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de vos besoins, vous augmenterez celle de votre liberté, et réciproquement.

y a des cas cependant où le besoin triomphe des caractères les plus indépendants. Un officier rencontre un jour un de ses anciens soldats décoré des couleurs d'un parti qu'ils avaient long-temps combattu. Comme il lui en témoignait son étonnement, Mon capitaine, il faut manger, dit le déserteur: c'est mon ventre qui a conclu l'engagement, mais mon cœur est resté libre.

D'où vient cette locution, mettre le cœur au ventre? Ne fait-elle pas allusion au courage que tant de poltrons montrent après dîner? Le soldat n'en vaut que mieux le ventre plein. Le cheval après avoir mangé l'avoine n'en court que mieux. Lazarille lui-même est crâne après la soupe. Il est vrai que, digestion faite, les rêves de son héroïsme vont rejoindre les œuvres de son génie, et que son cœur et son esprit gisent dans la même fosse; mais cela ne contredit pas notre interprétation.

L'apôtre précité appelle les Crétois ventres paresseux, ventres pigri. Qu'entendait-il par cette métaphore? Leur reprochait-il par là de manquer d'énergie; et quand il écrit à Tițe, Réprimandez-les durement, increpa illos dure, n'est-ce pas comme s'il lui disait mettez-leur le cœur au ventre? Dom Gallais, de la congrégation de Saint-Maur, devrait bien avoir la charité de commenter ce passage. Il pourrait fournir matière à un sermon assez

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Epistola B. Pauli ad Titum, c. 1, v. 12 et 13.

propre. Mais j'oubliais que ce savant bénédictin a renoncé à l'apostolat pour le mariage.

Avoir les yeux plus grands que le ventre, c'est désirer plus qu'on ne peut consommer, c'est aussi entreprendre au-delà de ses forces. Ce ridicule est commun aux ambitieux et aux gloutons, aux grands hommes et aux petits enfants. Malgré ce qui se passe, tel homme d'état, qui a entrepris la contre-révolution, a les yeux plus grands que le ventre.

Par ventre on entend en certaines circonstances le sexe féminin. C'est prendre encore la partie pour le tout.

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Ainsi en parlant des familles où, fussent-elles mariées à des roturiers, les femmes transmettent la noblesse, on dit qu'en cette famille le ventre anoblit. C'est une prérogative de la maison de la Prudoterie, « dont j'ai l'honneur d'être issue, »> dit à George Dandin, son gendre, madame de Sottenville. Mais n'est-ce pas aussi là le privilége de tout ventre féminin dans un noble ménage? «Sans moi vous ne pouvez faire que des gentilshommes, sans vous je fais des princes, » disait à son infidèle époux une dame très grande et très vindicative.

On lit dans les Mémoires de Feuquières que François de Pas, un des meilleurs officiers de l'armée de Henri IV, ayant été tué à Ivri, sous les yeux de ce prince: Ventre saint gris, j'en suis fâché! n'y en a-t-il plus? s'écria-t-il. Et sur ce qu'on lui dit que la veuve du mort était grosse, Eh bien! répliqua-t-il, je donne au ventre la pension qu'avait cet officier.

Ne nous étonnons pas de voir un ventre pensionné; n'y en a-t-il pas eu un de couromé? Sapor II, roi des Perses, ce barbare dont la fortune triompha du génie de l'empereur Julien, était encore dans le ventre de sa mère lorsque le trône devint vacant par la mort d'Hormisdas. Les mages ayant annoncé que la reine était d'un enfant mâle, le ventre fut couronné et régna. D'autres ventres ont régné depuis, mais tous n'ont pas été aussi virils que ce ventre féminin.

grosse

Le ventre semble nécessaire à la confection de plusieurs jurements: Ventre bleu est du nombre, et c'est le plus vulgaire.

Ventre saint gris, jurement royal, était le mot familier de Henri IV. Cette expression, qui en elle-même ne signifie rien, lui tenait lieu de jurement. Ses gouverneurs ne pouvant le déshabituer de jurer, l'avaient amené à substituer cette innocente interjection à un mot grossier ou blasphématoire. Aussi le ventre saint gris est-il mêlé à toutes les saillies de ce héros gascon. C'est une espèce de cachet ou d'estampille qui, en leur donnant de la physionomie, en constate l'origine et lui en assure la propriété.

Non seulement le ventre est le siége de la sensibilité et de l'intelligence pour beaucoup de gens, mais pour plusieurs c'est l'organe de la parole. Ceux qui en doutent, faute d'avoir entendu feu Fitz-James', peuvent s'en con

Bouffon qui mourut en brave, à la défense de Paris, en 1814.

vaincre en allant entendre M. Comte, dont la ventriloquacité n'est pas moins étonnante que celle de son précurseur.

Cet art n'est pas d'invention moderne. De toute antiquité il avait été pratiqué par les pythies à Delphes et ailleurs, et ce n'était pas toujours de leur bouche que sortaient les oracles qui décidaient du sort des nations. En 1513, Jacobe Rodogine y fut habile; c'est à Ferrare qu'elle florissait. Interrogeait-on le ventre de cette engastrimythe, à qui par provision on avait soin de clore la bouche et le nez, le ventre répondait pertinemment sur ce qui concernait le passé et le présent. L'interrogeait-on sur le futur, on n'en obtenait que du vént, et c'était encore répondre pertinemment.

Quantité d'animaux marchent sur le ventre, à commencer par le serpent, qui a du moins l'excuse de ne pas pouvoir marcher autrement. Cette manière de marcher s'appelle ramper; elle est d'usage dans certains endroits où, au lieu de frapper aux portes comme un homme, l'on y gratte comme un chien.

Le ventre s'appelle aussi bedaine; mais, comme les gens qui font fortune, le ventre, pour changer de nom, doit avoir acquis un certain embonpoint.

POISSON D'AVRIL.

Nom donné vulgairement à une plaisanterie d'usage le 1er avril. Elle consiste à faire courir inutilement un homme d'une maison dans une autre, sur la foi d'une fausse nouvelle.

Un sot peut vous jouer ce tour, et l'on peut s'y laisser attraper sans être niais. Oubliez la date du mois, et vous voilà le jouet des petits enfants et des grands.

Quelle est l'origine du poisson d'avril? Elle est presque aussi obscure que celle de la vieille noblesse. Cette sottise ne se perd cependant pas dans la nuit des temps, comme certaines généalogies. Elle n'est pas antérieure au déluge.

Le poisson d'avril, disent les doctes, est une allusion indécente à ce qui arriva le 3 avril à notre Sauveur. Comme les Juifs le renvoyèrent d'un tribunal à l'autre, et lui firent faire diverses courses par manière d'insulte et de dérision, on a pris de là la froide coutume de faire courir et de renvoyer d'un endroit à l'autre les gens dont on veut se moquer; les autorités dont ce sentiment est appuyé sont, indépendamment du livre intitulé Origine des proverbes, le Dictionnaire de Trévoux, le Dictionnaire de l'académie et le Spectateur anglais.

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