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nom de bon sens,

qualité qui dans ce bas monde n'est guère plus commune que le bon goût.

Les fautes que le bon sens rectifie prouvent donc l'absence de la raison. Celles que redresse le bon goût ne prouvent pas l'absence, mais l'essence de l'esprit. Les conceptions du Dante, de Michel-Ange et d'Homère lui-même, ne sont pas toujours à l'abri de ces reproches qui portent sur les défauts de l'esprit, et non sur le défaut d'esprit ; et ce mot esprit est ici synonyme de génie.

Le goût, en littérature, consiste dans le choix des mots comme dans le choix des idées, à trouver et ce qu'il y a de mieux à dire, et la meilleure manière de le dire. Comme il n'y a pas de bon goût⋅ sans bon sens, l'homme de goût réprouve toute idée fausse et tout ornement impropre.

Il déteste la recherche tout autant que la négligence. Ce qui lui plaît surtout, c'est le naturel, c'est la facilité, qui est aux ouvrages d'esprit ce que la grâce est à la beauté.

Les ouvrages sans goût ne lui déplaisent pas moins que les ouvrages de mauvais goût; et, peut-être, tout bien examiné, l'insipidité de Pradon lui répugne-t-elle plus encore que l'extravagance de Cyrano Bergerac.

De même est-il quelquefois plus sensible à l'uniformité de la perfection même dans le genre modéré, qu'à ces éclairs d'un génie inégal qui, si fréquents qu'ils soient, sont séparés par des intervalles de clarté moins vive, ou d'obscurité absolue. Cela explique la préférence

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donnée par d'excellents esprits à Racine sur Corneille, qui est presque toujours plus bas que son rival quand il n'est pas plus haut.

Il ne faut pas confondre l'homme de goût avec l'homme dégoûté, comme cela arrive trop souvent. Il y a entre l'un et l'autre la différence d'un homme doué de délicatesse à un homme privé de sensibilité. Le dédain dans l'un est qualité ; il est vice dans l'autre. L'homme qui ne trouve de goût à rien ne doit s'en prendre qu'à lui-même. Il n'est pas étonnant que des objets soient sans saveur pour des organes dénués d'irritabilité, pour un palais qui se refuse à toutes sensations. L'opinion de cette espèce de juges ne peut donc pas compter. Ce sont des sourds qui nient la puissance de la musique, des aveugles qui contestent les prodiges de la peinture. Champfort disait, aussi ingénieusement que plaisamment, en parlant de feu Suard, homme de ce genre, Le goût de cet homme est du dégoût.

Le goût existe pour les arts mécaniques comme pour les arts libéraux. Dans toutes les professions, il y a toujours une forme plus agréable à donner aux choses, et c'est le goût qui la trouve. Il préside à la disposition d'un chiffon comme à l'ordonnance d'un poëme; à la coupe d'un frac comme à la distribution du plan d'une tragédie. Mais ne soyez pas dupe des mots, madame ; et quoique Delille le poëte, et Leroi le modiste, soient tous les deux des gens de goût, ne permettez pas à votre admiration de les placer sur la même ligne.

Permettez-moi de mettre à vos pieds l'hommage du profond respect avec lequel j'ai l'honneur d'être, etc.

POUR LA PETITE CHAPELLE,
S'IL VOUS PLAIT,

OU DE LA

MENDICITÉ.

On ne saurait courir les rues depuis quelques jours, sans être assailli par des enfants des deux sexes, qui, la tirelire à la main, vous poursuivent de cet éternel refrain: Pour la petite chapelle, s'il vous plaît. Leur importunité, qui se renouvelle à chaque pas, gâte un peu le plaisir qu'on aurait à se promener dans ces jours de fêtes publiques. Mais c'est là le moindre de ses inconvénients.

Les parents qui autorisent ou tolèrent cette honteuse pratique n'y ont-ils jamais réfléchi? n'en prévoient-ils donc pas les conséquences? Ne savent-ils donc pas dans quelle classe ils rangent leurs enfants?

Entre ces enfants si proprement vêtus, et ces gueux qui, couverts de haillons, quêtent dans la même rue, il n'y a de différence que l'habit. Les uns et les autres font le même métier; les uns et les autres sont des mendiants.

J'appelle mendiant tout homme qui tend la main, tout

POUR LA PETITE CHAPELLE, S. V. P. 189 homme qui sollicite à titre de don ce qui ne lui est pas dû à titre de salaire.

Cette engeance qui vit aux dépens de ceux qu'elle imla société ce que portune est pour la vermine est pour l'individu. Elle infeste les cités, elle désole les campagnes dans ces provinces où, après avoir disparu pendant quelque temps', elle se remontre plus nombreuse que jamais.

Cela ne doit pas surprendre. La mendicité est une plante parasite qui se ressème d'elle-même, et se multiplie dans une effrayante proportion, pour peu qu'on néglige un moment de la détruire.

Les mendiants opèrent avec une certaine habileté. Dans les villes, ils se partagent les quartiers, ils se distribuent les postes ; embusqués là comme des araignées, ils attendent la proie au passage, l'un à la porte d'une maison de jeu, l'autre à la porte d'une église, l'autre à la porte d'un théâtre.

Le mendiant spécule moins sur le nombre des passants que sur leurs dispositions. D'après cela on serait tenté de croire qu'à la porte d'un lieu de plaisir il y a plus à gagner pour lui qu'à la porte d'un lieu de prière. La sensibilité et la libéralité ne marchent pas toujours avec la dévotion, qui chez tant de gens n'est que de l'égoïsme. Plus d'un saint homme croit avoir satisfait à la charité quand il a répondu, Dieu vous assiste.

Ceci fut écrit en Brabant, où la mendicité avait été totalement extirpée, sous l'administration mémorable de M. le comte de Pontécoulant.

L'homme de plaisir est peut-être plus susceptible de pitié. Accordons qu'il ne soit pas charitable par principe; il l'est du moins par sentiment; et cette source, moins pure que l'autre, est souvent plus féconde. L'aspect de la misère affectera toujours vivement une âme qui ne cherche que des sensations agréables. Pour faire cesser son propre mal, elle se hâte de soulager le mal

d'autrui.

L'homme de plaisir est sans doute plus prodigue que charitable; mais qu'importe en dernier résultat? Ce n'est pas à celui qui reçoit à se plaindre d'un vice qui lui est plus profitable qu'une vertu.

Dans les campagnes les mendiants procèdent d'une autre manière : on les rencontre rarement dispersés ; c'est en troupe qu'ils parcourent les contrées, se portant, tantôt d'un côté, tantôt d'un autre, comme des bandes de sauterelles. Cette manière de mendier n'est pas sans inconvénients. Se présenter en si grand nombre, c'est moins demander la charité que la commander. L'on a été plus d'une fois obligé de recourir à la force pour faire lever le blocus mis devant les châteaux et les fermes par ces attroupements, toujours formés d'individus étrangers au territoire qu'ils exploitent.

Partout où il y a mendicité, il y a mauvaise adminis

tration.

L'incendie a-t-il dévoré un village, l'inondation, les vents, la grêle, ont-ils anéanti les récoltes : c'est à la prévoyance du gouvernement à rendre aux familles labo

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