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der, ils étaient réduits à quêter pour vivre. Eût-il été moins édifiant de les obliger par leurs vœux mêmes à gagner leur vie en travaillant! Travailler c'est prier. Le vœu d'utilité eût bien valu celui de pauvreté. Mais le bon François d'Assise n'en savait pas tant. Ses enfants, tout ignorants qu'ils sont, ont fini cependant par en savoir plus que lui. Dans les derniers temps, les capucins s'efforçaient de mériter par les services qu'ils rendaient à la société les charités qu'ils en recevaient. Ils ne priaient que quand ils n'avaient rien de mieux à faire. On les voyait assister les malades dans les hôpitaux, consoler les malheureux dans les prisons; on les voyait courir aux incendies et s'y montrer presque aussi braves que des pompiers. Ils n'étaient pas, à la vérité, aussi savants que les jésuites, qui faisaient aussi vou de pauvreté; mais en revanche ils étaient plus modestes.

Le plus célèbre des gueux du siècle dernier est sans contredit le nommé Labre, né à Boulogne-sur-Mer, et mort en odeur de sainteté, il y a une trentaine d'années, à Rome, où il s'est sanctifié à ne rien faire. Un autre gueux, nommé Poulailler, obtint bien aussi quelque célébrité vers le même temps, à Paris; mais sa vie fut moins édifiante, quoique plus active. C'était un héros de basse-cour, très redouté des fermiers de la Beauce et de la Brie. Sa fin fut tragique, comme le constate une complainte faite à son sujet, où l'on trouve les vers sui

vants :

Mon cher Poulailler,

Tu seras pendu,

N'en demande pas davantage.

Il le fut. Que ne se sauvait-il en basse Normandie ? Quinze ans plus tard, sous le nom de chouan, peutêtre eût-il été un grand homme tout comme un autre.

Au fait, le nom de gueux a été porté une fois par de grands hommes. Il est illustre dans les fastes de l'histoire. Les premières familles flamandes, à commencer par la plus célèbre de toutes, ne descendent-elles pas de ces gueux qui avaient secoué le joug de la maison d'Autriche, sous lequel la Hollande n'est jamais retombée ? Ce nom injurieux devint si honorable, dès que Guillaume-leGrand l'eut accepté, que depuis lui je ne sache guère que Washington qui, au même titre, aurait eu le droit de le porter. C'est ainsi que, voulant diffamer un homme, on ne fait quelquefois que réhabiliter un mot.

On peut donner à tout homme déchu de l'opulence dans la misère le nom de gueux. OEdipe, Ulysse, Bélisaire, ont été des gueux. Cela doit consoler les hommes qui aujourd'hui ne sont pas plus riches que ces héros; nobles infortunés, du nombre desquels on doit excepter tel duc et tel prince, qui n'ont perdu que le pouvoir: · ceux-ci ne sont que des malheureux.

Las de mendier, les gueux s'arment-ils, on les appelle brigands; puis pendards s'ils sont vaincus, ou héros s'ils sont vainqueurs. Des gueux ont fondé Rome.

Dans l'état paisible, les gueux s'appellent aussi coquins, gredins.

Coquin dérive de coquina, cuisine; cuistre, qui signifie tout autre chose, a la même racine. La condition de cuistre est très compatible avec la plus complète innocence. Tous les cuistres ne sont pas aussi malins que l'abbé Tourniquet.

Entre gredin et coquin la différence n'est pas grande. Lazarille en donnerait le choix pour une épingle. Un gredin, dans le sens primitif du mot, est cependant un chien dont la mauvaise réputation vient de ce que, dans la race à laquelle il appartient, les individus savent quêter, piller même, mais rien de plus. J'ai connu un honnête fournisseur qui, pour pareille cause, donnait le nom de gredins à ceux de ses agents qui trompaient sa confiance. Ne me parlez pas de ce gredin-là, disait-il en parlant d'un de ses employés les plus intelligents : c'est un chien qui quête, mais qui ne rapporte pas.

Gredin répond au dog des anglais, épithète dont ils nous gratifient si libéralement.

Gredin n'est employé quelquefois que pour désigner des hommes sans importance, sans considération, sans crédit.

Il semble à trois gredins, dans leur petit cerveau,

Que, pour être imprimés et reliés en veau,

Les voilà dans l'état d'importantes personnes,

Q'avec leur plume ils font les destins des couronnes.

Femmes savantes.

Ne croirait-on pas ces vers faits avant-hier sur les gentilshommes qui rédigeaient le Conservateur?

Voltaire emploie en plus d'un cas le mot de gredin. Il fait dire au pauvre diable devenu apprenti Fréron :

Quel fut le prix de ma noble manie?

Je fus connu, mais par mon infamie,
Comme un gredin...

Le Pauvre Diable.

Tout le monde peut prétendre à la réputation. Mais comme le même poëte dit ailleurs à un barbouilleur de papier,

Çà, que prétendez-vous?— De la gloire.

Ah! gredin,

Sais-tu bien que cent rois la briguèrent en vain?

il faut en conclure que la gloire n'est pas faite pour tout le monde.

Mais à quoi bon, me dira-t-on, cette grave dissertation? A plus d'une chose, chers lecteurs; elle apprend à ceux d'entre vous qui aiment à savoir ce qu'ils disent la juste valeur des termes que nous avons examinés; elle leur indique avec une rare précision le poids réel de ces sortes de pierres que, dans l'impatience, on est trop souvent porté à jeter à celui qui la cause. Grâce à cette petite instruction, et pour peu qu'on garde de présence d'esprit dans la colère, on choisira ses mots proportionnément au tort qu'on a reçu, ou à celui que l'on veut faire, et l'on fera concorder l'adjectif avec le substantif, comme la syntaxe le commande.

Les injures ne doivent pas plus être employées indifféremment par un esprit juste, que les compliments et les

qualifications. On se garde bien d'appeler une altesse, excellence; un monseigneur, monsieur; un monsieur, l'ami ou l'homme, ce qui est, comme on sait, le terme le plus méprisant dont on puisse se servir par politesse. Le même discernement doit présider à la distribution des compliments négatifs.

Un petit mot avant de finir, sur l'emploi injurieux que nous faisons du mot homme. En cela les Français diffèrent beaucoup des Espagnols, qui n'y voient qu'une honorable qualification, et emploient si volontiers le beau mot hombre, dans leurs plus nobles interpellations. Il est vrai qu'il y a eu chez eux des hommes.

Il y a des

gueux partout, et il y en a eu de tous les temps. Mais tous ces gueux-là n'ont pas été, ne sont pas et ne seront pas des héros.

DES VOISINS.

Vicus, en latin, signifie bourg, village, quartier. Vicinus, qui en français fait voisin, dérive évidemment de vicus. L'application du mot vicinus, qui primitivement semble avoir dû s'étendre à tous les habitants d'un même endroit, aura été insensiblement restreinte par l'usage, et ne se faisait plus qu'à ceux des habitants dont les maisons étaient contiguës, quand il a été transporté dans les langues modernes. Nous sommes voisins, nos deux

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