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quatre mille ans plus tôt, la perruque devenait aussi épique qu'Agamemnon, et serait encore plus héroïque aujourd'hui qu'un Montmorency. A quoi tient la noblesse! Les Romains ont connu l'usage des faux cheveux, comme il appert par ces vers d'Ovide :

Femina procedit densissima crinibus emptis,

Proque suis alios efficit ære suos 1.

Vers qui ne contiennent pas un sens moins fin que celui qui fait le trait de cette épigramme si connue :

On dit que l'abbé Roquette
Prêche les sermons d'autrui;
Moi, qui sais qu'il les achète,
Je soutiens qu'ils sont à lui.

D'autres vers d'Ovide aussi prouvent que c'est sur les têtes des captifs que les perruquiers romains récoltaient les cheveux, dont nos perruquiers, la plupart du temps, se fournissent à l'hôpital.

.....

Captivos mittet Germania crines;
Culta triomphatæ munere gentis eris 2.

Ces faux cheveux étaient probablement ajustés sous

Une femme s'avance: sa tête ébouriffée se charge de cheveux achetés: grâce à son argent, les cheveux qu'elle a perdus sont remplacés par des cheveux étrangers devenus les siens.

2 Les Germains captifs t'apporteront leur chevelure, et tu t'embelliras aux dépens de la nation dont nous aurons triomphé.

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des bandelettes, et assujettis par les réseaux qui ornaient la tête des dames romaines. Cela ne constitue pas une perruque.

La preuve que la perruque n'était pas connue de l'ancienne Rome, c'est que César fut obligé de cacher sous une couronne de lauriers la nudité de sa tête victorieuse. Peu d'hommes ont eu autant de droit que lui à porter une pareille perruque.

Est-ce du mot Cæsar que vient le mot cæsaries, qui signifie chevelure, et ne me semble pas avoir été employé antérieurement à Virgile? Il serait assez singulier qu'un chauve eût donné son nom à la chose même qui lui manquait. C'est aux doctes à résoudre cette question, si l'étymologie que je leur propose leur semble par trop tirée aux cheveux.

Si les Romains ne connaissaient pas l'art de faire des perruques, du moins possédaient-ils l'art de peigner, de friser, de parfumer la chevelure, et même celui de la teindre. Un homme à cheveux blancs ayant en vain demandé une grâce à Auguste, fit teindre ses cheveux en noir, et, ainsi rajeuni, renouvela sa demande. « Je ne puis vous accorder ce que vous me demandez, dit Auguste, qui ne se laissait guère attraper, j'ai refusé la même grâce à votre père.

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Il n'est nullement question de perruques, comme mode française, dans l'histoire du moyen âge. Clodionle-Chevelu n'en avait pas besoin. Charles-le-Chauve sut s'en passer : la couronne et le bonnet de nuit lui suffi

saient contre le rhume. Dans les siècles où l'on cloîtrait les rois, on s'occupait moins de leur faire une chevelure postiche que de les débarrasser de leur chevelure naturelle.

L'invention de la perruque, qui, comme celle de la poudre à canon et de l'imprimerie, devait illustrer le règne des Capétiens, ne fut pas trouvée sous saint Louis, que les perruquiers ont pris pour patron, je ne sais trop pourquoi. Jamais tête humaine ou tête couronnée, ce qui peut être différent, n'a eu moins de rapport avec ces artistes. Ce pieux monarque n'était rien moins que coquet. Les fonctions de Pierre Labrosse, son valet de chambre ou son barbier, se bornaient à couper exactement la partie des cheveux qui excédaient l'écuelle dont ce prince couvrait sa tête pour procéder à cette toilette. Cette mode a été adoptée depuis par les jacobins de toutes les observances, comme il conste par ce vers d'une épopée que vous connaissez :

Portant crinière en écuelle arrondie.

C'est sous le règne de Louis-le-Juste que parut la première perruque. Ce ne fut d'abord qu'un rang de cheveux attaché à la large calotte dont les laïques se coiffaient alors comme les ecclésiastiques, et qu'on retrouve sur la tête de Corneille et de Molière, comme sur celle de Richelieu et de Mazarin, à la couleur près.

Sous le règne de Louis-le-Grand, la perruque se ressentit du caractère grandiose que ce prince imprimait à

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son siècle. Elle prit un accroissement immense. Ce n'est pas cependant à la seule inclination qui le portait à agrandir ce qu'il n'avait pas inventé qu'il faut attribuer ce perfectionnement: un intérêt de coquetterie, dit-on, y eut autant de part que l'amour du grand. Sous cet énorme amas de cheveux, le plus galant des rois cachait certaine loupe où, malgré l'opinion de ceux qui lui disaient la vérité, il croyait voir une difformité; car c'était un homme de beaucoup de jugement, quoiqu'il ait ordonné les dragonnades et signé la révocation de l'édit de Nantes. Les têtes les mieux faites adoptèrent bientôt cette coiffure. Elle orna le front de tous les souverains de l'époque, Cromwel excepté. Guillaume III lui-même courba la tête sous la perruque du prince devant lequel il n'avait jamais plié.

Il n'y a pas jusqu'au roi Gingiro, nègre auguste dont les états sont situés au pied des monts de la Lune, à huit degrés de l'équateur, qui, fortifiant de la dignité de la perruque la majesté de sa couronne, n'ait cru devoir se coiffer à la Louis XIV. La perruque in-folio, qu'il reçut en présent d'un voyageur français, est encore aujourd'hui dans ses états l'insigne de la puissance. De roi en roi, elle a passé, depuis 1667, au roi actuellement régnant. Quand ce monarque, qui d'ailleurs ne déguise sous aucun vêtement les belles formes dont la nature l'a pourvu, se montre ainsi paré dans les grandes cérémonies, il n'est, dit-on, ni moins héroïque ni plus ridicule que ce Louis sans culottes ou cet Hercule en per

ruque que les Parisiens admirent dans les bas-reliefs de la porte Saint-Martin.

Cet ornement, au reste, ne quitte jamais le front du grand roi, sous quelque attribut qu'on le représente. Vêtu à la grecque ou à la romaine, ou sans vêtements même; à cheval sur l'aigle de Jupiter, coiffé du casque de Mars, armé du trident de Neptune, il garde toujours sa perruque. L'artiste qui l'a remis en selle, place des Victoires, a toutefois cru devoir la lui rogner.

Cette volumineuse coiffure, que prirent les bourgeois, singes des courtisans, comme ceux-ci sont singes du maître, n'était pas la pièce la moins chère de la toilette même du riche. La tête coûtait plus à vêtir que le reste du corps. Aussi les filous spéculaient-ils sur le vol des perruques. Il se faisait plaisamment. Dans une hotte un grand coquin en cachait un petit qui, à l'aide d'un bâton armé d'un crochet, harponnait et pêchait les perruques des badauds, pendant qu'ils se coudoyaient en se querellant dans la foule.

Boileau nous a transmis l'histoire de la disgrâce de la perruque de Chapelain. Il a parodié à ce sujet quelques scènes du Cid. Cette plaisanterie, qui ne blessa pas moins Corneille que Chapelain, ne vaut pas le Lutrin, et ne méritait pas de figurer auprès dans un recueil de chefs-d'œuvre. De plus, Boileau se rabaissait par là au niveau de Scudéri. La perruque de Chapelain fut, dit-il, métamorphosée en comète. L'antiquité avait fait le même honneur à la chevelure de Bérénice.

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