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disent rien. Mais je ne regarde pas comme un tombeau vide un cenotaphe élevé à la mémoire des êtres que nous avons aimés. Le cénotaphe est au tombeau ce que la douleur est à la mélancolie; c'est un tombeau sans horreur, comme elle, une douleur sans désespoir.

Un cénotaphe bien simple, ombragé par un saule pleureur, et placé sur le bord d'un ruisseau, attira mon attention; je n'y lus pas sans attendrissement ce passage de l'idylle la plus touchante qui ait été faite :

Illic sedimus, et flevimus dum recordaremur '.

Ces mots avaient été écrits par des mains paternelles... Je m'éloignai de là tout pensif.

Le temps s'était écoulé rapidement. Cinq heures sonnaient : il fallait regagner mon gîte ; je me remis en route plus content de ce jardin, dont personne ne parle, que de ceux que tout le monde m'a vantés. Il me semble que cette alliance de l'utile et de l'agréable est ce que l'on doit rechercher dans la retraite, et caractérise surtout la retraite du sage, qui ne repousse pas moins la superbe monotonie du jardin français que la stérile variété du jardin anglais; il me semble enfin que si Horace, que j'irai peut-être bientôt revoir, revenait au monde, il dirait comme moi, en voyant le jardin que je viens de décrire : « Voilà ce qu'il me fallait. » Hoc erat in votis. GALAND, de Fontenay-aux-Roses.

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Traduction. Là nous nous sommes assis, et nous avons pleuré en nous ressouvenant... (Voyez le psaume super flumina Babylonis.)

LES MOUCHES.

Il y en a de plusieurs sortes. Occupons-nous d'abord de la mouche insecte,

Ce parasite ailé,

Que nous avons mouche appelé.

LA FONTAINE.

Les naturalistes en comptent plus de quarante espèces. Elles ont ce rapport avec les gens dits de lettres, que sur ces quarante espèces il n'y en a guère qu'une d'utile, l'abeille. Cette mouche vit sur les fleurs, et produit le miel. Réglez-vous sur elle, jeunes écrivains. C'est en se nourrissant des bons ouvrages qu'on parvient à en faire de bons soi-même. N'imitez pas surtout le vulgaire des mouches, qui, se nourrissant d'ordure et n'engendrant que de l'ordure, ne se fait remarquer que par ses importunités. Bourdonner, manger et piquer, voilà tout ce qu'elles savent. C'était une plaie du temps de Moïse; c'est encore une plaie de notre temps.

Rien n'est sacré pour les mouches.

Sur la tête des rois et sur celle des ânes

Vous allez vous placer,

leur dit naïvement La Fontaine. C'est vrai. Ennemies de

tout le monde, ne nous étonnons pas qu'elles aient tout le monde pour ennemi. Les hirondelles leur donnent la chasse, les araignées leur tendent des filets, les écoliers les attrapent avec la main.

M. de Buffon, dans son enfance, était fort adroit à cet exercice, qui fut long-temps le seul de son goût. Il passait des journées entières à remplir de mouches un cornet de papier, et à les souffler, à travers la serrure, dans la chambre obscure et fraîche où son instituteur croyait échapper aux persécutions de ces insectes. Il a depuis mieux employé son temps.

Avant lui, on avait vu un empereur prendre à peu près le même plaisir, et s'occuper à enfiler des mouches avec un poinçon d'or. Il leur faisait une telle chasse, qu'il n'y avait pas même une mouche dans le cabinet où il se tenait enfermé. Cet empereur était Domitien. Heureux le monde, quand son maître ne s'amuse qu'à tuer des mouches!

A ces fléaux des mouches ajoutons les oiseaux dits gobe-mouches, genre très nombreux, et qui compte plus de cent trente espèces.

Dans ces espèces ne sont pas compris toutefois certains animaux à deux pieds et sans plumes, auxquels on donne aussi ce nom de gobe-mouches. Ces individus, dont l'instinct est un mélange de curiosité et de crédulité, au fait, ne vivent pas de mouches; leur nom leur vient seulement de ce que, la bouche béante, ils gobent le premier conte qu'on leur fait, comme l'oiseau

dont ils portent le nom happe le premier moucheron qu'il rencontre.

Plus une chose est impossible, plus ils en conçoivent la possibilité; plus un fait est incroyable, plus ils sont disposés à le croire. Les charlatans de toute robe n'ont pas de meilleures pratiques.

Ces gobe-mouches, très communs en tout pays, abondent surtout dans les grandes villes. Les cafés en sont remplis, les promenades publiques en fourmillent. Ils ne sont pas rares à Paris, et ne sont pas rares non plus à Londres. Je croirais même qu'ils portent plus loin dans cette dernière ville que partout ailleurs les innocentes qualités dont se compose leur caractère. A Paris, ils ont couru en foule au bord de la rivière, pour voir un homme qui avait promis de la traverser en marchant sur l'eau comme saint Pierre, et soutenu, non par un peu de foi, mais par une simple paire de sabots; à Londres, ne se sont-ils pas portés en foule au théâtre pour voir un homme s'enfermer dans une bouteille de vin de Champagne?

Le tour avait été annoncé par des affiches et dans les journaux. Chacun pouvait en être témoin pour une guinée. Jamais la salle n'avait été si pleine. La toile se lève. Une bouteille était sur la scène, le contenant semblait moins grand que le contenu. Pendant que chacun se demandait comment un homme s'y prendrait pour se loger dans un si petit espace, l'homme paraît, salue le public avec aisance, le remercie de l'hon

neur qu'il en reçoit, et ajoute que, pour se montrer digne d'un tel excès de faveur, il fera un tour plus prodigieux encore que celui qui est annoncé. « Ce n'est plus dans une pinte que je me mettrai, mais dans une chopine. » Il dit, et sort au milieu des applaudissements. Un quart d'heure, une demi-heure, une heure s'écoule. Les gobe-mouches croyaient qu'il se préparait à exécuter ce tour. Il leur en jouait un autre. Nanti de la recette, il s'éloignait à petit bruit et au grand galop de Londres, où il n'a laissé pour gage de son adresse qu'une caisse et une bouteille vides.

De même qu'il y a des gobe-mouches dans tous les pays, il y en a dans toutes les conditions, et peut-être, proportions gardées, plus dans les rangs élevés que dans les rangs inférieurs. Quel prince, si baroque, si tyrannique, si maussade que soit son humeur, ne se croit, sur le rapport de ses ministres, sur la foi de ses maîtresses, ou d'après les compliments de ses académies, l'amour de ses peuples et l'admiration de ses voisins?

On lui faisait accroire

Qu'il avait des talents, de l'esprit, de la gloire;
Qu'un duc de Bénévent, dès qu'il était majeur,
Était du monde entier l'amour et la terreur.

VOLTAIRE, Éducation d'un prince.

Il y a eu pourtant un souverain qui, bien que sensible à la flatterie, ne s'y est pas toujours laissé prendre. A une époque où il était engagé dans une affaire assez dé

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