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celle d'un homme qui, éclairé par la charité et non abusé par l'égoïsme, trouve, dans l'exercice même de ses devoirs religieux, le moyen d'être meilleur citoyen que les gens du siècle; c'est celle d'un pasteur qui, sous quelque habit que ce soit, du haut de la chaire évangélique ou apostolique, distribue à tous les trésors de la morale, et, prêchant surtout d'exemple, donne en toute circonstance à ses ouailles celui de toutes les vertus. Si un pareil homme se croit placé entre le ciel et la terre, je pense qu'il a raison; ces hommes-là sont rares; mais heureusement en est-il plus d'un encore en ces temps de fanatisme et d'intolérance.

Je fus assez étonné de trouver cinquante moines dans le couvent que j'ai visité. Je croyais, sur la foi de Voltaire, que notre temps n'était plus

Ce ridicule temps

Où le capuce et la toque à trois cornes,

Le scapulaire et l'impudent cordon,

Ont extorqué des hommages sans bornes.

VOLTAIRE, le Pauvre Diable.

Je me trompais. Les jésuites ne recommencent-ils pas à remontrer leurs cornes? De retour en France, n'y dirigent-ils pas, sous le nom de Pères de la foi, des séminaires où les jeunes gentilshommes reçoivent une éducation tout aussi libérale, tout aussi militaire qu'il convient à des soldats du pape; et, en attendant les capucins, ne voilà-t-il pas les trappistes rentrés dans leur maison, aussi peuplée que jamais?

Quel que soit l'esprit du siècle, il y aura des moines tant qu'il y aura des monastères; cela tient à plusieurs causes, qui ne se rapportent pas toutes à la dévotion. Tous les gens qui se vouent à cette vie pénible n'ont pas quitté une condition plus douce que celle qu'ils embrassent; quelques uns même y sont poussés par des spéculations plus relatives à leurs intérêts en ce monde qu'en l'autre, et n'y entrent que pour s'assurer une existence certaine et supportable. Tels sont ces hommes qui, nés dans la classe indigente, et doués d'une faible industrie, ne peuvent combattre la misère que par un travail qui n'est pas toujours fructueux. Ces hommes-là se croient sortis de peine dès que le pain quotidien leur est assuré. En outre, d'une condition méprisée, ils passent dans un état respectable aux yeux de quelques personnes; et ils revêtent avec orgueil ce froc que l'homme d'une classe supérieure n'endosse que par humilité.

par

Les cloîtres se peuplent aussi de certains individus qui, ayant compromis leur honneur et leur sûreté des actions peu conformes à la morale, fuient la société, parcequ'ils redoutent ses justes ressentiments. En se jetant dans ces prisons, ils se font justice. Leur résolution est une sentence prononcée par leur conscience. Elle équivaut à une déclaration de jury, à un arrêt du tribunal. Je ne serais pas étonné de rencontrer un de ces jours, sous le capuchon, le chevalier Lazarille en frère lai, sous le nom de frère Ambroise; et, sous le nom de dom Raphaël, l'abbé Tourniquet en frère clerc. Com

bien je serais édifié de voir ces bons chrétiens s'entreconfesser, s'entre-fesser, en récitant les psaumes pénitentiaux, et répétant pour antienne ce verset, qui semble avoir été fait pour eux : « Delicta juventutis meæ, et ignorantias meas ne memineris. Puissiez-vous oublier mes espiègleries et mes âneries '.»

L'auteur du Richardet nous apprend que le paladin Renaud rencontra dans un ermitage le paladin Ferragus, qui avait échangé sa cuirasse contre un froc. Cela est dans la vraisemblance. Il n'est pas nécessaire de se reporter au temps des croisades, pour reconnaître qu'il y a grande analogie entre la manie chevaleresque et la manie monacale. Ce sont deux maladies de l'imagination également fécondes en extravagances. Ignace de Loyola fut, pendant la première partie de sa vie, un vrai chevalier errant. Pendant la dernière, l'affection de cet esprit romanesque n'était pas calmée, elle avait seulement changé d'objet ; le soldat de la vierge Marie se retrouve tout entier dans le frère de la compagnie de Jésus. Les moines sont les Sancho Pança de la religion les croisés en étaient les don Quichottes.

Des esprits sévères se sont alarmés de la tolérance que quelques gouvernements montrent aujourd'hui pour les associations monastiques. Cette tolérance est, je pense, moins dangereuse, et conséquemment moins blâmable qu'on ne croit. Dès que les monastères ne sont

1 Ps. XXIV, V. 7.

plus des prisons privilégiées, dès que l'homme qui végète là n'est plus lié que par une volonté révocable chaque année, dès que les vœux par lesquels il s'engage ne sont plus reconnus obligatoires par la puissance séculière, un monastère peut n'être considéré que comme une maison de fous tranquilles, lesquels rentreront dans le monde quand leur accès sera passé. D'après cette manière de voir, on ne peut regretter comme homme utile tout moine qui aujourd'hui s'obstine à rester moine. Il faut le plaindre, c'est un incurable. Il est à sa place dans cet hôpital. Requiescat in pace.

SUR LES INCONVENIENTS

QUE LA MORT PEUT AVOIR POUR UN HOMME DE LETTRES PAR LE TEMPS QUI COurt.

A L'ERMITE DE LA CHAUSSÉE-D'ANTIN '.

Ma santé loin de se rétablir se détériore de plus en plus, cher ermite. Le lait d'ânesse, qui réussit à tant de monde, est sans vertu pour moi. Je m'en vais ou je m'en vas, comme disait ce puriste. Je puis dire avec Chaulieu, aux nymphes du séjour enchanté d'où je vous écris,

Muses qui dans ce lieu champêtre

Avec soin me fites nourrir,

Voyez la signature.

Beaux arbres qui m'avez vu naître,

Bientôt vous me verrez mourir.

Oui, je le puis, mais en me servant de ses propres paroles, de ses propres vers; car il ne m'est plus permis de penser depuis que je suis condamné à trop sentir. Mon docteur m'a défendu expressément tout travail, toute occupation même d'agrément. Si je fais des vers, je fatiguerai ma tête. Si je chante des romances, je fatiguerai ma poitrine. Je suis condamné à l'inertie la plus absolue. Pour m'empêcher de mourir de fatigue, il me fait mourir d'ennui. N'a-t-il pas impitoyablement déchiré l'autre jour des stances élégiaques où je prenais congé sur l'air Adieu paniers, vendanges sont faites! Ma guitare, ou ma lyre, pour parler poétiquement, est accrochée, par ordonnance, à la muraille de ma chambre: in medio ejus suspendimus organa nostra; et tout à côté repose aussi cette pauvre flûte qui charmait jadis mes peines. Solamenque mali........ fistula pendet.

Je ne suis plus bon à rien, et bientôt je ne serai plus rien, tout me l'annonce. Triste vérité qui afflige mes amis et mes parents même, que rien ne consolera de ma perte, car je n'ai pas de fortune, mais qui n'afflige personne autant que moi; car, entre nous, je me crois encore le meilleur de mes amis, quelque tendresse qu'on puisse me porter.

De l'intérêt que je prends à moi-même résulte pour moi plus d'une inquiétude en cette extrémité. Je suis homme de lettres, soit dit sans me vanter, et par consé

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