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rie. Le domestique, regardant comme prises sur le bien de son maître les remises qui, pendant toute la campagne, lui avaient été faites par les fournisseurs de la maison, en avait employé le montant à l'acquisition de cette vaisselle qu'il offrait en étrennes à monsieur.

Peu de maîtres ont été aussi véritablement généreux que ce domestique. Il se nommait Bronssin.

Les rois de France ont reçu des étrennes. On lit dans les Mémoires de Sully, que ce surintendant ayant été porter les étrennes à Henri IV, le trouva au lit avec la reine. Le roi voulut néanmoins qu'il entrât et qu'il lui fìt voir ses étrennes. C'étaient des jetons d'or et d'argent, tant pour leurs majestés, que pour les dames du palais et les filles d'honneur. Rosni, dit Henri, leur donnez-vous ainsi les étrennes sans les venir baiser? -Vraiment, sire, depuis que vous leur avez commandé, je n'ai que faire de les en prier.-Laquelle embrasserez-vous de meilleur courage et trouvez-vous la plus belle?-Ma foi, sire, je ne saurais dire, car j'ai bien autre chose à faire que de penser à l'amour, ni de juger quelle est la plus belle. Je les baise comme des reliques, en leur présentant mon étrenne.

nes,

La fameuse guirlande de Julie fut donnée en étrenle 1er janvier 1640, à Julie d'Angenues, par le duc Montausier. C'était une collection des plus belles fleurs peintes en miniature sur vélin, par le plus habile artiste du temps. A chaque peinture était joint un madrigal adressé à la beauté pour qui le recueil était fait.

Tous les beaux esprits de l'hôtel de Rambouillet furent mis en réquisition pour la confection de cette œuvre galante, à laquelle le duc lui-même a fourni un contingent raisonnable. Ses vers, il est vrai, sont fort au-dessous de ceux de Cotin et de Chapelain; ce qui prouve qu'il ne suffit pas d'être honnête homme et loyal amant, voire même garçon d'esprit, pour faire des vers supportables.

C'est dans la guirlande de Julie qu'on trouve cet heureux quatrain sur la violette :

Modeste en ma couleur, modeste en mon séjour,
Franche d'ambition, je me cache sous l'herbe;
Mais si sur votre front je puis me voir un jour,

La plus humble des fleurs sera la plus superbe.

Ces vers sont de Desmarêts Saint-Sorlin, l'un des poëtes que Boileau a le plus justement ridiculisés. Ils prouvent qu'un sot peut bien faire, quand il se trompe.

Quoique tous les madrigaux de la guirlande soient loin de valoir celui-là, ces étrennes me semblent plus ingénieuses encore que celles qu'on a saupoudré depuis avec du diamant.

Nous avons parlé plus haut d'étrennes reçues du peuple par les rois. Parlons d'étrennes données par un roi au peuple. Le 1er janvier 1735, Louis XV fit remise du dixième. Il est vrai qu'il a depuis exercé ses reprises, et largement, par un premier, un second et un troisième vingtième.

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a des

gens que le premier jour de l'an fait trembler au point qu'il peut être pour eux le dernier jour de leur vie.

Ci-gît, dessous ce marbre blanc,
Le plus avare homme de Rennes,
Qui trépassa le jour de l'an,

De peur de donner des étrennes.

Les étrennes ont été supprimées en France par un décret de l'assemblée constituante, comme contraires à la morale. Cette considération n'a pas dû s'étendre aux étrennes que les parents donnent à leurs enfants, seules étrennes dont il nous reste à parler. Cet usage, aussi doux pour ceux qui donnent que pour ceux qui reçoivent, doit être éternel; la durée en est garantie par la plus constante des affections.

DE L'ÉGOISME.

Remarquons, avant d'entrer en matière, que la désinence en isme désigne presque toujours une affection déréglée, et quelquefois même une manie; je dis presque toujours, parceque si cette observation est d'application exacte à fanatisme, à rigorisme, à purisme, à philosophisme, etc., il n'en est pas de même si on veut l'étendre à patriotisme. Ce sentiment tient de la pas

sion, sans doute; mais l'exaltation y peut-elle être blâmée, quand elle ne vous entraîne pas dans une fausse voie ; quand elle ne vous fait pas voir le tout dans la partie; quand elle ne vous fait pas mettre la prospérité de l'état dans le triomphe d'une faction; dans le triomphe du royalisme ou du républicanisme, systèmes très bons en eux, sans doute, si on les considère abstractivement; mais systèmes dont l'emploi peut être également préjudiciable au bonheur d'un peuple, quel que soit celui des deux qui prévale, si la faction triomphante l'y prétend assujettir en dépit des habitudes et des intérêts généraux qui réclament un gouvernement mixte ? La faction triomphante est alors possédée de manie, mais non pas de patriotisme.

L'égoïsme, dans l'étroite acception de ce mot, est l'amour désordonné de soi-même. C'est le sentiment par lequel on se fait centre du monde, où l'on rapporte

tout à soi.

Ce centre n'est pourtant pas toujours un point mathématique. Il s'élargit quelquefois de manière à prendre l'étendue d'une circonférence inscrite dans une plus grande, inscrite dans ce cercle immense qui renferme l'univers. Suivant que ce centre est moins étroit, l'égoïsme, de vice qu'il est dans son sens abstrait, se rapproche de la condition de vertu. Je m'explique.

Tel homme met son égoïsme dans sa famille, tel autre dans sa patrie. L'égoïste dans le premier cas est un bon père de famille, et dans l'autre un bon citoyen. Je l'ap

pelle égoïste, parcequ'il y a toujours un fonds d'égoïsme dans cet amour qui porte à préférer à tout le reste du monde la famille ou le peuple auquel on s'est identifié. Mais peut-on ne pas voir une vertu dans le sentiment qui fait qu'on vit dans les autres, et qu'on leur sacrifierait tout, jusqu'à soi-même? Mais cet égoïsme, par lequel l'existence s'étend, peut-il se comparer à celui qui la rétrécit? Peut-être, au fait, n'y a-t-il pas d'égoïsme à rechercher un bonheur qui ne résulte que de celui d'autrui. S'il y en a, admirons-le; c'est celui qui fait les héros.

Mon droit, mon honneur, mon salut, propos d'égoïstes, à moins qu'on ne mette son droit à rendre le peuple heureux, son honneur à servir son pays, et qu'on ne pense qu'il n'y a pas de salut pour quiconque manque de charité. Tels sont les devoirs qu'ont attachés à ces mots Louis XII, bon roi s'il en fut; Bayard, gentilhomme tout aussi bon peut-être que ces hobereaux qui mettaient leur honneur à servir contre leur pays dans des rangs ennemis; et le pape Pie VII, qui était aussi bon chrétien au moins que tant de bons apôtres qui nous font damner pour se sauver.

L'égoïsme, suivant la situation des hommes dans lesquels il se développe, prend des caractères bien différents, et peut tout aussi bien devenir ridicule qu'a

troce.

On frémit quand, pour venger l'honneur des statues de son père, Théodose fait massacrer l'élite des habi

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