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vières, et qu'on la marquât d'un fer rouge, ce qui prouve aux criminalistes, soit dit en passant, que le fouet et la marque ne sont pas des perfectionnements modernes de la justice.

M. Cassandre n'eût pas prononcé non plus sa sentence contre l'élément rebelle dans un style aussi bouffon que celui du grand roi. La voici; elle est bonne à insérer au protocole où l'on conserve tant de pièces ridicules qui n'ont pas toujours fait rire. « Eau amère et salée, ton maître te punit ainsi parceque tu l'as offensé sans qu'il t'en ait donné sujet. Le roi Xercès te de force ou de gré. C'est avec raison que perpassera << sonne ne t'offre de sacrifice, puisque tu es un fleuve trompeur et salé. »

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Voilà ce qui peut s'appeler des vérités salées. Le temps de ces rodomontades, il faut pourtant le dire, n'est pas encore passé tout-à-fait. Je ne sais quel Anglais, dégustant l'eau de la mer, sur je ne sais quelles côtes, disait « Cette eau est salée, donc elle est à nous. » Cette prétention n'est guère plus modeste que celle de Xercès; mais malheureusement est-elle plus fondée.

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On n'en finirait pas si on voulait pousser jusqu'au bout le parallèle entre Xercès et M. Cassandre. Terminons-le par un trait qui complètera la ressemblance.

Ce roi, qui traînait en Grèce cinq millions d'hommes pour en exterminer un million d'autres, passant un jour son armée en revue, refrogna son front, dit Montaigne

d'après Hérodote, et s'attrista jusqu'aux larmes, en pensant que de ces millions d'hommes il n'en resterait pas un seul dans cent ans; et dans ce moment même ce bon roi les menait à la boucherie! M. Cassandre n'a jamais porté la bonhomie jusque là.

Tout cela, au reste, est dans la nature. Le plus stupide des bourgeois est encore moins stupide qu'un despote.

Dernière réflexion. L'homme à qui l'on répète continuellement qu'il peut tout n'a-t-il pas droit de ne pas croire à l'impossible? Un enfant picard, à qui sa maman n'avait jamais rien refusé, voulait absolument qu'elle lui acatât (achetât) une lune. Cha n'che peut mie, not' fieux, répondit la mère. Eh bien, j'en veux deux, répliqua le marmot.

Un despote n'est qu'un grand enfant gâté.

Telles sont, grande reine, les bases de mon opinion sur cette importante question, qui ne touche pas moins à l'érudition qu'à la morale. Permettez-moi d'en conclure que, pour être un fou, Xercès n'en était pas moins un Cassandre, et que si l'un des deux personnages a droit de se formaliser de la comparaison, ce n'est peut-être pas le roi des rois.

Tout cela doit justifier, ce me semble, l'acteur qui, chargé, dans la tragédie de Léonidas, tragédie éminemment historique, du rôle de Xercès, a cru devoir non pas prêter, mais conserver à ce tyran un certain caractère de bonhomie. Ce judicieux artiste prouve en cela

qu'il connaît l'histoire, et qu'il l'a étudiée avec profit, ce dont on ne saurait trop le féliciter.

Je suis, de votre majesté,

le très humble sujet,

LE TON ET LES AIRS.

Le ton, les airs, les modes, les mœurs, sont choses très différentes. Les mœurs sont des habitudes constantes; les modes des usages passagers; le ton et les airs ne sont que des apparences, des démonstrations. Les habitudes communes à toute une nation sont des mœurs. Les usages particuliers à telle ou telle année sont des modes. Les manières affectées par certaines coteries ou par certaines personnes sont des tons ou des airs.

Ton se dit plus particulièrement de ce qui concerne le discours. Un ton assuré, un ton timide. Sur quel ton le prenez-vous? Baissez le ton.

Tout ranimé par son ton didactique,

dit le Pauvre Diable en parlant du ton de Lefranc de Pompignan, qui, à ce qu'il paraît, était quelquefois aussi sec et aussi pédant que l'est toujours M. de Laplace.

Air se rapporte exclusivement aux manières. Des airs de grandeur, des airs de bonté, un air avantageux.

Grandval me regardait

D'un air de prince...,

dit aussi le Pauvre Diable en parlant d'un comédien qui faisait le grand seigneur même hors du théâtre.

On peut avoir le plus mauvais ton et l'air le plus distingué, comme avec l'air le plus commun avoir un ton excellent.

Parler sa langue avec pureté, mais sans affectation, s'énoncer avec grâce, plaisanter sans licence, raisonner sans pédanterie, discuter sans emportement, être également sobre de fades compliments et d'âcres épigrammes, voilà, ce me semble, avoir bon ton.

Bien porter sa tête, n'avoir ni trop de raideur ni trop d'abandon dans le maintien, avoir une démarche aisée, n'aller ni le nez au vent comme un petit maître, ni les yeux en terre comme un séminariste, se montrer dans sa toilette également éloigné de la négligence et de la recherche, voilà, ce me semble, avoir bon air.

Bon air, bon ton, n'ont cependant pas toujours un sens aussi absolu. Par ces mots, chacun désigne le plus habituellement le ton et les airs de la société, ou de l'homme offert par la mode comme objet d'imitation à l'admiration publique.

Dans ce sens, on a bon ou mauvais ton, bon ou mauvais air, suivant qu'on se rapproche ou qu'on s'éloigne davantage des airs et du ton des modèles, des manières de l'homme ou de la société qui donne le ton.

En se composant sur l'homme à la mode, ce ne sont pas toujours des perfections qu'on imite; souvent on ne se fatigue que pour contracter des défauts, que pour échanger des grâces contre des grimaces. Les courtisans d'Alexandre se tordaient le cou pour habituer leur tête à se pencher sur l'épaule gauche, à l'instar du maître du monde. Ainsi en était-il des courtisans d'un des princes de Bénévent. Il clochait; c'était à qui clocherait autour de lui. Modelant ses grâces sur les siennes, on se gardait bien de marcher droit; c'eût été chez cette altesse le plus sûr moyen de tomber.

Lorsqu'Auguste buvait, la Pologne était ivre;

Lorsque le grand Louis brûlait d'un tendre amour,
Paris devint Cythère, et tout suivit la cour;

Quand il se fit dévot, ardent à la prière,

Le lâche courtisan marmotta son bréviaire.

FRÉDÉRIC.

Qu'une femme à la mode juge à propos, comme mademoiselle Le Verd, de ne plus prononcer les r, vous voyez aussitôt cette lettre rayée de l'alphabet du bon ton.

Le langage affecté des Précieuses ridicules, les airs impertinents du marquis du Cercle, ont été le bon ton, les grands airs, à l'hôtel de Rambouillet, sous Louis XIV, et sous Louis XV, à l'OEil-de-Bœuf. C'était pour ne pas paraître ridicule que chacun s'efforçait de

l'être.

Encore si cette manie de bon ton se renfermait dans les bornes du ridicule! Mais que de fois n'a-t-elle pas

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