauche, l'autre, qui pourrait suppléer le directeur de l'orchestre, battant à faux la mesure, et chantant comme il bat, couvre de sa voix la symphonie, les cris des chœurs et ceux de Lainez lui-même. Derrière vous cependant des connaisseurs se disputent sur le spectacle qu'on donnait hier, et ne s'interrompent que pour imposer silence par des chut au bruit qu'ils font eux-mêmes.

Tout ce bruit est très amusant sans doute pour les gens qui le font, mais pour ceux de leurs voisins qui ne viennent au théâtre que pour jouir des plaisirs du théâtre, c'est autre chose.

Quelqu'un qui avait la manie de ne vouloir entendre chanter à l'opéra que les acteurs disait à un de ses voisins qui avait la manie de chanter en même temps que les acteurs: Mon ami, combien te dois-je pour le plaisir que tu me fais? Je te prie de me le dire ou de te taire, car je n'ai payé que pour entendre les chanteurs annoncés sur l'affiche.

L'AMBITION.

Ambire signifie tourner autour d'un objet. Ambitus indique le mouvement qu'on décrit par cettè action. Telle est l'étymologie du mot ambition. Les Romains appelaient ambitiosi, ambitieux, les intrigants qui circulaient dans les assemblées du peuple pour briguer les suffrages, comme tant de gens le font encore aujourd'hui; la brigue s'est conséquemment appelée ambitus.

Que si on donne le nom d'ambitieux à quelques pauvres hères qui se tourmentent pour se faire nommer membres d'une législature, d'une municipalité ou d'une académie, à plus forte raison convient-il à ces hommes qui, à la tête d'armées innombrables, ont parcouru le globe et changé la face du monde. L'importance du but, la puissance des moyens établissent sans doute quelque différence entre les uns et les autres; mais leurs actions partent toutes d'un même principe. Les uǹş et les au

tres sont également avides de pouvoir. César, quand il tendait à la dictature, n'était pas plus ambitieux que tel maire ou tel bourgmestre, qui n'échangerait pas plus volontiers que lui la première place de son village contre la seconde dans la première ville du monde.

On donne généralement le nom d'ambition à la soif des grandeurs. Quel contraste entre ces grandeurs et les bassesses auxquelles les ambitieux descendent pour y parvenir! Un lord n'a pas honte d'aller boire à la taverne, où les hommes du peuple qu'il se met en état de représenter s'enivrent à ses dépens. Et à quelles mortifications ne s'exposent pas tous les ans ces prétendus amis du peuple, qui souvent ne briguent l'honneur de le servir que pour avoir l'occasion de le trahir!

Tout désir d'avancement est ambition. Un gardeur de cochons a l'ambition d'être moine; moine, il a l'ambition d'être prieur, puis d'être prélat, puis d'être cardinal. De là à la papauté il n'y a qu'un pas, assez grand à la vérité; mais, Dieu aidant, ce pas peut se faire, ainsi que l'a prouvé Sixte-Quint, qui fut successivement travaillé de toutes ces ambitions:

Cet homme était planteur de choux,

Et le voilà devenu pape.

LA FONTAINE.

Puisqu'il est ici question de la papauté, ne serait-il pas plus facile d'y parvenir en sortant d'une étable que d'un palais? On serait tenté de le croire. Adrien IV ne

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