Page images
PDF
EPUB

Quel beau sermon vous avez fait là! disait à un curé un de ses paroissiens; comme vous avez bien parlé sur l'aumône! En vérité cela donnerait envie de la demander!

Les mendiants seraient moins communs aussi si les parents, même laborieux, avaient autant de pudeur pour leurs enfants que pour eux-mêmes ; s'ils ne leur permettaient pas de contracter, sous divers prétextes, l'habitude de quémander, comme le font en certain temps tous ces marmots qui importunent tous les passants de cette phrase: Pour la petite chapelle, s'il vous plaît.. Tout sentiment de fierté est déjà éteint chez ces êtres qui s'exposent à la honte d'être refusés, et n'ont pas honte de recevoir. Laissez grandir ces individus déjà familiarisés avec le pavé de la rue, et vous verrez s'ils ont horreur d'autre chose que du travail. Tel misérable fait aujourd'hui un commerce infâme, qui, il y a dix ans, demandait, Pour la petite chapelle, s'il vous plaît. Telle femme exerce aujourd'hui la plus honteuse industrie, qui a commencé par faire voir son petit paradis pour une épingle.

Il ne serait pas indigne d'un gouvernement paternel, en réprimant ce genre de mendicité, de suppléer à l'incurie des parents, et de prévenir les conséquences d'une démoralisation si précoce.

LES ROSSIGNOLS.

Nous avons connu le marquis de Ximenez; c'était un singulier homme. Il avait deux manies dominantes, les échecs et les vers. En revanche, il n'aimait ni la musique ni la campagne, et ne concevait pas qu'on pût quitter le café de la Régence pour aller ailleurs qu'à la ComédieFrançaise.

Un de ses amis, qui avait un château superbe à quelques lieues de Paris, le détermina cependant à renoncer pour quelques jours à ses habitudes. Le marquis de Ximenez arrive un beau soir en poste dans cette belle retraite, où il était plus désiré qu'espéré : je vous laisse à juger si on lui fit fête. Au souper, qui fut excellent, succéda la partie d'échecs, que le maître de la maison eut la galanterie de perdre. Il conduisit ensuite le marquis dans l'appartement d'honneur, qui se trouvait placé entre un parterre émaillé de fleurs et des bosquets peuplés de rossignols.

C'était au printemps; c'était dans la saison où, comme le dit Delille, ou Virgile,

Sur un rameau, durant la nuit obscure,
Philomèle plaintive attendrit la nature,
Accuse en gémissant l'oiseleur inhumain,
Qui, glissant dans son nid une furtive main,

Ravit ces tendres fruits que l'amour fit éclore,

Et qu'un léger duvet ne couvrait pas encore.

Georg, lib. IV.

Eh bien, marquis, comment avez-vous passé la nuit? dit le lendemain le maître du château à son hôte.

As

sez mal, vicomte, répond le marquis en se frottant les yeux. Seriez-vous mécontent de votre appartement? C'est le plus complet et le plus agréable du château. De jour, la vue en est délicieuse, l'on y respire un air embaumé; la nuit, du soir au matin, l'on y entend le rossignol.... Le rossignol! dit le marquis en bâillant, vous m'y faites penser. Voulez-vous que je reste ici? Rendez-moi un petit service; laissez-moi un bon fusil pour faire taire ces vilaines bétes.

Que de gens qui sont moins ou plus, mieux ou pis que marquis, pensent comme ce bon monsieur de Ximenez, et sont toujours prêts à tirer sur les rossignols! Rien n'offense leurs oreilles comme le chant d'un oiseau libre, et ce n'est pas avec un seul fusil, mais avec une batterie tout entière, qu'ils font la guerre à ces chantres ou à ces chanteurs.

Quand monsieur le premier président, qui était marquis de Baville, ne voulait pas qu'on jouât Tartufe, quand il fermait la bouche à Molière, que prétendait-il, sinon faire taire cette vilaine bête?

Sous Louis XV, l'auteur de Mahomet fut aussi traité comme un rossignol. L'inquisition civile s'opposa à la représentation de ce chef-d'œuvre; et ce qu'il y a de

plus fâcheux dans l'affaire, c'est que le vieux Crébillon, qui, tout en faisant des tragédies, censurait des tragédies, est le fusil dont on se servit en cette occasion pour tirer sur Voltaire, pour faire taire cette vilaine. bête. Je n'aime pas à voir des rossignols s'allier aux vautours et aux buses pour donner la chasse aux rossignols. Ils font mieux quand ils mangent une chenille ou une araignée entre deux roulades.

Quelquefois, pour faire taire cette vilaine bête, on l'a mise en cage; mais quelquefois elle n'en a que mieux chanté.

Si tout moyen qui sert à la transmission des idées et des sentiments est un langage, tout homme qui possède la perfection d'un art libéral, tout homme qui excelle, soit en musique, soit en poésie, soit en peinture, est un rossignol. Fermer le portique à tel peintre, fermer le théâtre à tel poëte, n'est-ce pas faire la chasse aux rossignols? n'est-ce pas les faire fusiller par une censure ou par un jury, qui exécutent si facilement le feu de peloton ?

La chasse aux rossignols passera-t-elle jamais de mode? Je le souhaite.

Dans le grand duché de Berg, les rossignols devaient surtout redouter les chanoines. Ce n'est pas que les chanoines ne les aimassent, mais ils les aimaient comme les ogres aiment les hommes. Il n'est pas de moyens qu'ils n'employassent pour attraper ces malheureux oiseaux, afin de les mettre, non pas en cage, mais en pâté, comme

les alouettes à Pithiviers. Heureusement pour les rossignols, parmi les gouvernements qui se succédèrent, en vint-il un qui aimait la musique; il prit leurs intérêts à cœur. Une grosse amende fut portée contre tout friand qui, chanoine ou non, prétendrait se régaler aux dépens des rossignols. L'Europe entière sanctionna ce décret, qui n'en est pas moins tombé en désuétude, comme tant d'autres qui n'ont pour but que de réprimer des persé

cutions.

A Berg, les rossignols aujourd'hui ne sont guère plus en sûreté qu'ailleurs les chansonniers. Les rossignols, que je croyais créés pour charmer nos oreilles, ne seraientils donc faits que pour engraisser les chanoines?

DES JUREMENTS.

La langue la plus riche est pauvre au gré des passions. Les mots les plus énergiques ne suffisent pas à l'expression de nos emportements. Ce que le dictionnaire ne lui fournit pas, la passion l'invente. De là cette multitude de locutions explétives que tant de personnes ont l'habitude de jeter dans le discours pour en fortifier le sens; mots qui, pour les trois quarts, ne signifient rien, sinon que l'homme qui les prononce voudrait dire plus qu'il ne dit.

Tous ces mots ne sont pas des jurements, bien qu'ils

« PreviousContinue »