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moins jaloux des maris ne la lut pas sans inquiétude. L'amour-propre est presque aussi chatouilleux que l'amour; mais du moins raisonne-t-il. L'honneur du comte était compromis par cette intrigue: il l'eût été bien plus encore par un éclat. Pour en finir promptement, et sans bruit, le comte se rend seul chez l'abbé. « Je n'ai pas appris sans étonnement, lui dit-il, que vous veniez si fréquemment chez la comtesse, sans que j'eusse l'honneur de vous connaître. Je vous crois cependant le plus galant homme du monde, et c'est pour cela que je vous prie de cesser des assiduités qui finiraient par nuire à sa réputation.- Monsieur le comte, répond l'abbé, je désirais bien vivement avoir l'honneur de vous être présenté; mais malheureusement les heures auxquelles mes occupations m'ont permis jusqu'à présent de faire ma cour à madame ont toujours été celles où vous étiez sorti. Lorsqu'enfin les circonstances nous rapprochent, il est bien douloureux pour moi qu'elles m'obligent à vous promettre de cesser des visites qui ne sauraient pourtant préjudicier à une réputation aussi bien établie que celle de madame la comtesse. Je n'en ferai moins ce que pas vous désirez; je vous prie seulement de m'excuser auprès d'elle. — Tant d'honnêteté, reprend le comte, me fait espérer, monsieur, que vous voudrez bien satisfaire à une autre demande, et me remettre les lettres assez nombreuses que ma femme vous a écrites. Comment! Je n'en veux faire aucun usage qui puisse la chagriner, mais je les veux; oui, monsieur, je les veux. De quoi me

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parlez-vous? je n'ai jamais eu l'honneur d'être en correspondance avec madame. Le comte, qui se croit sûr du contraire, insiste avec vivacité. L'abbé persiste dans sa dénégation. La discussion s'anime, et s'échauffe au point que le militaire, tirant un pistolet, menace l'ecclésiastique de lui brûler la cervelle si à l'instant toutes les lettres ne lui sont remises. Assassiner chez lui un homme sans armes! vous n'en êtes pas capable, répond tranquillement l'abbé. — Vous avez raison, reprend le comte déconcerté par tant de flegme, mais enfin je veux ces lettres. Quoi qu'il puisse m'en coûter, il me les faut ; je sais qu'elles sont entre vos mains. Rendez-les-moi. Mettez-y un prix. Voilà douze mille francs. Est-ce assez? Et il étalait sur la table cette somme en billets de banque. L'abbé semble interdit, il hésite, il balbutie. -- Accorderai-je à l'intérêt ce que vos prières, vos menaces n'ont pas obtenu? Le comte insiste, presse; les lettres sont enfin échangées contre les billets.

Comme c'était jour d'assemblée chez lui, en homme du monde, le comte sut se contenir jusqu'au lendemain. Saisissant le moment où sa femme était seule, il entre enfin dans son cabinet, et jette sur la table l'énorme paquet, non sans une explication dans laquelle il garde moins de modération qu'il ne se l'était promis. Vous n'avez pas tout, répond tranquillement la comtesse. Prenez cette lettre, elle complètera le recueil. Et elle lui remet une lettre qu'elle vient de finir. — A-t-on jamais porté l'impudence plus loin! s'écrie le comte hors de

lui. - Ou plus loin la précipitation, répond la comtesse toujours calme. - Prétendriez-vous vous justifier, madame? Oui, monsieur, et rien de plus facile, si vous vouliez m'entendre.

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Cela était vrai. Le comte savait parfaitement l'anglais, et aimait à le parler. La comtesse, jalouse de lui plaire, s'était mise depuis quelques mois à étudier cette langue. L'abbé dont elle avait fait connaissance la dirigeait dans ce travail. De là les tête-à-tête, la correspondance, et tout ce mystère dont le vieux valet de chambre avait pris ombrage. Les lettres livrées étaient traduites d'un roman pris dans la bibliothèque même du comte. C'est ce que la comtesse lui expliqua, en lui confiant qu'elle était dès la veille au fait de tout ce qui s'était passé chez l'abbé, qui, en lui en donnant avis, lui avait remis les douze mille francs. Mais cela ne doit pas rompre le marché, ajouta-t-elle gaiement; gardez les lettres, je garde les billets. Ils me viennent fort à propos pour faire face à quelques petites dettes au sujet desquelles je ne voulais pas vous importuner.

Le mari consentit à tout, en priant sa femme de l'attraper toujours de même; et l'abbé, présenté par lui à madame, devint l'ami de la maison.

Heureux le mari à qui, même en avril, on ne fait pas avaler d'autre poisson!

Mais nous, qui, sans avoir égard au quantième, publions cet article aujourd'hui, ne donnons-nous pas à nos lecteurs un poisson d'avril? J'ai bien peur que ceux

qui nous ont lu dans l'espérance de s'amuser ne soient de cet avis.

LE CARÊME,

Certains nombres semblent avoir été consacrés de tout temps par le respect des peuples. Le nombre de quarante est dans ce cas. Ce n'est pas seulement parcequ'il détermine d'une manière précise la quantité d'hommes de génie qui sont en France, où il n'y en a jamais ni plus ni moins de quarante, ainsi que le prouve la liste de l'académie française; mais aussi parcequ'il se rattache à certains faits mystérieux, à certaines pratiques saintes, tant de l'ancienne loi que de la nouvelle.

Le déluge universel dura quarante jours. Les Hébreux errèrent quarante ans avant d'entrer dans la terre promise. Moïse jeûna quarante jours sur la montagne. Élie se retira pendant quarante jours dans le désert. La pénitence que Jonas infligea aux Ninivites fut de quarante jours.

Est-ce en commémoration de ces évènements, comme quelques uns l'ont avancé, que le carême, qui dure aussi quarante jours, a été institué chez les chrétiens? Il est permis d'en douter, et de ne voir dans cette longue abstinence qu'une imitation de celle par laquelle Jésus-Christ se prépara à sa douloureuse mission.

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Jésus, dit saint Matthieu, jeûna quarante jours et quarante nuits, après quoi il eut fain. Postea esuriit. » L'institution du carême, suivant quelques opinions, remonterait aux apôtres. La preuve qu'on en donne est qu'il n'est établi par aucune loi de l'église, qui ne fait qu'en régler l'observation. Cela pourrait bien prouver aussi qu'il n'avait été établi antérieurement par aucune loi, mais seulement par l'usage? En effet, pourquoi ne pas produire le décret des apôtres qui sert de base à ces dispositions réglémentaires ?

D'autres opinions attribuent l'institution du carême au pape Télesphore, mort en 154, 'pape à qui l'on a l'obligation de la messe de minuit, solennité qui rappelle que le fils de Dieu est né entre un bœuf et un âne, en plein hiver, à minuit précis.

L'observation du carême ne consistait pas seulement alors dans l'abstinence absolue de certains aliments, elle commandait aussi de n'user qu'après le coucher du soleil des aliments permis.

Cette pratique nous vient évidemment des Juifs, dont plusieurs habitudes nous ont été transmises avec leur loi perfectionnée. C'est par l'abstinence que chez eux s'expiaient les mauvaises actions, comme c'est par l'abs tinence qu'on s'y préparait aux grandes. Judith, avant d'aller couper la tête à Holopherne, Esther, avant d'aller prier son royal époux de faire pendre un ministre, le jeune Tobie, avant de succéder aux sept maris qui l'avaient précédé dans la couche de la fille de

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