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causes qui influe sur l'époque actuelle ? Jamais la manie de jouer sur les mots n'a été plus générale, et quels jeux de mots sont en vogue? Les calembours.

D'où vient ce mot? Il existe en Allemagne un vieux recueil de quolibets, de mots insignifiants, intitulé Imaginations du moine de Calemberg; calembour n'en dériverait-il pas ?

Je serais assez tenté de donner la même origine à calembredaine, mot qui signifie un propos qui ne signifie rien.

L'art du faiseur de calembours ne consiste pas à jouer sur le double sens d'un mot; mais à forcer l'équivoque, soit par la décomposition d'un mot en plusieurs, soit par la réunion de plusieurs mots en un seul, sans plus respecter le bon sens que l'orthographe. Le calembour joue plutôt sur le son que sur le sens. Peu lui importe de ne pas présenter une idée ingénieuse, pourvu qu'il détourne de l'idée raisonnable. Il faut être bien idiot pour ne pas pouvoir faire de calembours; mais pour ne pas les entendre, c'est une autre affaire. On peut pourtant faire des calembours avec de l'esprit, ou quoiqu'on ait de l'esprit : M. de Bièvre l'a prouvé; mais qu'en conclure, lorsque tant de sots y réussissent ? Que le calembour prouve quelque esprit dans une bête? Ne prouverait-il pas plutôt quelque peu de bêtise dans l'homme d'esprit ?

Il ne nous reste plus qu'à parler du coq-à-l'âne. Nous voyons avec peine qu'on a généralement des idées peu

justes sur cette manière de discourir. Les artistes les plus habiles ne sont pas ceux qui raisonnent le mieux de leur art. La plupart des gens font des coq-à-l'âne comme M. Jourdain faisait de la prose. Le coq-à-l'âne ne se compose pas d'une sottise isolée, comme le quolibet, comme le calembour, mais d'une série de sottises rassemblées sans liaison. Il est à ces traits d'esprit ce que la phrase est au mot. On disait originairement sauter du coq à l'âne, par allusion à certain avocat qui, ayant à parler d'un coq et d'un âne, parlait de l'âne à propos du coq, et du coq à propos de l'âne, tendance d'esprit que Rabelais met au nombre des qualités précoces de Gargantua. Les gens qui pérorent aujourd'hui à l'imitation de Gargantua et de son modèle font des coq-à-l'âne, Ces gens-là sont plus nombreux qu'on ne pense ; ils meublent les salons, ils abondent dans les assemblées délibérantes, ils fournissent les académies de mémoires, et l'on peut mettre à leur tête l'auteur de cette dissertation.

MON JARDIN.

A L'ERMITE DE LA CHAUSSÉE-D'ANTIN I.

Ma santé s'est terriblement altérée depuis que je vous ai écrit, cher ermite. Des travaux qui ne sont pas tous

Voyez la signature.

de tête, des veilles multipliées qui n'ont pas été passées toutes dans le plaisir, tout cela use, je commence à m'en apercevoir. Me voilà forcé de m'occuper de ma santé. Trois médecins que j'ai consultés, quoique d'avis différents sur le siége de mon mal, sont d'accord sur le remède. L'un remarquant que j'étais sujet à une toux sèche et fréquente, en a conclu que l'organe pulmonaire était affecté, et sachant que je n'étais pas assez riche pour aller guérir ou mourir aux eaux, m'a conseillé l'air natal et le lait d'ânesse. Le second, prétendant que la maladie était dans les hypochondres, et que la toux n'était pas un diagnostique pulmonaire, mais seulement l'effet d'une affection sympathique, adopta néanmoins, quant aux moyens de curation, l'opinion de son ancien, et me conseilla comme lui l'air natal et le lait d'ânesse. Le lait d'ànesse et l'air natal m'ont été ordonnés aussi par le troisième, qui, partisan comme le préopinant des affections sympathiques, plaçait la cause de mon mal de poitrine dans ma tête, que je crois pourtant plus saine encore que la sienne.

Me voilà donc retiré à la campagne avec trois maladies et un seul remède ; ce qui, tout bien considéré, vaut mieux que trois remèdes pour une seule maladie.

Indépendamment du régime susdit, mes trois docteurs m'ont recommandé l'exercice. Promenez-vous pour rétablir vos forces. Rétablissez mes forces, docteurs, pour que j'aille me promener.

Grâce à ma bourrique, cependant, j'ai trouvé le moyen

de ne contrarier ni les médecins qui m'ordonnent le mouvement, ni la nature qui me l'interdit. Porté par ma nourrice, je me promène sans trop me fatiguer, et j'ai l'avantage d'avoir partout avec moi ma cuisine, ou ma pharmacie, si mieux vous l'aimez.

D'après cela je puis, sans trop d'imprudence, entreprendre d'assez longues courses; et comme je pense qu'un homme raisonnable ne doit pas faire un pas qui n'ait un but utile, je me suis mis à visiter les jardins des environs. Des excursions faites dans cet intérêt me donnent un plaisir que je retrouve encore chez moi, soit en rédigeant un précis de ce que j'ai remarqué, soit en relisant ce précis, ce qui est encore une manière de se promener lorsque le mauvais temps ou une plus mauvaise disposition de santé me forcent à garder la maison.

Qu'est-ce qu'un jardin, cher ermite? Il serait possible que vous ne vous fussiez jamais fait cette question. Un maraîcher qui se trouve par hasard chez moi m'a répondu pour vous. Un jardin, dit-il, est un enclos de quatre arpents, divisé en planches aussi larges qu'il se peut, séparées par les allées les plus étroites qu'il se puisse, où je cultive, près des Invalides, des choux, de la laitue, des cardes poirées, et toutes sortes de légumes. Vous vous trompez, mon ami, dit M. Tripet, qui ne manque jamais de passer chez moi quand il vient renouveler le fleuriste du château, et il y vient souvent; vous vous trompez un jardin est un enclos de deux arpents, près des Champs-Élysées, où je cultive des jacinthes,

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des anémones, des renoncules et des tulipes. —Quelques planches de tulipes ne sont pas plus un jardin que quelques carrés de choux, dit, en interrompant M. Tripet, un ancien officier du duc de Penthièvre, qui pleure tous les jours, pour plus d'une raison, sur les ruines de Sceaux. Un vaste terrain distribué d'après les principes de Le Nôtre et les règles de la plus exacte symétrie, des parterres bordés et brodés en buis, des murs de charmilles, des allées droites et à perte de vue, des bosquets peuplés de statues, des bassins de marbre d'où s'élancent des jets d'eau qui dépassent les arbres les plus élevés; Marly, Choisy, Sceaux enfin, voilà ce que c'est, ou plutôt ce que c'était qu'un jardin... Pour un roi, mais non pas pour moi, dit vivement un de mes voisins, grand ami de la nature, et créateur d'un jardin où les accidents les plus pittoresques répandus sur le globe se trouvent réunis dans un arpent. La nature, poursuivait-il, est tellement contrariée dans les jardins français, qu'il me semble qu'on ne peut s'y promener qu'en habit de cérémonie. Cette symétrie que vous vantez n'est pour moi qu'une source d'ennui. Dès que les deux moitiés d'un jardin se ressemblent, il me suffit d'en avoir vu une pour avoir une idée du tout. Quant à vos allées droites, est-il rien de plus mal imaginé? Ou elles sont à perte de vue, et vous êtes épouvanté d'une promenade dont l'œil ne peut atteindre le terme; ou ce but est proche, et vous êtes impatienté d'avoir le nez si près des murs de votre prison. Parlez-moi d'un jardin anglais. Là, rien ne se

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