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Prendrait-il aussi sa bosse

Pour le carquois d'Apollon?

Les bossus, goguenards par caractère, se sont quelquefois attiré de sanglantes reparties par leurs imprudences. « Vous êtes, à ce qu'il paraît, sur un grand pied dans le monde, dit l'un d'eux à un homme qui n'avait pas le pied des plus petits: Il est vrai, répondit celui-ci, que la fortune ne m'a pas tourné le dos. »

Pope, qui était très bossu et très malin, traitait quelquefois avec trop de légèreté les hommes auxquels il se sentait supérieur. Disputant avec quelqu'un sur un point de littérature: « Savez-vous seulement, lui dit-il peu poliment, ce que c'est qu'un point d'interrogation? Oui, lui répondit-on, c'est une petite figure tortue et bossue qui fait quelquefois des questions impertinentes. »

Ici Pope avait tort, mais en revanche il eut raison quand, sachant que le roi d'Angleterre demandait en le désignant: « Je voudrais bien savoir à quoi sert ce petit homme qui marche de travers? - A vous faire marcher droit, » répondit-il.

Tous les bossus ne sont pas satisfaits de leur tournure; la pièce suivante en est la preuve. Elle est du plus gai et du moins malin de nos épigrammatistes.

En se chauffant au café de Procope,
Sire Moncade un jour se tourmentait
A démontrer le tout est bien de Pope;

Par aventure un bossu l'écoutait.

Bravo! bravo! certes, mon camarade,
Votre système est plaisamment conçu;

Je suis donc bien, moi? dit-il à Moncade.

Oui, mon ami, fort bien pour un bossu.
PONS DE Verdun.

Je ne sais quel fou s'est avisé d'inviter, par circulaire, tous les bossus de Paris à se trouver, à la même heure, dans une même église, pour affaire pressée. Ils y arrivèrent exactement, à l'insu les uns des autres, et au grand étonnement du quartier, qui ne savait à quoi attribuer cette affluence de gens si singulièrement bâtis, quelle fête ils venaient chômer, ni pourquoi les bossus tenaient chapitre. Ces messieurs étaient déjà plus de cinq cents, se regardant, se toisant, s'interrogeant, quand ils s'aperçurent qu'on avait voulu se moquer d'eux. « Qui diable, disaient-ils avec humeur, a pu nous jouer ce tour? Mes amis, répondit un confrère qui avait l'esprit mieux fait que la taille, c'est quelqu'un qui veut apparemment prouver, malgré le proverbe, que les montagnes peuvent se rencontrer. » A ces mots la mauvaise humeur s'apaise; on propose un pique-nique, et ces bonnes gens emploient le reste de la journée à rire comme des bossus.

CONCLUSION.

Tout cela ne conclut rien. Les hommes que nous avons cités sont sans doute des hommes supérieurs; leurs actions sont grandes, leurs paroles pleines de sens et d'es

prit; mais parcequ'elles appartiennent à des gens marqués au B, s'ensuit-il que tout homme qui porte cette marque soit par cela même un génie? Si on tenait registre des sottises faites ou dites par les borgnes, les bègues, les boiteux et les bossus, croit-on qu'il n'y aurait pas équilibre? Le préjugé qui leur est si favorable n'est donc pas fondé, et j'en suis fâché, tout désintéressé que je sois dans cette affaire.

Reconnaissons cependant que, dans un homme contrefait, l'esprit, lorsqu'il s'y trouve, doit être plus vif et plus malin que dans un autre homme. La raison en est simple, c'est qu'il y est plus exercé; c'est que l'arme avec laquelle cet enfant gâté de la nature repousse les railleries qu'on ne lui épargne pas assez s'aiguise, s'affile nécessairement par le grand usage qu'il en fait, et qu'à force de s'en escrimer, il doit devenir très habile à la manier.

En somme, quand on a le bon sens d'Ésope, ou l'esprit de Pope, on peut, vis-à-vis de plus d'un homme bien fait, se consoler d'être difforme. Mais avouons aussi que lorsque, avec le génie de Jean-Jacques ou de Voltaire, on se trouve en face de quelque bossu que ce soit, on peut se consoler de ne pas l'être.

LES MAUVAISES TÊTES.

A l'époque où j'habitais, un peu par nécessité, Bruxelles, que j'habiterais aujourd'hui par volonté, s'il me fallait encore quitter la France, je fréquentais une société aussi riche en personnes spirituelles et instruites que la plus aimable société de Paris, et où l'on n'est pas absolument obligé de recourir aux cartes pour tuer le temps.

Un soir que l'on parlait de je ne sais qui, C'est une mauvaise tête, s'écria quelqu'un. « Je voudrais bien savoir au juste ce que c'est qu'une mauvaise tête, » me dit une fort jolie femme, dont la tête est excellente, mais qui n'en fait pas moins de sottises, parcequ'elle se laisse probablement gouverner par un tout autre organe.

Madame, lui dis-je, une mauvaise tête est, à ce qu'il me semble, l'homme qui, sans utilité, tente une entreprise périlleuse; l'homme qui s'attaque follement à plus fort que soi, et provoque, de gaieté de cœur, une lutte dans laquelle il doit être évidemment écrasé.

On ne voit que cela par le temps qui court, s'écrie aussitôt un spectre de magistrat. Tous les jours nous prenons des conclusions contre ces gens-là. Des mauvaises têtes, madame, ce sont ces folliculaires qui se frottent à des excellences; ce sont, et cette fois il avait

raison, ces prêtres brouillons qui refusent les sacrements, et même l'absolution in articulo, à tout moribond qui ne révoque pas le serment prêté à la constitution du royaume; ce sont ces prélats qui écrivent en cour de Rome pour savoir s'ils doivent être polis '. Aussi les décrète-t-on, et ne sont-ils pas traités plus civilement qu'ils ne traitent les puissances de la terre: et cela est juste; car, comme le dit saint Paul, « La puissance spirituelle doit être soumise à la puissance temporelle, laquelle vient de Dieu; et l'on n'y saurait résister sans courir à sa damnation. »

Monsieur, reprit modestement un ecclésiastique, je ne prends jamais le parti de ceux qui manquent de charité, de docilité et de politesse, de quelque profession qu'ils soient. Se mettre en opposition avec la loi fondamentale, c'est se mettre en rébellion contre le souverain, qui, en jurant l'observation de cette loi, en a fait l'expression de sa volonté ; et contre le peuple, qui, en s'y soumettant, en fait sa volonté aussi. Or, la volonté du peuple. est celle de Dieu; et c'est un péché, quelquefois mortel, que de ne pas s'y soumettre. Mais, cela convenu, voyons si, dans un autre ordre, il n'est pas autant de mauvaises têtes que dans le nôtre. Pensez-vous qu'on ne puisse en trouver dans la magistrature? N'est-ce pas une mauvaise tête que le magistrat qui, par cal

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L'évêque de Gand avait écrit à Rome pour demander s'il lui était permis, à lui catholique, de faire chanter le Te Deum pour la naissance du petit-fils de son roi, prince protestant.

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