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trouverez la vie d'un grand homme et la vie d'un grand scélérat. Mais, chose déplorable, c'est au scélérat surtout que la fortune s'est montrée propice. S'il n'eût été qu'un grand homme, il n'eût jamais été protecteur des trois royaumes.

Avec de l'adresse et de l'audace, à quoi un homme de caractère ne peut-il pas parvenir?

Cet homme était planteur de choux,

Et le voilà devenu pape.

LA FONTAINE.

Mais quelle force de caractère ne lui a-t-il pas fallu pour s'élever de son fumier au siége pontifical? Pendant combien de temps, avant de tyranniser les autres, cet homme violent, altier, impérieux, n'a-t-il pas été obligé de se tyranniser lui-même, de déguiser, sous l'apparence de l'humilité, l'ambition qui le dévorait, de tourner le dos à son but, de peur qu'on ne lui barrât son chemin, qu'il a fait pour ainsi dire à reculons?

Telle est l'histoire de Félix Peretti, qui, d'une étable à cochons passant dans un couvent de cordeliers, s'éleva graduellement jusqu'à la papauté. Ce qu'il y a de surprenant, c'est que ce n'est qu'en dissimulant, qu'en cachiant les qualités qui en ont fait un grand souverain, qu'il est parvenu à l'être. Il n'eût jamais été porté au trône s'il en eût été jugé digne, si chaque cardinal en particulier ne se fût flatté de l'espoir de gouverner sous ce vieillard imbécile et cacochyme, qui n'avait

pas

été

moins habile à cacher la vigueur de sa santé que celle de son génie, Il n'a, disaient-ils, ni assez d'esprit pour faire le mal, ni assez de discernement pour faire le bien; ils l'appelaient la bête romaine, l'âne de la Marche '. Au rebours de la fable, c'était le lion vêtu de la peau de l'âne.

Une fois nommé pape, il devint un homme nouveau. Rajeuni sous le nom de Sixte-Quint, frère Félix entonne d'une voix de Stentor le Te Deum en action de grâces pour son exaltation, qui dès lors ne satisfait plus que lui. Jetant au loin sa béquille, il marche d'un pied ferme et la tête levée, « Avant d'être pape, disait-il, je cherchais les clefs de saint Pierre; pour les trouver, je me courbais et baissais la tête; mais depuis qu'elles sont entre mes mains, je ne regarde plus que le ciel. » Que de caractère n'a-t-il pas fallu à un tel homme pour dissimuler son caractère !

Cette persévérance dans la même volonté a fait souvent accuser d'inconstance les hommes les plus opiniâtres. Plus d'une fois l'opinion publique a accusé de changer de principes tel homme qui, en conséquence même de ses principes, tendait à son but en changeant de moyens. Pour ne pas tomber dans cette injustice, avant que de prononcer sur un homme, il faut tâcher de bien connaître l'objet qu'il poursuit.

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S'il préfère sa fortune à l'honneur, ne l'accusez pas

Il était né dans la marche d'Ancône.

de manquer de caractère quand il sacrifie son honneur à sa fortune, quand, surmontant tout scrupule, il se détache d'un bienfaiteur en disgrâce pour se perpétuer, sous une autre protection, dans la jouissance du bienfait. Rien de plus constant dans sa volonté que cet homme-là ; et vous n'en jugez autrement que parceque vous le jugez d'après vos affections, et non pas d'après les siennes.

Telle est la cause de l'injustice du siècle envers tant de gens qu'on a inscrits au Dictionnaire des girouettes. Celui-ci a changé dix fois de parti! Soit; mais a-t-il jamais changé de place? n'a-t-il pas été législateur sous tous les régimes? dans tous les costumes n'a-t-il pas été ministre? Qu'en conclure? qu'affectionné à son poste il a eu le courage de faire tout ce qu'il fallait pour s'y maintenir. Vous le comparez à la girouette, qui tourne à tous les vents: la comparaison est juste sans doute; mais, immobile dans son apparente mobilité, c'est en cédant aux vents que la girouette leur résiste; elle ne fait que tourner sur elle-même pendant les plus violents orages, et fixée au sommet de l'édifice, elle n'a guère à craindre que la foudre ou la main d'un maçon.

Le vicaire de Bray, disent les Anglais, sera toujours vicaire de Bray. Telle a été en effet l'unique ambition de l'honnête ecclésiastique qui, au seizième siècle, donna lieu à ce proverbe. Papiste sous Henri VIII, protestant sous Édouard VI, il redevint papiste sous Marie, et protestant sous Élisabeth. Comme ses fréquentes apos

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tasies le faisaient quelquefois accuser d'inconséquence et de versatilité par les esprits superficiels: On se trompe, disait-il, je suis fidèle à mes principes : je veux mourir vicaire de Bray.

Quoi qu'on fasse, il n'est pas donné à tout le monde de mourir vicaire de Bray, n'est-il pas vrai, mon prince?

Quand un chien suit son maître qui déménage, il fait preuve de caractère. Un chat en fait preuve aussi quand il ne veut pas quitter la maison.

DES PERRUQUES.

A quelle époque a été inventé cette espèce de bonnet auquel l'art rattache les cheveux que la nature nous a repris? C'est ce que nous ne pouvons dire précisément. Moins ancienne que l'homme, la perruque n'existe pas de toute antiquité. Dans la Bible, où il est question de chevelures, soit au sujet de Samson, soit au sujet d'Absalon, il n'est nullement question de perruques. Hélas! une perruque eût sauvé ce dernier.

Des docteurs de Louvain, si l'on en croit Jean-Baptiste Thiers, docteur de Sorbonne, ont cependant trouvé des perruques dans ce passage d'Isaïe: Decalvabit Dominus verticem filiarum Sion, et Dominus crinem earum denudabit; passage qu'ils traduisent ainsi : « Le

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Seigneur déchevèlera la tête des filles de Sion, et le Seigneur découvrira leurs perruques. » Malgré la sagacité de ces traducteurs, le passage latin ne nous paraît pas assez clair pour qu'on puisse en conclure qu'il n'y soit pas question d'une chevelure toute naturelle.

Le docteur Thiers, qui, ennemi capital des perruques, en voyait partout, nous paraît démontrer plus évidemment que la perruque n'était pas inconnue des Grecs. Nous doutons toutefois qu'ils aient connu le toupet, quoique l'on ait honoré du nom de grecque celui qui succéda, en 1779, au fer-à-cheval, et qui depuis, remplacé lui-même, en 1791, par la plate coiffure appelée le chemin de Coblentz, n'a plus de refuge au monde depuis le décès du conseiller Jaubert, ci-devant directeur de la banque de France. Cet échantillon de l'ancienne élégance, qu'il promenait au milieu de Paris, y ressemblait à ces monuments de la vieille Rome entourés d'édifices modernes. On ne pense pas à ce magistrat sans être frappé de toute la grâce que la grecque peut prêter à un beau visage de l'autre siècle.

Il n'est question de perruques ni dans Hésiode, ni dans Pindare, ni dans Homère lui-même, qui entre dans des détails si minutieux, soit qu'il habille, soit qu'il déshabille son monde. Ce père de l'épopée, chez qui les héros se prennent si souvent aux cheveux, se serait-il fait plus de scrupule de chanter la perruque de Nestor que la chevelure de Pâris, si, au siége de Troie, quelque bonne tête eût porté perruque? Inventée trois ou

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