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Il était fou comme tout homme qui n'a qu'une idée. Mis au fait de son aventure, les docteurs pensèrent que pour le guérir il ne fallait que le rassurer. Ils rendirent compte au prince Kourakin, dans un beau mémoire, et de l'état où était l'ancien barbier de son excellence, et de la cause qui l'avait mis dans cet état. C'était s'adresser au véritable médecin. Son excellence se rendant aussitôt au lit du malade, commença par un pardon cette cure, qui fut achevée par une gratification. C'est la bienfaisance qui réconcilia le désespoir avec la vie.

Cette recette est la meilleure à suivre avec l'homme dégoûté de son existence. Changez sa condition, vous changerez ses sentiments. Partout où la manie du suicide ne peut pas, comme en Angleterre, être imputée à l'influence du climat, si elle devient épidémique, voyez-y la censure du gouvernement ou de la législation. Cette manie n'était jamais si commune chez les Romains, que dans des temps de détresse ou de tyrannie. Pour les nègres il en est de même; elle se manifeste rarement dans les habitations régies avec humanité. Attaquez l'effet dans la cause. Le vrai moyen de diminuer le nombre des suicides est moins de faire des lois nouvelles, que de réformer les lois anciennes. L'abrogation des lois qui jettent tant de gens dans le délire serait plus efficace que la création de lois qui défendraient de s'y livrer.

Vous enlevez à un homme tout ce qui lui rend l'existence supportable, et vous exigez qu'il la supporte! Législateurs, faites-lui la vie plus douce que la mort, si

vous voulez qu'il s'attache à la vie, si vous voulez le dégoûter de la mort. Ne fermez pas les oreilles aux vœux des enfants qui vous redemandent leurs pères, aux vœux des pères qui vous redemandent leurs enfants, si vous voulez que le désespoir ne décime plus les familles. Rendez au travail et à la bravoure le prix de la sueur et du sang, si vous voulez que tant d'hommes qui pendant vingt ans ont servi l'état avec honneur cessent de regarder la tombe comme le seul asile qui leur reste contre la misère. Voilà les objets dont vous pouvez utilement vous occuper: et quand on vous en parle, vous réclamez froidement l'ordre du jour ! Songez-y bien, tant que ces causes de désespoir existent, tous les effets qui en résultent vous sont imputables, et vous serez coupables d'homicide autant de fois qu'elles auront provoqué le suicide, parceque ce suicide-là est le seul que vous puissiez prévenir. Faire des lois positives contre le suicide, au lieu de rectifier celles qui le provoquent, c'est vous assimiler à ces bourreaux qui emploient aussi leur art à empêcher la victime d'expirer dans les tortures, et d'échapper par la mort à l'effet toujours renaissant de leur

cruauté.

En définitive, une loi contre le suicide n'est guère plus utile qu'une loi contre la fluxion de poitrine.

DES PÉDANTS.

Le mot pédant a d'abord désigné une profession; il ne désigne guère plus qu'un caractère.

Pédant, synonyme de pédagogue, se disait jadis de tout homme préposé à l'instruction de la jeunesse. M. Fouché fut pédant avant que d'être ministre. Dans ce sens honorable, il y avait autant de pédants que de professeurs. Il y en a bien plus dans le sens ridicule que ce mot comporte aujourd'hui. Peut-être même, proportion gardée, les pédants sont-ils moins communs dans les écoles que dans les salons. Je connais, dans les écoles, beaucoup de savants qui ne sont rien moins que pédants; et, dans les salons, je rencontre tous les jours des pédants qui ne sont rien moins que savants.

Il y a des pédants de plus d'une espèce. Ce sont des pédants que ces érudits qui, faisant continuellement parade de leur science, ne parlent que par aphorismes, ne raisonnent que par syllogismes, n'affirment que par citation, se servent à tout propos de termes techniques, et qui, latinistes, hellénistes, hébraïsants même au besoin, ont toujours soin d'entrelarder la conversation de passages empruntés à la langue que vous ignorez.

L'ostentation de ces pauvres gens ressemble assez à celle de certains enrichis, qui, jour de fête ou non, ne

se montrent que couverts de broderies, que chargés de bijoux, et se plaisent d'autant plus à étaler leurs richesses qu'ils les ont plus péniblement acquises.

Ce sont des pédants aussi que ces gens qui, tout en s'abstenant de cet étalage d'érudition, s'arrogent les droits de l'homme supérieur sans donner des preuves de leur supériorité; prennent avec chacun le ton de celui qui enseigne vis-à-vis de celui qui est enseigné; et qui, tantôt affirmatifs, tantôt négatifs, mais toujours secs et tranchants, décident sans discuter, donnent leurs décisions comme des arrêts, et leurs opinions comme des oracles.

Ces pédants-là sont plus malins que les autres. Comme leur présomption est en raison inverse de leur science, dont le néant serait bientôt reconnu s'ils se laissaient approcher, ils ont grand soin de tenir à distance tout homme qui pourrait en juger. Très différents de ceux dont nous avons parlé plus haut, de la place qu'ils prennent, ces pédants en imposent par les dehors dont ils se parent. Il y avait à Florence un peintre qui, pour boire, faisait argent de tout. Invité à assister à une fête chez le grand-duc, qui lui avait fait cadeau tout nouvellement d'un bel habit de velours à ramage et de trois couleurs, comme l'habit avait été bu, il se trouva dans un grand embarras. Il en sortit cependant en habile homme. Grâce à une main de papier gris, qu'il peignit en velours semblable à celui que lui avait envoyé son altesse, le voilà vêtu aussi magnifiquement que le plus magnifique des courtisans. De la loge où il

était placé, son habit faisait illusion; mais il avait grand soin de s'arranger de façon à ce que personne ne pût l'approcher assez pour en manier l'étoffe. Ainsi font les pédants en question; à l'art de vous en imposer par leur enveloppe ils joignent celui de vous empêcher de tâter leur habit de papier.

La pédanterie se manifeste dans le silence comme dans le discours, dans le ton comme dans les paroles, et dans l'attitude même.

La passion dominante chez les pédants, de quelque condition qu'ils soient, est la vanité. Malheur à qui met leur infaillibilité en défaut, ou leur nullité à découvert. Il a provoqué une haine implacable et même quelquefois mortelle.

Il n'y a que de quoi rire quand la rencontre de deux pédants ne fait que renouveler la scène de Vadius et de Trissotin, et qu'ils se contentent d'échanger des injures par forme de conversation. Mais ces messieurs ne se sont pas toujours renfermés dans les bornes de la comédie. De tragiques catastrophes ont plus d'une fois terminé leurs querelles, devenues atroces sans cesser d'être ridicules.

Quand Gallantius Torticolis, représentant tous les suppôts de l'université, prit fait et cause pour l'autorité d'Aristote, attaquée par le docte Ramus, c'est devant le Châtelet et le parlement qu'il le traduisit. A l'entendre, on devait au moins envoyer aux galères ce professeur, qui, témérairement et insolemment, s'était élevé contre

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